Interview de Philippe Lesage

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Par Super Seven

le 30/07/2024
Photo de Philippe Lesage

Philippe Lesage

À l’occasion de son passage à la dernière Berlinale, où il a remporté le prix du Meilleur Film dans la section Génération pour « Comme le feu », nous avons pu nous entretenir avec le réalisateur québécois Philippe Lesage.

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Parmi les premières énigmes que pose le film, comment est venu ce titre, « Comme le feu » ?

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C’était un long processus pour trouver le titre. Il y en a eu plusieurs sur le projet et je trouvais que tous les précédents donnaient une ligne directrice à la lecture du film, ce que je cherchais absolument à éviter. Le film touche trop de sujets pour que j’essaie de donner une sorte de direction. « Comme le feu », pour moi, c’est à la fois la flamme qu’on garde intacte en soi, la passion que mes jeunes personnages ont. Tous mes personnages l’ont en fait, pour le meilleur et pour le pire, parfois excessivement. Le feu, c’est la passion mais aussi la destruction, la menace.

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Cette idée d’aborder des intrigues très simples par l’énigme, les éléments symboliques, les forces magnétiques, peut-on la prendre par la porte du fantastique ?

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Il y a évidemment des emprunts horrifiques, mais aussi du film d’aventure. Il y a du huis-clos, alors que je voulais absolument me débarrasser d’un impératif très théâtral, le fait de rester dans la même pièce à la Polanski. Et surtout la nature, je trouve, représente quelque chose de très mystérieux : à la fois indifférente, cruelle, magnifique, dangereuse, menaçante. C’est très présent dans le film. Pour briser le huis-clos, il fallait que les personnages soient confrontés à la nature et au silence.

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Plus largement, comment décririez-vous l’intrigue qui fait prémisse à cette panoplie sensorielle ?

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C’est vrai qu’on part d’une intrigue très simple : Jeff est un jeune homme invité à séjourner chez un réalisateur qu’il admire et qu’il ne connaît pas. Il est invité par son ami le père et la sœur de celui-ci, dont il est secrètement amoureux. Il a donc deux attentes parallèles : vis-à-vis de cette jeune fille à qui il porte de l’intérêt, et vis-à-vis de ce réalisateur dont il espère qu’il va le prendre sous son aile. Et de cette simplicité part un nœud de relations très denses : Jeff-Blake, Jeff-Aliocha, Albert-Blake.

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Dans le geste de faire éclore le tragique de situations presque ordinaires, quel est votre rapport à l’expérience lorsque vous écrivez ?

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J’écris sur mes obsessions, des choses qui reviennent de film en film. En tout cas, celui-ci est moins autobiographique que les précédents, dans lesquels j’allais vraiment revisiter des périodes de mon enfance et de mon adolescence. En revanche, il y a toujours cette idée que la jeunesse et ses idéaux sont confrontés à un monde adulte qui cherche souvent à les punir ou à les écraser. C’est un peu ce que j’avais en tête et tout ça se fonde sur des sentiments, des attentes, des déceptions que j’ai pu avoir. Quand j’étais jeune, j’ai aussi un peu été à la recherche de mentors en espérant que les gens allaient me tendre la main, m’ouvrir des portes. Je me suis rendu compte que ce n’était pas facile, et qu’il y a quelque chose d’un peu suspect chez quelqu’un qui dirait « je me reconnais en toi lorsque j’étais jeune. ». Rien que cette phrase-là révèle une sorte de narcissisme d’une certaine façon. De film en film, je me questionne aussi sur la masculinité, l’omniprésence du patriarcat, et j’ai envie de remettre en question beaucoup de ces aspects, et c’est encore l’entremise des personnages masculins jeunes et adultes du film que je peux explorer ça.

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Sans qu’il y ait d’évident lien autobiographique, le personnage de Blake est un cinéaste qui passe de la fiction au documentaire à un moment de sa vie, or vous avez eu le chemin inverse. Comment s’est passé la bascule pour vous et a-t-elle eu une incidence sur la création du personnage ?

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Effectivement, j’ai commencé par faire du documentaire parce que j’avais étudié au Danemark, je suis revenu au Québec et je suis allé frapper à toutes les portes possibles pour faire un premier film. On m’a fermé beaucoup de portes, j’ai un premier film qui était une sorte de making-of d’un making-of : on m’a détruit mon film, même si je crois aujourd’hui que mon film était meilleur que celui dont je faisais le making-of. Tout ça pour dire que le cheminement a été compliqué et le documentaire a été un outil pour garder cette flamme intacte, ce geste de prendre une caméra et d’en faire quelque chose. Pourtant mes premiers films n’ont pas du tout été vus, jusqu’à « Ce cœur qui bat », qui a fait plusieurs festivals et m’a permis d’être « repéré ». Ça m’a amené à la fiction, mais le passage par le documentaire n’est pas arrivé par accident ou par dépit, j’y ai pris énormément goût. On parle de cinéma, sans distinction entre les deux, donc je recherche du documentaire dans ma fiction et de la fiction dans mes documentaires, ça c’est évident, je ne l’oublie jamais. Dans ce sens-là, les scènes de dîner dans « Comme le feu » témoignent d’un naturel et d’une spontanéité que je cherche chez les acteurs. Et j’ai l’impression de m’améliorer de film en film là-dessus, je trouve que tout le monde est impeccable dans celui-ci.
Pour revenir au personnage de Blake, il faut se dire que beaucoup de choses sont cachées dans le film, non dites. Par exemple le « WineGate », ce gros drame qui arrive autour du vin, n’est pas un événement très important en soi mais il faut lire ce qui se cache derrière : ce qui s’est passé la veille ou des années auparavant, mais aussi la compétition viscérale entre Blake et Jeff, puisqu’une rivalité sexuelle se révèle entre les deux. Au-delà de ça, je me suis amusé en les écrivant, et il y a beaucoup d’humour dans le film, une ironie, un regard un peu satirique autour de ce personnage de réalisateur et je trouvais ce choix assez comique. Je me suis questionné moi-même : pourquoi a-t-il arrêté la fiction ? Je ne réponds pas à la question mais, vraisemblablement, il a eu du succès, il a gagné un Oscar, donc il a dû se passer quelque chose, parce que c’est un égo assez fragile, comme beaucoup d’artistes le sont. J’ai déjà vu ça, des gens qui arrêtent après un échec et c’est un peu l’histoire que je me suis racontée. J’ai l’impression qu’il s’est un peu assis sur ses lauriers, s’est planté après avoir eu beaucoup de succès puis, plutôt que de refaire un film, il décide de prendre un chemin plus simple. Or, le documentaire lui permet aussi de prendre tous les mérites : il n’a plus besoin de partager les lauriers avec Albert, il fait son propre film et surtout, il contrôle son univers au maximum. Même hors du travail, on voit que son entourage réduit est prêt à tout pour lui.

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Je voulais revenir sur ces longues séquences de dîner, ces scènes collectives en plan-séquence qui sont très impressionnantes. Comment ça s’orchestre ? Comment ça se chorégraphie sur un tournage ?

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D’abord c’est un travail de casting. J’ai choisi des acteurs pour des rôles qui demandaient de s’approprier le texte et d’être particulièrement créatifs, notamment Albert et Blake. Arieh [Worthalter], par exemple, c’est un acteur fabuleux parce qu’il se transforme de film en film. On le regarde et ce n’est pas la même personne que dans « Le procès Goldman ». Il a cette capacité extrêmement impressionnante à se transformer, à l’opposé de certains acteurs que l’on choisit car ils sont plus ou moins les mêmes de film en film, on ne va pas se le cacher. Mais lui il est très investi. Pendant tout le processus, il prenait énormément de notes, on a eu beaucoup de discussions en amont. On a commencé par faire des petites répétitions avec tout le monde mais je ne voulais pas brûler les scènes de souper alors on n’a répété que la première scène. Je ne voulais pas qu’on se rende jusqu’à la dernière avant le tournage. Au départ je leur laisse beaucoup de liberté, puis je rectifie le tir. Mais il fallait que tout le monde se sente très libre puisque je voulais un souper qui ressemble à un vrai souper : les gens s’interrompent, parlent en même temps et il y a plusieurs conversations simultanées autour de la table. Pas un truc figé comme on voit dans la plupart des films, où tout le monde a son temps de parole, personne ne s’overlap etc. Alors, il y a une préparation qui s’est faite en amont, et j’ai aussi voulu avoir deux jours de tournage par scène, c’est un luxe que j’ai pu avoir. J’ai demandé ça parce qu’en général je me protège très peu, je découpe très peu, ce qui est très risqué au montage. En tout cas, presque tout le film est en plan-séquence. Mais comme ces scènes de dîner sont très longues, je voulais me donner la possibilité de monter un peu plus, en allant chercher des angles supplémentaires. Mais au montage je me suis rendu compte que ça fonctionnait excessivement bien en un plan, c’est tellement vivant, on voit tout le monde et j’aime beaucoup la liberté que ça laisse au spectateur de regarder plusieurs choses en même temps, et même de revoir le film en remarquant des choses nouvelles. 
Pour le dernier dîner, on n’a pas eu besoin d’un deuxième jour, on a fini plus tôt parce que quelque chose s’était installé. Et on se laissait beaucoup de possibilités sur le moment. Par exemple, si Arieh venait me voir pour me dire qu’il allait essayer un truc, je ne voulais pas savoir ce que c’était avant de le voir à l’œuvre. Il le faisait et on n’en parlait qu’après. J’avais besoin de travailler avec des interprètes capables de parfois sortir de la partition, d’y revenir, et de toujours rester dans la même pièce musicale.

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Et ce que vous appelez la liberté, ça concerne aussi l’improvisation dans le texte ?

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Non, le texte aussi ! Si on relisait le scénario aujourd’hui, on se dirait que ça suit à peu près la même structure. Mais un interprète exceptionnel rajoute de la couleur, et la couleur ce sont des mots. Je ne suis pas du tout jaloux de mon texte en général, j’ai toujours travaillé comme ça. Comme je recherche une certaine authenticité, une certaine vérité dans le jeu, j’accepte humblement de lâcher prise, de ne pas m’imaginer que je suis capable d’écrire la parfaite scène authentique avec toutes les pauses et le ton parfait pour tous les personnages. C’est toujours l’idée d’avoir un texte de base et de dire aux acteurs de se l’approprier, le dire de leur façon, et rajouter de la couleur s’ils en ressentent le besoin.

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Et tout ça produisant une circulation folle du jeu entre les comédiens. Vous parliez de la performance géniale d’Arieh Worthalter, mais les jeunes acteurs notamment ont une présence stupéfiante face à lui. Comment les avez-vous choisis et intégrés à cette troupe adulte ultra-confirmée (Irène Jacob, Laurent Lucas) ?

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C’était très naturel et je ne les ai pas du tout sentis intimidés. C’est le premier film d’Aurelia mais le contexte du tournage était très particulier, pour moi aussi, c’était le plus beau tournage de ma vie. On était vraiment isolés pendant trois mois ! Ça aurait pu être le cabin fever, les égos qui s’entretuent, mais c’est le contraire qui s’est passé. Il y avait une douceur, une espèce d’harmonie entre nous. C’était vraiment extraordinaire comme expérience, à vivre dans un lieu qui nous était complètement étranger à tous. Pour moi non plus ce n’est pas ma zone de confort. Je ne suis pas du tout comme Blake : après deux jours à la campagne j’en ai marre, je veux retourner dans une ville. Mais ils se sont extrêmement bien adaptés et ils sont au centre du film donc ils avaient leur place. Tout le film part de leur regard. Jeff d’abord, et plus le film avance, plus on prend le point de vue d’Aliocha qui devient un sujet.

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D’ailleurs je me demandais quel rôle avait joué la région dans la création du film. Les paysages sont omniprésents et imprègnent l’identité du film, la manière dont les corps sont cadrés dans l’espace. Quel est cet endroit et comment en êtes-vous arrivé à tourner là-bas ?

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Le casting a pris énormément de temps avant que je trouve les bons comédiens. J’ai d’ailleurs repoussé le tournage d’un an car je ne les avais pas encore trouvés. Ça m’a laissé le temps pour un exercice de repérage de fou, sur presque deux ans. L’environnement qu’on voit dans le film est filmé dans trois régions différentes, à des centaines de kilomètres, trois régions du Québec que je ne connaissais pas. Le directeur de la photographie qui devait faire le film, Olivier Gossot, connaissait très bien le Québec, beaucoup plus que moi alors qu’il est français, car il est passionné de kayak. Il m’a fait découvrir un paquet d’endroits et on a choisi nos lieux de tournage comme ça. Ça représentait évidemment un défi de production car on a tourné dans des endroits où il n’y avait ni électricité ni eau potable pendant plusieurs semaines. Comme le tournage s’est décalé, Olivier n’était plus disponible, mais on avait déjà tout trouvé, les repérages étaient déjà établis.

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Y-a-t-il des films que vous avez revus, ou auxquels vous pensiez particulièrement, pour le travail de l’image par exemple ?

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Au niveau visuel, les ambiances, la texture, ces scènes de forêt, j’ai demandé à Balthazar [Lab, directeur de la photographie] de revoir « Délivrance », de John Boorman, « Voyage au bout de l’enfer » de Cimino, et « La bête lumineuse » de Pierre Perrot qui est cité dans le film à travers la scène du lapin dépecé. C’est un documentaire, tourné en 1982 par Perrot qui est un monstre sacré du cinéma-vérité. En tout cas, j’avais l’envie de chercher l’ambiance et la texture de films des années 70 qui m’avaient marqué. On a tourné avec des vieilles Panavision, des objectifs avec lesquels « Délivrance » a peut-être été tourné. Ce sont des éditions très rares, on ne sait pas quels films ont été tournés avec mais il y a de bonnes chances qu’ils aient servi à ces films-références. Je fais énormément de prises donc je dois tourner en digital, mais il y a quand même une recherche d’un grain et d’un format, l’anamorphique, le cinémascope, on voulait retourner à cela.

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On parlait du rythme du film, de décisions que vous avez prises au montage, y a-t-il des choses dont vous vous êtes aperçues à cette étape ?

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Oui, par exemple la scène de canoé, à la fin, était beaucoup plus compliquée au départ. On a tourné plusieurs jours sur la rivière avec des cascadeurs. Je suis quelqu’un qui aime bien les accidents. Je suis un peu à la recherche des beaux accidents, de l’inattendu. Mais pour créer l’inattendu, il faut que tout soit extrêmement bien préparé. Pour saisir l’inattendu, il faut le voir aussi, et pour ça il faut être dans un état de réception, dans un état de sécurité. Je parle vraiment de tournage, pas d’improvisation. Et finalement j’ai remonté la scène du canoé en reprenant des vrais accidents qui s’étaient produits pendant le tournage : des acteurs qui tombent à l’eau pour de vrai, dans un vrai rapide. Je trouvais ça beaucoup plus vrai que toute cette gamique avec des cascadeurs. Tout ça s’est beaucoup simplifié. J’ai aussi retiré des choses inutiles : Jeff rencontrait un ours dans le bois, je trouvais que ça faisait beaucoup, il y avait un sauvetage à la fin. J’ai été sauvé parce qu’on avait beaucoup de jours de tournage, et sans tout ce matériel je n’aurais pas pu naviguer aussi bien dans le montage.

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Scénaristiquement, c’est une scène de tension, qui vient après une sorte de climax au sommet d’un rocher, et il est vrai qu’elle coule dans un calme tout à fait paradoxal.

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C’est pour ça que l’accident m’intéresse comme motif. C’est un événement tout à fait secondaire à l’histoire en soi – c’est aussi la vanité de Blake qui les amène à ça, c’est sa responsabilité, c’est la nature qui a le dernier mot – on peut y voir toutes sortes de choses mais au fond les accidents arrivent souvent d’une façon bête, quand on dit que des gens se noient dans trois pieds d’eau [0,9 mètre] c’est la réalité ! Tout l’artifice autour d’un sauvetage, un personnage coincé sur une roche, ça ne me plaisait plus. Je trouvais ça plus drôle aussi que les personnages chavirent bêtement. La plupart s’en sortent sans égratignure, et quand ça se passe mal pour quelqu’un c’est hors-champ.

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Au-delà de cet ours coupé au montage, les animaux sont omniprésents. Qu’est-ce qui vous attirait vers cet attirail symbolique ?

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Ce n’est pas vraiment une symbolique que j’ai voulu plaquer. Mon approche ne vient pas du cinéma conceptuel. Je ne pars pas d’une idée avec la volonté de faire une démonstration. Ce serait triste d’ailleurs, ce serait plus stérile je crois. Je pars de la sensibilité de mes propres personnages, de leur intériorité, et je les confronte à la nature. Il y a un environnement qui est celui des égos, du contrôle, du bullying, des apparences, de la vanité, des sentiments amoureux qu’on essaie en vain de contrôler, de la convoitise – tout ce qui fait partie de nous, qu’on veuille ou non l’admettre. Dans la maison c’est un peu ça, mais dès qu’on en sort, c’est un environnement que l’on ne contrôle plus, nous dépasse et nous replonge à notre silence, notre intériorité. Les animaux font toujours partie de cela.

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Peut-on parler du poème qui clôt le film ?

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Pour moi c’était très important de finir le film sur Aliocha. J’aurais effectivement pu terminer le film sur Blake et la mort du chien, Jeff qui le voit craquer pour la première fois. Or, sur les vingt dernières minutes, c’est plutôt elle qui s’avance progressivement. Pendant que tous ces égos se battent entre eux, elle se réfugie dans la littérature, dans la poésie, alors qu’on essaie de l’objectifier dans un univers très masculin et patriarcal. Elle est déjà un sujet mais, à la fin, elle s’affirme. Le poème que j’ai choisi, d’Emilie Dickinson, va un peu dans ce sens. Ne cherchez pas à m’enfermer dans une catégorie. Je suis libre et j’ai conscience que ma liberté dérange. Cet appel à la liberté revient un peu à l’idée du feu, une flamme qu’il faut garder en soi, intacte. C’est une liberté à préserver car elle est constamment menacée. On peut la perdre sans même s’en rendre compte.

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Et cela se joint à un onirisme, sous-tendu pendant tout le film et qui éclot dans les vingt dernières minutes.

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C’est venu d’une manière assez naturelle. Ils viennent de vivre des expériences assez traumatisantes pendant tout le voyage, ils ont subi beaucoup et quelque chose se reflète dans les rêves. On donne un accès direct à leur intériorité nocturne. J’ai aussi un malin plaisir à déjouer les attentes. On ne s’attend pas à un rêve à ce stade du film, comme on ne s’attend pas à la chanson qui les précède, un autre moment de lyrisme et d’onirisme. C’est vrai qu’à cet endroit il y a quelque chose d’un peu fantastique. Le film finit un peu sur cette note, comme « Genèse » se finissait sur une autre histoire, sans qu’on sache exactement où on est par rapport à la précédente. C’est une liberté que je me suis donnée et qui me stimule beaucoup. Il y a toujours une envie en moi de déconstruire la manière dont on raconte la fiction. La façon dont on raconte les histoires n’évolue pas tant que ça, et je partais d’une envie de déjouer les attentes avec un rêve, une chanson, qui donnent au film la possibilité de se transformer à nouveau. J’aime l’idée qu’un film effectue une transformation, et c’est un geste de liberté aussi : ne pas s’enfermer dans la prose, dans des manières conventionnelles, de film en film. J’aime bien la digression. Je trouve que le cinéma ne le permet pas beaucoup. Si on finissait un roman sur un poème, les gens ne poseraient pas de question. Un autre art, qui se développe beaucoup et que je trouve fascinant, c’est le roman graphique. C’est incroyable les libertés qu’on peut y prendre : entrer dans un rêve, changer de narrateur. C’est quelque chose de très stimulant : comme spectateur, je veux me surprendre moi-même !

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Propos recueillis par Victor Lepesant à Berlin, le 20 février 2024.