Par Super Seven
Premier film découvert lors de notre arrivée à Berlin sans rien en savoir, Le rendez-vous de l’été est un coup de cœur immédiat, que nous abordions dans notre premier bilan du festival. Ni une ni deux, nous avons rencontré la réalisatrice Valentine Cadic, dont c’est le premier long-métrage, et India Hair, qui interprète Julie, pour aborder les modalités de ce tournage hors-normes et le rapport à la comédie.
Le rendez-vous de l’été fait se rencontrer une galerie de personnages et un contexte qui lui est parallèle, les Jeux Olympiques de Paris 2024. Quel était le premier désir de cinéma : ces personnages ou le décor documentaire ?
Valentine Cadic : Le point de départ, c’était que les JO m’intéressaient en soi, puis j’ai eu envie de plonger le personnage de Blandine dans cet univers-là. J’avais déjà travaillé avec Blandine Madec sur mon précédent court-métrage et j’ai commencé à en parler avec mes producteurs. Ça les intéressaient de faire un film au moment des Jeux et moi aussi. Je me suis beaucoup renseignée sur l’événement, puis j’ai commencé à écrire ce personnage pour Blandine. Il y avait une énorme inconnue pour tourner puisque ça n’était jamais arrivé à part il y a cent ans, donc je ne l’avais pas vécu ! L’inconnu m’intéressait et me stimulait car j'aime tourner là où il y a des événements, du documentaire à filmer.
Comment diriez-vous que la toile de fond des JO permet d’alimenter et compléter cette histoire de retrouvailles entre sœurs ?
India Hair : Ce qui fonctionne très bien, c’est la rencontre de la foule et de la solitude, d’être perdu au milieu d’une liesse, parfois réussir à faire corps avec et parfois non. Ça fait d’autant plus ressortir sa propre solitude et je trouve ça très beau dans le film. Ça peut parler à tout le monde, ça se retranscrit à plein d’endroits différents de notre vie.
Comment ce dispositif néoréaliste a-t-il contraint le tournage ?
VC : Ce n’est pas tellement une contrainte, j’y vois quelque chose de ludique. Quand on écrit un scénario, ça se passe sur une période tellement longue que j’aime réussir à m’en détacher. Quand il y a des événements qui se passent réellement, on est plus à même d’écouter ce qu’il se passe, de faire confiance. Ça me plaît beaucoup de m’adapter à ces événements dans la réalisation. On venait assez préparés, car c’est quelque chose que j’avais déjà tourné comme ça dans mes courts-métrages. C’est une énorme préparation : déjà au scénario, avec Mariette [Désert, co-scénariste], on a essayé de prévoir au maximum ce qui pouvait se passer, dans quels endroits. On a fait des gros repérages, on a rencontré des athlètes pour leur demander comment ils avaient vécu leurs Jeux Olympiques de Londres, de Tokyo. C’était vraiment de la recherche. Typiquement, j’avais besoin de savoir si un personnage comme le mien pourrait rentrer dans une piscine de nuit comme ça. J’ai aussi beaucoup fait de repérages autour de l’Arena Défense, où il y a eu des compétitions et j’ai rencontré des gens, quelqu’un m’a proposé de rentrer. Je n’ai pas réussi finalement mais ces repérages et ces rencontres m’ont beaucoup nourri. C’est moins solitaire et j’adore faire ça pour préparer un film.
L’événement permet aussi de regarder Paris avec un regard neuf, même pour les Parisiens. Entre Blandine qui débarque de Normandie sans connaître la ville et sa sœur Julie qui y habite depuis très longtemps, comment envisagez-vous le rapport qui se crée entre Paris et la province à travers les personnages et leur environnement ?
IH : Mon personnage n’y vit pas depuis toujours mais elle y est depuis longtemps et c’est complètement acquis qu’elle se débat dans sa vie pour gérer son travail, ses enfants, son ex, le tout étant englobé dans une charge mentale générale. Donc elle ne questionne pas forcément Paris. Ce n’est pas resté dans le montage, mais elle se questionne beaucoup sur comment sa sœur peut continuer à vivre à l’endroit où elle a grandi. Pour grandir et s’émanciper de la famille, il a été important de grandir. J’aime bien quand elle dit « tout le monde a sa colloc olympique, tu peux rester chez moi. ». Elle a aussi envie d’être dans les Jeux d’une certaine manière.
On a commencé le travail par une lecture avec Valentine et Blandine. Comme les deux personnages ont vécu une enfance séparée avec quelques points de rencontre, Valentine a détaillé ces points de rencontre dans un mail qui récapitulait les choses fondatrices de leur relation et de leur manière de grandir à part. Pour nous, c’était important d’avoir des points d’accroche, comme quand on repense à des moments avec nos frères et sœurs, il y a des choses qui marquent, et on avait ça à disposition, en détail, pour créer ce passé ensemble et nourrir des improvisations.
La séquence du commissariat a été applaudie en séance press & industry, ce qui, d’expérience, n’arrive jamais. Le personnage de Paul, l’ex de Julie, est également fervent militant anti-JO. Avec ce regard caustique, que vouliez-vous raconter du climat répressif et du nettoyage social qui a caractérisé l’événement ?
VC : C’était important que cet aspect soit montré dans le film. Lorsqu’on a commencé à écrire, on savait que le personnage de Paul serait engagé mais on ne savait pas ce qui allait se passer. On a rencontré “Le revers de la médaille”, une association créée pour dénoncer et montrer le nettoyage social qui a eu lieu à Paris, et ils ont accepté de nous envoyer des vidéos pour le film. C’était intéressant de les rencontrer et de discuter car ils ne sont pas contre les Jeux Olympiques mais militent pour des Jeux plus inclusifs, et Matthias Jacquin, qui joue Paul, les a rencontrés aussi.
Blandine est un personnage qui est toujours à côté, j’espère qu’on arrive toujours à des endroits inattendus avec elle. Par exemple qu'elle se retrouve au commissariat parce qu’elle aurait tagué un mur et dégradé des biens publics. Elle sait que c’est absurde, et en tant que spectateur, on sait que c’est absurde. On le partage avec elle, et on sent qu’elle n’a pas été insensible aux images que Paul lui a montrées. C’est pourquoi elle finit la scène en disant qu’il y a un problème, que ce n’est pas d’elle qu’ils doivent s’occuper.
IH : Ce qui est beau aussi dans cette scène, dans ce texte de Blandine, c’est la manière dont on sort de la posture. On tend vers l’évidence, l’absurdité des rapports de pouvoir, des constructions sociales. C’est très beau, on a envie de dire : ça pourrait être mille fois plus simple les rapports humains.
Parmi les éléments réels disposés par le film, il y a des apparitions de la nageuse Béryl Gastaldello. Comment est-elle arrivée sur le film ?
VC : Dans un premier temps, il fallait trouver une athlète qui allait potentiellement participer aux JO. C’est comme ça que je suis tombée sur le profil de Béryl que j’ai contactée via les réseaux sociaux, elle a accepté de me rencontrer. C’était avant qu’elle soit sélectionnée pour participer aux Jeux Olympiques mais il y avait beaucoup d’espoir sur elle au vu de l’immense parcours qu’elle avait. Elle a tout de suite accepté de faire le film, ça l’intéressait et elle a accepté de se filmer pendant les Jeux Olympiques au Club France. C’est une athlète qui m’intéresse beaucoup car elle a parlé de santé mentale. Souvent les athlètes le font à la fin de leur carrière car ils craignent de ne pas être sponsorisés etc. Je me suis rendue compte que c’était un métier assez précaire d’être sportif, alors qu’on voit ça comme des gens sur des podiums qui reçoivent des médailles. Béryl n’a pas de sponsor, elle peut payer son loyer et vivre grâce à un mécène qu’elle a rencontré quand elle s’entraînait aux États-Unis. J’ai vraiment découvert ce qu’était le quotidien d’un sportif, ce à quoi on n’a pas vraiment accès. Les gens peuvent parler de santé mentale, dire que c’est dur, mais sans forcément mettre les mots dessus. Comme le personnage de Blandine, Béryl a cette honnêteté, elle dit les choses sans se cacher. Béryl dit aussi qu’il est difficile, après avoir parlé, de ne pas être réduit à ça. On va beaucoup dire : elle a parlé de santé mentale donc on ne va lui parler que de ça. Ça m’avait aussi intéressé qu’elle dise ça, c’est ce qui empêche les gens de parler. Béryl est une personne tellement forte, lumineuse, incroyable, et je l’avais trouvée très courageuse de parler. Et par ailleurs, elle est sincère quand elle dit qu’elle est heureuse d’être là. Pour ce qui est du film, elle y a vraiment participé, elle a été très généreuse, très présente. Même pour monter le projet, c’était super de savoir qu’elle était avec nous.
Et vous utilisez des vrais extraits de ses réseaux sociaux ?
VC : Elle nous envoyait énormément de stories, certaines qu’elle publiait sur Instagram et d’autres non.
Ce que vous dites de Béryl, Blandine en parle aussi lors d’une séquence où un journaliste l’interroge en micro-trottoir, la scène montre comment vous profitez du réel pour trouver des options pour représenter l’intime.
VC : À la base cette scène devait être tournée lors d’une compétition dans la Seine, qui a été annulée… Comme on s’était beaucoup renseignées, on savait où était le Club France, où les compétitions allaient se tenir mais on a dû souvent s’adapter. C’est devenu une scène calme, alors que ça devait être une scène dans la foule, et ça lui donne quelque chose d’intéressant.
IH : Ça faisait partie de mon envie de faire le film, de voir comment elle allait se servir du réel, s’adapter. Ce dispositif immersif, j’avais envie de le voir, ça m’avait beaucoup plu dans La bataille de Solférino de Justine Triet et j’avais un peu ça en tête. Finalement, c’est très différent mais ça faisait partie de mon envie de spectatrice et donc de faire ce film.
Et cette flexibilité, on la retrouve aussi bien dans la mise en scène que dans le jeu des acteurs. Quelle est la méthode de travail ?
VC : Au début, on a écrit des scènes, puis au tournage on improvisait parfois autour de ce qui était écrit. Il y en a aussi eu en amont du film. Mais dès que c’était trop laborieux ou que ça n’avançait pas dans la scène, on avait toujours cette base solide de scénario. Quand je dirige, je n’ai pas du tout les yeux sur le scénario, j’essaie vraiment d’écouter, de voir ce qu’il se passe, quelles répliques marchent ou non. S’il manque des choses, on revient parfois au scénario pour ne pas oublier certaines choses pensées en amont. J’aime beaucoup l’improvisation, mais c’est agréable d’avoir un scénario pour ne pas se perdre. Sur un court-métrage, c’est plus facile d’improviser, mais sur un long, il y a toute une trajectoire qu’il faut tenir, des personnages.
En découvrant le film fini, y a-t-il des choses qui vous ont surprises ?
IH : Je ne pensais pas que ce serait si drôle ! J’ai beaucoup ri, je ne m’attendais pas à ça. Je savais que j’allais être touchée par l’interprétation de Blandine car je l’avais adorée dans Les grandes vacances, et je connais le regard que Valentine porte sur elle. Mais la drôlerie, je ne m’y attendais pas. Et je ne savais pas du tout ce qu’ils avaient fait à l’image. Je n’avais aucune idée que ce serait aussi précis dans l’utilisation des couleurs, c’est incroyable. Je ne comprends pas vraiment comment on fabrique une image, mais là j’ai envie de faire pause et de faire des tirages. C’est magnifique, je sens des choses qui ont pu me toucher chez d’autres artistes, des échos à des choses qui me plaisent mais que je trouve complètement nouvelles dans ce que tu fais. Ce choix du sac à dos de Blandine, qu’on retrouve dans le rose sur certains figurants, c’est très beau et très précis.
VC : On a beaucoup filmé et Lisa Raymond, la monteuse, a commencé le montage en même temps que l’on tournait. Je suis arrivée en montage une semaine après la fin du tournage et j’ai découvert un ours. Je me suis mise à pleurer dès que j’ai vu les premières images, je me suis dit : c’est fou, c’est exactement ce que j’avais écrit. Quand j’ai vu l’ours, je me suis dit qu’on avait du travail mais je voyais déjà plein de choses qui étaient là. Le montage c’était ma partie préférée dans la fabrication de ce film. C’est comme la dernière étape d’écriture du film. Plein de choses ont bougé, plein de choses ont été retirées, de la voix-off a été rajoutée, réécrite. Dans la première version, des gens ne s’attachaient pas du tout au personnage de Blandine. Dans la deuxième version, on n’avait pas assez d’empathie pour Julie. C’est fou la force du montage, il y a une marge pour tout changer.
IH : Surtout quand tes interprètes font plein de versions !
VC : C’est vrai que j’avais beaucoup de possibilités. Il y a certaines scènes qu’on a eues assez vite, je savais qu’elles étaient trouvées. La scène de discussion le soir entre Blandine et Julie, elle était déjà bien dans toutes les versions. Pour la scène du commissariat, on a fait énormément de prises, et il y a eu un vrai travail de montage pour retrouver les moments qui donnent le ton juste. C’était passionnant ce travail de montage, de se reposer les questions qu’on se posait au début de l’écriture : quelle est l’histoire ? comment on la raconte ?
La fin du film est plutôt ouverte, et on se dit que le personnage de Blandine pourrait exister dans bien d’autres macro-histoires. Comme vous travaillez avec Blandine Madec depuis votre court-métrage, imagineriez-vous reprendre le personnage dans un prochain film, à la Antoine Doinel ?
Entre le court et le long, on a déjà deux personnages différents. Pour mon troisième film, j’ai commencé à écrire en pensant à d’autres personnages encore. À chaque film, je pense que des personnages vont naître… je ne sais pas ! On a fini ce film il y a deux semaines, je ne peux pas dire exactement ce que seront les prochains.
Propos recueillis par Victor Lepesant le 16 février 2025. Photo Valentine Cadic & India Hair par Dirk Michael Deckbar