Interview de Sparks

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Par Super Seven

le 20/07/2021
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Sparks

Alors qu'"Annette" sort en salle et divise critique comme public, entretien avec les Sparks sur leur carrière, le documentaite d'Edgar Wright et l'origine du film de Leos Carax.

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Vous avez fait le documentaire "The Sparks Brothers" avec Edgar Wright. C’est intéressant car vos chansons ont toutes une dimension narrative et Edgar Wright a réussi à faire de son film une expérience en combinant toutes vos musiques. Est-ce une approche que vous avez trouvée ensemble ?

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Ron Mael : Quand Edgar nous a contacté, il a dit vouloir traiter toutes les périodes de manière égale, et c’est la raison principale pour laquelle nous avons accepté. Nous avions surtout peur qu’il n’y ait pas vraiment d’histoire des Sparks. Tout documentaire doit avoir un but, une raison, avec des hauts et des bas, et nous nous sommes demandés si notre histoire était suffisamment intéressante. Nous avons confiance en notre musique mais est-ce qu’un documentaire serait intéressant ?
Il a été capable de construire une narration avec ses compétences de réalisateur, et nous lui sommes reconnaissants d’avoir fait une histoire qui rassemblait tous ces éléments de manière cohérente.

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Il est drôle que vous disiez ne pas être sur que votre histoire serait assez bonne pour faire un documentaire car ce qui ressort du film est que votre histoire est racontée à travers votre musique, laquelle apporte tous les éléments dramatiques sans avoir besoin d’une narration classique à base de hauts et de bas. Aviez-vous déjà remarqué que votre musique parle pour vous, révèle l’évolution de votre carrière ?

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Ron : Nous voyons le drame au sein des chansons, mais ne nous l’avions jamais vraiment vu lié à nous. Il y a une dimension dramatique et cinématographique à notre musique mais le fait qu’elle nous reflète ne nous a jamais frappé jusqu’à ce que nous voyions le documentaire.

Russell : Nous avons aussi vu, avec la sortie du film aux États-Unis il y a quelques semaines, que les premières réactions sont beaucoup de personnes d’origines différentes, jeunes personnes, qui disent sur internet avoir trouvé le film inspirant car il parle de l’idée du succès, ce qu’il faut faire pour y arriver. Ce n’est pas tant de vendre le plus de disques mais d’être le plus intègre dans ce que l’on fait. Cette histoire donne à ces personnes une sorte de validation pour prendre leur envol du point de vue créatif sans qu’ils s’inquiètent sur le fait que ça va marcher ou que le public va aimer, mais seulement pour qu’ils croient en ce qu’ils font. C’est quelque chose que nous n’avions jamais vu en nous, c’est un angle du documentaire et c’est quelque chose que Edgar trouvait important d’exprimer car ça montre ce qui pour lui est unique dans la pop music. Que la persévérance, dans les bonnes comme mauvaises périodes, fait que les Sparks ont continué et continuent à produire des œuvres qui selon lui sont de qualité, même quand certaines étaient inconnues, passées sous le radar du public à l’époque de leur sortie.

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Cette dimension inspirante est intéressante. Il est connu que vous aimez Jean-Luc Godard par exemple, et le documentaire montre que vous lui ressemblez à lui, et à d’autres artistes, à la carrière évolutive, dictés par l’idée de faire de l’Art pour l’Art sans s’intéresser à ce que pense le public ou les critiques. On peut penser à David Lynch aussi par exemple, qui avait été crédité par erreur à la réalisation du clip de "I Predict", avec qui vous partagez un sens dans la création d’atmosphères uniques ou d’univers. Que pensez-vous de ces rapprochements ?

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Russell : Le fait de créer notre propre monde est quelque chose dont nous sommes fiers, et si l’on regarde tout ce que nous avons fait, notre univers est peut-être à part dans la pop music qui va et vient. Pour nous, les réalisateurs et les musiciens, artistes en général, nous gravitons vers ceux qui ont le plus leur propre univers, qui leur est unique et qu’on ne peut pas vraiment décrire. Certaines personnes ont dit que nous écrivons de manière simple, ont voulu dire ce que sont les Sparks comme : du glam rock, de la chamber pop, de la musique électronique ou orchestrale et toutes ces idées semblent trop étroites, paresseuses car il est difficile de nous mettre dans une case précise. Le fait de ne pas pouvoir tout définir est une des forces des Sparks.

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Parlons de "Annette" maintenant. D’abord c’était un album et un scénario en même temps, puis Leos Carax est arrivé et a voulu faire un film basé dessus. Quel a été le processus créatif avec lui ? A-t-il beaucoup modifié le projet initial ou a-t-il accepté le tout que vous avez ensuite retravaillé ensemble ?

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Ron : C’était davantage la seconde idée. Il a accepté ce qui était là, et il a demandé à ce que quelques scènes supplémentaires soient écrites pour étendre l’histoire. C’est un réalisateur avec une vision très personnelle et nous étions ravis d’accepter ça. Certaines paroles ont aussi été réécrites mais pas énormément. Globalement, c’est le même film qu’il y avait déjà il y a neuf ans, juste certaines choses ont été affinées, des personnages plus étoffés. L’essence de l’œuvre, elle, n’a pas changé. Sa plus grande contribution est la manière avec laquelle il a rendu visuel quelque chose qui n’était qu’imaginaire dans nos esprits, comment il a rendu ça concret et à ce niveau-là c’est extraordinaire. Il nous a très agréablement surpris. Nous avons assisté au tournage de plusieurs scènes, mais voir le tout à la fin était une expérience incroyable pour nous.

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Effectivement, c’est comme un accomplissement pour vous après vos autres projets au cinéma qui ont avorté. Vous avez du être très heureux d’enfin voir votre vision sur un grand écran, non ?

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Ron : Oui, c’est incroyable, et le fait qu’il n’y ait pas eu de compromis l’est tout autant. Leos Carax est un réalisateur intransigeant, et il n’y a pas eu de nuance quant au projet originel. Il a été légèrement étendu mais le film reste singulier, radical. Il y a de la tentation, quand autant d’argent est en jeu, de se brider mais Leos est parti dans la direction opposée et nous en sommes très contents.

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D’ailleurs, c’est intéressant car vous êtes des artistes avec une vision éminemment personnelle à tous les niveaux : clips, pochettes d’albums, concerts, etc. Tout est unique dans votre approche musicale, et vous collaborez avec des réalisateurs qui ont aussi une vision unique, singulière, comme Leos Carax ou Edgar Wright. N’avez-vous pas peur en vous associant à eux qu’il y ait un choc, une confrontation entre deux visions très fortes ?

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Ron : Je vois ce que vous voulez dire (il rit). Ce qui facilite les choses est que nous ne sommes pas cinéastes donc une fois que le matériau de base est là et que tout le monde s’accorde dessus, nous acceptons les éléments que Edgar ou Leos apportent car nous avons beaucoup de respect pour eux, ce qu’ils font. Nous ne faisions pas de suggestions sur le plateau de "Annette" car tout avait été établi. C’était encore moins le cas sur le documentaire, car la question principale était : comment assembler tout ce matériel à disposition ? Avec "Annette", il y avait plus de chance que cela prenne une tournure où nous ne serions pas heureux mais on a eu des discussions avec Leos dès le début quant à nos sensibilités partagées sur ce qu’une comédie musicale devrait être, notamment pour la sincérité, l’absence d’éléments qui ne seraient pas forcément adéquats aujourd’hui comme les chorégraphies, danses dans la rue et ce genre de choses, ou encore la manière naturelle de chanter. Évidemment il y avait une possibilité qu’il y ait des problèmes mais ça n’est jamais arrivé.

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Ce que vous dites sur la manière naturelle de chanter, comme si les personnes parlaient normalement, rappelle forcément "Les parapluies de Cherbourg" de Jacques Demy…

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Russell : Oui, nous adorons ce film ! C’est une référence que nous partageons avec Leos sur le type de film musical qui nous correspond. Les deux films ne se ressemblent pas quant à l’histoire, mais à part quelques scènes où les dialogues ne sont pas chantés, tous le sont dans "Annette", et les deux œuvres partagent le fait qu’il n’y a pas besoin d’avoir de chorégraphie, sauf par le travail de la caméra. Dans nos esprits "Les parapluies de Cherbourg" était un exemple de la bonne approche à avoir.

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Finalement, c’est peut-être ce qui vous lie avec Leos Carax sur ce projet. En écoutant la bande originale, sans avoir vu le film encore, on ressent un côté divertissant, spectaculaire, grandiose, mais aussi une certaine sensibilité poétique, quelque chose de romantique, comme une tragédie mélancolique. Comme si les styles américain et français combinaient parfaitement.

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Ron : C’est un point de vue intéressant, on ressent cela. Ça ne ressemble pas à 100 % à un film français ni complètement à un film américain mais plutôt au fruit de ces deux visions. C’est pourquoi le film est si unique. Le contexte diffère des autres films musicaux, français comme américains.

Russell : Aussi, la véritable bande-originale compte quarante-deux morceaux, alors que la version commercialisée n’en contient que quinze, donc il vous manque de nombreux éléments de l’histoire, mais oui c’est encore plus grand et large que ça.

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Cette version raccourcie est déjà dense et puissante, mais surtout on a l’impression d’y voir la culmination de tous les styles que vous avez abordés dans votre carrière pour donner une expérience musicale et cinématographique totale. Quelque chose d’unique, aux airs d’opéra même, et en regardant en arrière avec vos projets antérieurs avortés, cela sonne comme un cri artistique. (Ils rient). Comme si tout ce que vous avez contenu en vous toutes ces années était libéré d’un coup.

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Ron : C’est vrai, on s’est dit « cette fois, on donne tout ! ». On aurait aimé que les projets antérieurs aient lieu, mais on sent que maintenant nous avons plus d’outils que nous pouvons utiliser d’un point de vue stylistique, des capacités que nous n’avions pas forcément avant. Quand une scène demande un certain style, nous avons de quoi faire. Et nous n’avons aucune barrière, aucun frein car qui sait ce qu’il peut se passer ? Nous n’avons pas senti le besoin d’avoir une continuité dans le style des morceaux, car la continuité viendrait de l’histoire et de l’ambiance mais sur le plan stylistiques les ruptures peuvent être abruptes au cours du film. Nous ne voulions vraiment pas nous retenir, et nous sommes heureux que Leos ait porté ça à un autre niveau.

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C’est un pur geste de liberté artistique, et dans le paysage cinématographique actuel c’est presque impossible que ça arrive.

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Ron : Nous ne prenons pas ça pour acquis, nous savons que c’est une situation très spéciale et nous sommes content que ça sorte.

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Enfin, vous faites donc votre première œuvre de cinéma (au sens créatif) avec Leos Carax, qui d’un point de vue stylistique est comme un héritier de Jean-Luc Godard. C’est comme si vous boucliez la boucle, non ?(Ils rient).

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Ron : Oui, c’est incroyable comme coïncidence.

Russell : Bonne observation.

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Propos recueillis par Elie Bartin le 2 juillet 2021. Photos par Anna Webber.