Par Super Seven
Suite à sa projection vénitienne, nous avons eu à cœur de nous entretenir avec les personnes à l’origine d’Orfeo, poème visuel convoquant Jan Švankmajer et Jean Cocteau. Avec son auteur, Virgilio Villoresi, et les comédiens Luca Vergoni et Giulia Maenza, nous revenons sur la genèse de cet ovni, croisant les influences de Dino Buzzati et Sam Peckinpah.
"Orfeo" reprend un mythe connu de tous pour en proposer une nouvelle itération. Pourriez-vous décrire ce projet à qui en ignorerait tout ?
VV : Tout a commencé avec un roman graphique de Dino Buzzati, Poema a fumetti, avec lequel il fait son testament, notamment car il reprend le mythe pour confesser ses fantasmes voire les péchés commis au cours de sa vie. Ça faisait plusieurs années que je cherchais une matière première pour mon premier long-métrage, avec l’envie d’un film qui soit un pont entre le réel et le monde des rêves. J’ai trouvé dans ce livre l’outil dont j’avais besoin. Je considère avoir eu de la chance d’être tombé sur cet ouvrage, notamment du point de vue esthétique, car cela m’a permis de revenir à ma passion pour un cinéma des origines, un cinéma primitif, muet, visuel, mais aussi surréaliste, à commencer par Jean Cocteau. C’était le tremplin parfait pour donner l’impulsion à ma créativité.
On ressent l’enjeu, devant votre film, de mettre en image un mythe qui dépasse Dino Buzzati. Comment avez-vous composé avec l’océan d’œuvres qui ont précédé dans l’histoire de l’art ? Y a-t-il des représentations spécifiques qui vous ont ouvert la voie ?
VV : Le mythe d’Orphée et Eurydice est avant tout une manière pour moi de représenter l’au-delà. Je n’ai pas d’œuvre à citer en particulier, car j’utilise ce mythe pour avoir accès à un monde inconnu, dont je voulais faire quelque chose de nouveau car les possibilités sont infinies et je voulais tracer mon propre sillon, repartir à zéro vis-à-vis du mythe pour reconstruire autre chose. L’au-delà est un espace métaphysique, dont je voulais dresser un portrait fluide, mouvant en apportant des références inédites, en particulier à des architectes et designers du XXème siècle – Gio Ponti et Piero Portaluppi par exemple. Ma vision de l’au-delà passait donc beaucoup par des objets comme des vestiges du monde réel. En tout cas, j’avais en tête d’esquiver les références iconographiques classiques.
Cela nous amène à l’hybridité du film, entre animation et prises de vue réelles. Qu’est-ce qui a motivé ce dispositif, sachant que vous venez du monde de l’animation ?
VV : L’animation en stop motion m’a permis d’animer des créatures de la manière qui me semblait la plus fidèle au roman. L’idée était de reproposer à l’image le bestiaire de Buzzati et de contrôler l’esthétique que nous allions adopter. Au tout début, j’ai en effet songé à en faire un véritable dessin animé, en deux dimensions. Mais rapidement, j’ai préféré un dispositif en trois dimensions, plus immersif, plus onirique, et donc d’intégrer des acteurs, des corps humains, au sens de l’animation. Or, pour certains cadres il fallait les construire en taille réelle, notamment les squelettes dans le chalet, mais on a également travaillé avec beaucoup de miniatures. Tout le film, animation comme prises de vues réelles, est tourné avec une Bolex, en 16 mm, ce qui inscrit l’esthétique du film dans un certain cinéma underground que j’apprécie beaucoup. Les acteurs ont été magnifiques dans leur manière de jouer avec le médium. Luca [Vergoni, interprète d’Orfeo], interagissait constamment avec quelque chose qu’il ne voyait pas, et devait beaucoup gérer son regard, car tout le découpage en dépendait. C’était très long, il tournait une scène, puis pouvait aller se promener. Une fois la prise de vue terminée, les animateurs rentraient et prenaient le relais pour quatre à cinq heures. On pouvait faire cinq secondes d’animation par jour, pas plus.
LV : Ça change totalement le rapport au jeu, il faut se concentrer sur des choses très importantes pour se mettre en relation avec tout ce qui est animé.
VV : C’est une alchimie très particulière entre le regard, le montage et les proportions, comme par exemple dans la séquence de l’araignée.
GM : C’était très amusant à faire !
VV : C’était très intéressant car je me suis inspiré de La horde sauvage de Sam Peckinpah, où il y a des passages très violents et rapides, avec dix plans à la seconde, intercalés avec des moments en slow motion. J’ai inséré l’araignée – qui est une miniature – dans la scène de Giulia grâce à ce procédé. Je n’ai reconstruit qu’une patte de l’araignée en taille réelle et on croit à l’artifice seulement grâce à la rythmique du montage
GM : C’était aussi un challenge de tourner en pellicule. Tout devait être très précis car la pellicule était très limitée.
VV : La première prise devait toujours être la bonne !
Propos recueillis par Victor Lepesant à Venise, le 4 septembre 2025.