Interview de Patrick Bouchitey

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Par Super Seven

le 25/10/2023
Photo de Patrick Bouchitey

Patrick Bouchitey

A l’occasion de sa présence au Festival Lumière 2023, nous avons rencontré Patrick Bouchitey, venu présenter la restauration de l’une de ses deux seules réalisations, Lune Froide, qui ressort le 15 novembre en salles grâce à Malavida.

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Pour commencer, comment vous est venue l’idée d’adapter Bukowski, et pourquoi ce récit là en particulier ?

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J’ai rencontré l’écriture dans les bouquins de Bukowski, en 1976-77. J’avais acheté "Les Nouveaux Contes de la Folie Ordinaire", et la première nouvelle sur laquelle je tombe c’est "La Sirène baiseuse de Venice Californie", qui m’avait vraiment intéressé. Je trouvais que c’était une situation très cinématographique. Longtemps après, dans les années 80, j’ai eu envie de tourner quelque chose, parce que j’avais quand même fait pas mal de films en tant qu’acteur, et j’avais observé beaucoup les réalisateurs, je trouvais ça intéressant l’ambiance des tournages… Donc mon choix s’est porté sur cette nouvelle ! Alors j’ai eu quand même du mal à être fidèle à la nouvelle telle qu’elle était, parce que je ne suis pas Bukowski, et il y a quelque chose qui me dérangeait par rapport à cette histoire de ces deux alcoolos qui font l’amour avec une morte puis qui la re-balancent aux requins. Je ne pouvais pas le tourner comme ça. Donc l’idée c’était de refaire vivre cette morte, parce qu’un des deux personnages tombe amoureux d’elle, et la ramène à son élément où elle redevient vivante puisque c’est une sirène. Je n’ai pas abordé l’adaptation de la nouvelle exactement comme « réaliste », mais plutôt comme un conte.

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Le film était donc en premier lieu un court-métrage, qui a obtenu le César de cette catégorie. Comment s’est faite la transition vers le long ?

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Alors le court-métrage c’était en 1988. J’ai été amené à le montrer pas mal à Paris, puis de fil en aiguille Luc Besson m’a rencontré puisqu’il voulait savoir ce que je comptais faire par la suite, et je lui ai dit que j’aimerais développer ces deux personnages. On est donc partis en coproduction à 50/50 avec Luc et puis ça s’est fait quoi ! Après je l’ai écrit avec Berroyer (Jackie ndlr), il y a des personnes qui ont été très importantes pour le long-métrage. Lui et puis l’opérateur Jean-Jacques Bouhon, avec qui j’avais une très bonne complicité. Donc oui ça s’est fait en deux temps, et la fin du film c’est le contenu du court-métrage, leur secret.

Mais ça n'était pas forcément pensé de base puisque je l’ai adapté tout seul, je l’ai fait avec des moyens réduits. Enfin à l’époque, j’avais commencé "La Vie Privée des Animaux", ce qui m’a donné la possibilité de financer mon court-métrage. C’est un premier court alors il y a peut-être des petits ratés mais bon, c’est bien aussi il faut savoir rebondir sur les petits accidents. Être un amateur, mais un amateur éclairé !

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Au début, le film est dédié à deux acteurs : Patrick Dewaere — avec lequel vous avez tourné — et Xavier Saint-Macary. Ce sont des acteurs que vous auriez aimé diriger ?

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Oui, c’est sur que si ils n’avaient pas disparu tragiquement avant, je leur aurais proposé le court-métrage. Avec Xavier on a fait "Le Plein de Super" de Cavalier (Alain ndlr). Donc oui c’est pour ça que je leur ai dédié.

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Dans le jeu du protagoniste que vous incarnez, on retrouve une physicalité qui justement ramène à Dewaere, notamment dans "Série Noire", est-ce que vous avez puisé dans cela pour votre interprétation ?

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Ouais, peut-être, enfin on est inspirés de plein de choses. Mais moi je ne voulais pas le jouer au début. En fait je n'ai eu aucun soucis pour trouver la morte, alors que je pensais que ce serait le plus compliqué. Il y a eu des essais avec plein de femmes actrices — et non actrices d’ailleurs. Mais cela dit, ce n'est pas si évident que ça de s’abandonner totalement. Quand j’ai choisi Karine Nuris pour jouer la morte, je lui avais demandé d’aller s’attacher au fond de la piscine à une gueuse pour contrôler sa respiration et elle l’a très bien fait.
Bref, au début je ne voulais pas le jouer ce personnage avec un rôle un peu ingrat, par rapport à Simon/Stévenin (le personnage de Simon est incarné par Jean-François Stévenin ndlr) qui est un peu plus profond affectivement, sentimentalement. L’autre il est un petit peu mythomane et insensible à beaucoup de choses, très souriant… Donc j’ai essayé de faire deux personnages qui sont un peu deux clowns ; le clown blanc et le clown Auguste.

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Dans une ancienne interview vous parlez d’une maxime qui dirige votre vie : « jouir d’un rien et se jouer de tout ». C’est un peu ça votre personnage non ?

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Oui c’est une maxime que j’aime bien. Il y en a quelques unes comme ça… Il y en a une autre de René Charles qui dit « concevoir en stratège et agir en primitif ». C’est vrai que j’aime bien tout ce qui est créatif.
Avec ce film je savais bien que je touchais à un tabou, et à l’époque il n'y avait pas encore « MeToo » et tout ça, sinon je n'aurais peut-être pas trouvé un sou pour le faire.

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C’est vrai qu’aujourd’hui produire un tel film semble difficile. Que représente pour vous cette restauration et ressortie ?

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Ça a été tourné en 35 péloche, et ce qui est bizarre c’est que pour avoir ce noir et blanc l’opérateur avait utilisé une pellicule couleur. Je n'ai jamais très bien compris pourquoi, mais bon c’est le travail des opérateurs. Et on coupait dans la pellicule, allez hop !
Un travail a été refait, c’est ce que je voulais. J’avais opté pour le noir et blanc parce que la lune, le linceul, la femme nue… je trouvais que ça allait bien avec l’atmosphère du film. Je ne le voyais pas en couleurs.

J’en suis très heureux, parce qu’un film quand il n'est pas restauré ou numérisé aujourd’hui — ce qui a un coût alors que ça ne sont pas des films qui peuvent rapporter beaucoup non plus —, il passe un peu aux oubliettes.
D’ailleurs parallèlement au film où ils redonnent la vie à une morte, là je redonne la vie à un film.

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D’ailleurs sur votre travail "Micro Climat", vous avez dit qu’il fallait « retourner comme des chaussettes » les images qu’on nous a vendu pour en faire autre chose. C’est aussi un peu ça le travail de ressortie, montrer un film dans un nouveau contexte pour une lecture différente ?

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Oui je pense ça. D’abord montrer le film à une nouvelle génération. Comme il va sortir dans pas mal de salles le 15 novembre (on va faire une petite tournée dans les villes pour accompagner sa sortie), on va voir quelles sont les critiques, comment les gens le reçoivent … Je suis très curieux de savoir comment le public, la salle va réagir… C’est un tabou quand même, on touche à quelque chose d’un peu brûlant. En parlant de citations, c’est Pablo Picasso qui disait « rompre les tabous », ou alors Pasolini qui disait « filmer c’est écrire sur du papier qui brûle ». J’ai été guidé par ce genre de phrases.

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Le moment où le personnage double un film sans son rappelle ce que vous avez fait plus récemment dans Micro Climat…

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Oui, enfin je faisais déjà du détournement, j’ai commencé dans les années 80. Avec mon premier magnétoscope j’avais la possibilité de changer le son parce qu’il y avait des prises de micro et j’ai commencé à m’amuser. Je n'avais pas de moyens, j’ai pris des images de la télé, et puis après il y a eu Les Animaux… C’est pour cela que ça apparait dans le film, à deux moments : d'abord avec un poisson que je fais parler, et puis quand il est en train de doubler un western… c’était lié à ce que je faisais. Et c’est ce qui a donné après ce que personne n’a vu, ou très peu : Micro Climat. Mais vous savez c’est comme des dessins, il y’en a des plus ou moins réussis et bon c’est comme ça. Un gros travail en amont et puis, sur le moment, rentrer dans les personnages. C’est un travail d’acteur, je suis obligé de rentrer dans l’image d’un personnage !

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Votre travail sur ce rapport aux images se ressent dans "Lune Froide" et permet aussi de gagner deux degrés de lecture : celui plus littéral et celui dans lequel va se projeter le spectateur.

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Vous savez, ceux qui ont revu le film n’ont pas la même lecture. Mais c’est souvent le cas dans les films, il y a des choses qu’on ne voit pas bien et le fait de le revoir permet plusieurs lectures je pense. Mais bon je ne sais pas si je le ferais aujourd’hui de toute façon, c’est bien de l’avoir fait. C’est un film un peu inconscient. Mais ça n'a pas été simple de le mener au bout.

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C’est vrai qu’on a dit qu’il serait difficile à produire aujourd’hui, mais dès sa sortie il a fait scandale.

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C’est à dire qu’il était quand même en sélection officielle à Cannes, et la première fois que j’ai vu le film mixé, fini, c’est dans la grande salle de Cannes. Grosse émotion quand même. Après il y a les gens qui étaient pour et les gens bon… c’est toujours pareil pour ce genre de sujet.

C’est un sujet très tabou la nécrophilie. Mais si quelqu’un voit le film comme mettant en avant la nécrophilie alors il n'a rien compris. Parce que ça n'est pas réaliste. Une morte ce n’est pas comme ça. J’avais été à la morgue pour voir justement des corps morts, bah la pesanteur a fait son effet, c’est pas rebondi comme ça. Là c’est ce qu’ils disent : elle a l’air vivante.

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Votre rapport à la musique est très important, et vous semblez avoir mis beaucoup de vous dans le personnage de Dédé.

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Evidemment, moi j’ai grandi toute ma jeunesse en faisant de la musique, j’étais dans des groupes, on copiait les anglo-saxons (Les Beatles, les Stones, les Kinks…). Alors c’est pour ça que dans la bande son il y’a tout ça. Ce sont des chansons qui ont bercé ma jeunesse… Hendrix c’était vraiment pour moi un OVNI, pour tous les guitaristes de l’époque… On ne se rend peut-être pas compte aujourd’hui, mais l’arrivée d’Hendrix en Europe ça a été extraordinaire. Donc c’est pour ça qu’il est très présent dans le film, avec mon ami Didier Lockwood aussi qui a fait toute la bande son.

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Et ça n’était pas difficile d’amener ces choses personnelles dans un personnage aussi antipathique ?

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Il ne faut pas dire qu’il est antipathique, je crois qu’il est allumé quoi. Donc ça m’a amusé moi. Je ne fais pas une carrière de cinéaste, simplement j’ai fait deux films et à chaque fois c’est des films où j’avais des proches autour de moi… "Imposture" mon deuxième film c’est ma compagne qui a joué le rôle, alors qu’elle n'était pas actrice. C’est comme ça que je sens les choses, je ne fais pas une carrière de cinéaste qui réalise un film par an, à tort ou a raison mais bon …

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Est-ce que ça vous a apporté dans votre carrière d’acteur d’avoir dirigé ?

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Non, je ne pense pas. Parce qu’on aime bien souvent être dans un cadre bien strict ; acteur, réalisateur … J’ai fait plein de choses, je suis éclectique, que ce soit la musique, la photo, la décoration, la création de plein de choses… Je me diversifie beaucoup… Mais j’ai été un peu déçu parfois, parce que je voulais monter des projets qui étaient trop ambitieux financièrement parlant, donc je suis passé à d’autres choses. C’est pour ça qu’il y a eu tout mon travail sur "La vie privée des animaux", "Micro Climat" après, et j’en passe et des meilleures. Chacun son parcours hein.

J’avais quelque chose à dire aussi et je voudrais terminer là-dessus. Tout le film, mine de rien, a été écrit et ce n’était pas du tout improvisé, sauf la fin. Quand ils sont dans la voiture après avoir rendu cette femme, enfin cette sirène, à son élément (la mer), c’est la seule scène du film qui est improvisée. On l’a tournée une fois et je dois dire un truc c’est que j’avais même fumé un … j’avais demandé à "Marie-Juana" de m’aider, et c’est pour ça qu’il y a cette espèce de scène un peu débridée où il est allumé, et l’autre est dans l’émotion, la fin du film.

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Propos recueillis par Pauline Jannon le 19/10/2023.