Interview de Louise Labèque

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Par Super Seven

le 03/12/2022
Photo de Louise Labèque

Louise Labèque

Après une première collaboration dans "Zombi Child", Louise Labèque nous parle de son nouveau passage chez Bertrand Bonello avec COMA.

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"Coma" est un film morcelé, parfois opaque pour celui qui le regarde. C’est notamment par le montage que le sens se crée. Pour toi qui as connu le film brut, à l’étape de l’écriture, quelle a été ta lecture du scénario ?

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C’était assez perturbant. Il y avait des images de révélateur, des photos de poupées, c’était assez décousu. Quand je l’ai lu, j’étais un peu perdue, j’ai dû le lire plusieurs fois. La première fois, j’étais un peu choquée, je savais que Bertrand voulait me faire lire un scénario mais je ne m’attendais pas du tout à ça. J’ai dû le poser quelque part, quelques jours, puis y revenir, j’avais besoin de digérer ce que j’avais lu. Tout de suite, ce qui m’a frappée, c’est la lettre qu’il a faite à sa fille. Dès le départ elle est écrite dans le scénario, puis les dialogues commencent. Je n’avais jamais lu un scénario comme ça. C’était très particulier mais en même temps très excitant à faire. Il y avait le texte des Barbie, Sharon etc. donc c’était très drôle dès le départ aussi.

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Après cette lecture, comment en as-tu discuté avec Bertrand ? Avais-tu besoin d’une traduction, d’explications sur ce que tu avais reçu ?

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On a pris un café, il m’a demandé si j’avais des questions, si j’avais compris. Mais on n’a pas tant parlé que ça. Sur le tournage, il m’a laissé pas mal de liberté. J’ai senti qu’on était mutuellement en confiance. Je n’ai pas de partenaire de jeu finalement, j’ai joué quasiment tout le film avec un bout de scotch sur la caméra, donc c’était surtout un travail intérieur, très cérébral, de regard. J’en ai parlé avec lui, mais en même temps il m’a laissé tranquille, sans me demander trop ce que j’en pensais. Il me l’a fait lire un peu comme s’il l’avait donné à sa fille. C’était vraiment très naturel.

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Il se trouve que c’est un enjeu particulier – déjà sous-tendu dans "Zombi Child", mais évident dans "Coma" – d’être un alter ego de la fille du réalisateur. Comment prends-tu cette mission ?

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Je ne connais pas vraiment Anna donc je n’ai jamais eu à l’esprit de l’imiter ou quoi que ce soit. Je pense que quand j’ai rencontré Bertrand pour "Zombi Child", certaines choses en moi lui faisaient déjà penser à sa fille mais je ne m’en suis jamais rendu compte : quand on a fait "Zombi Child", je ne pensais pas du tout que j’étais sa fille de cinéma. C’est quand il a écrit "Coma" et qu’il me l’a proposé que j’ai compris ce rôle, d’être sa fille à l’écran. Ensuite, j’ai juste voulu être sincère, me mettre dans la peau d’une fille de 18 ans. Anna et moi avons le même âge et, pour le film, c’est presque suffisant.

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Et justement, dans ce personnage, qu’on appelle « ce personnage » parce qu’il n’est pas nommé, il peut y avoir n’importe quel jeune face à cette époque, face à des angoisses universelles. Comment compose-t-on une page blanche ?

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J’avais très envie de mettre de moi dedans. Je me suis plongée dans ma tête et j’ai essayé de ressentir les choses comme moi je les aurais ressenties sur le moment. Puis j’ai fait appel à ce que j’ai ressenti pendant le confinement, lorsque j’étais toute seule sur mon téléphone, dans ma chambre. Les angoisses dont parle Bertrand dans le film sont aussi mes propres angoisses. C’est un film adressé à la jeunesse et moi ça me parle. Le terrorisme, l’écologie, ce sont des choses qui me concernent, qui me touchent beaucoup. J’ai essayé de penser à la jeunesse et en même temps à moi dans un même geste.

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Bertrand a dit avoir été tout de suite soulagé par ta compréhension immédiate des enjeux d’ailleurs. Autre enjeu : la majeure partie du temps tu es seule face à la caméra, après le précédent film de Bertrand, "Zombi Child", qui était, lui, un pur film de groupe.

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Oui, "Zombi Child" était vraiment un film de groupe. On était une sororité, un groupe de filles donc il y avait ce truc d’énergie de groupe à trouver, même hors des scènes. Il y avait très peu d’improvisation mais on trouvait toujours des petites choses, des détails entre nous. Là j’étais un peu livrée à moi-même, à devoir imaginer des Barbie. Même là scène où le personnage est dans la forêt, en vue subjective, avec Patricia Coma, j’étais là, derrière la caméra et je jouais le texte. C’était étrange : j’avais envie d’être avec Patricia Coma, j’avais envie d’avoir les Barbie en face de moi mais j’étais toute seule. Ce qui m’a servi après pour le jeu, parce que j’ai vraiment dû plonger en moi. Quand il pose la caméra et qu’il me dit de juste regarder les Barbie, à aucun moment il ne me dit « Regarde juste puis on laisse tourner trois minutes. ». Il fallait qu’il se passe quelque chose dans ma tête, il fallait qu’il se passe quelque chose dans mon regard. C’était crucial pour qu’il se passe quelque et qu’on croie à ce show de Barbie.

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Et le jeu sur Zoom, c’est un autre dispositif compliqué.

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Ça on a répété. On pourrait penser que c’est improvisé mais on l’a beaucoup répété, c’est vraiment écrit à la lettre. Quelques trucs se sont rajoutés mais autrement c’était très précis. C’est une scène qui était assez compliquée, même techniquement, car comme on était vraiment en Zoom les unes avec les autres, il devait y avoir une personne de l’équipe à chaque fois pour nous accompagner. Moi j’étais avec Bertrand, Ninon [François] elle était avec d’autres personnes, puis on a fait beaucoup de prises. Mais au final elle marche bien, on s’est amusés.

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Comment as-tu envisagé le premier degré que doit avoir ton personnage, dans des moments de violence proposés par le texte, mais que tu joues avec beaucoup de placidité ? Tu dois montrer cette violence sans qu’elle frappe vraiment.

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Ce personnage encaisse beaucoup, elle a quelque chose de très interne pendant tout le film. Donc il faut un jeu plat, quelque part, montrer peu. Mais c’était toujours par rapport à moi, je me disais d’abord : tu encaisses, tu absorbes quelque chose de violent. C’est une forme d’encaissement, de quelque chose qui rentre, il faut sentir que c’est très tendu, que ça peut craquer à tout moment. À tout moment elle peut péter les plombs. Tout ce qu’elle fait avec le couteau par exemple, sans qu’on sache si c’est réel ou pas, renvoie à une tension très palpable dans le film.

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Bertrand vient chercher chez sa fille et chez toi, parallèlement, quelque chose de générationnel, le ressenti d’une période, propre à un âge. Ce que tu as ressenti, pendant le confinement notamment, a-t-il été important pour faire ce film ? En avez-vous parlé tous les deux ?

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Bertrand ne m’a jamais beaucoup parlé du Covid, le film ne parle pas tant que ça de la crise du Covid, c’est plus un cadre suggéré. Par contre, quand je lis, dans le scénario « L’adolescente est sur son lit, sur son téléphone », je me vois en fait. Pendant le confinement, j’ai passé mes journées sur mon téléphone, j’ai déprimé, j’étais angoissée, je faisais que regarder l’actualité, il y avait un cercle vicieux d’écrans autour de moi en permanence. J’en ai parlé avec Bertrand mais c’était évident pour nous deux. C’était évident cette spirale infernale d’informations anxiogènes. Ça faisait sens pour moi.

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D’ailleurs, maintenant que le film est sorti, quels mots mets tu sur cette aventure hybride et atypique pour en parler aux gens ?

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On entend beaucoup que c’est un film expérimental, un OVNI. Maintenant je l’ai vu quatre fois, et plus je le vois, moins je pense que c’est un OVNI. C’est très singulier, très particulier, par rapport à ce qui sort habituellement, mais aussi extrêmement actuel, tout à fait lucide. Bertrand ne prend pas du tout la jeunesse de haut. Au contraire, le film est adressé à la jeunesse et très universel. J’ai encouragé des amis à aller le voir, ils ont tous beaucoup aimé et ont repensé à cet aspect-là. Sinon ma mère est sortie en larmes, mon père un peu plus remué. Quand j’en parle je dis que c’est avant tout une expérience qui dépend vraiment de chacun. On rentre dans la tête d’une jeune fille, en naviguant entre ses rêves et la réalité. C’est une expérience à vivre, que ce soit un film expérimental, dramatique ou autre chose.

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Certaines choses que l’on peut se mettre en demeure de suranalyser sont en fait souvent très simples lorsque Bertrand en parle.

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Parfois tout est juste sous nos yeux. Quand j’ai lu le scénario, j’avais l’impression que c’était très compliqué, qu’il y avait peut-être des contre-sens, des choses à creuser mais le recul permet de voir que ce n’est jamais si compliqué, si expérimental.

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Il dirige comme ça aussi, avec ce langage particulièrement limpide ? Ou il te laisse une zone de mystère aussi ?

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C’est bien, j’arrive à prendre du plaisir à tous mes tournages avec des manières de travailler différentes. Avec Bertrand c’est toujours très particulier, c’est jamais comme avec les autres réalisateurs. Habituellement, c’est très rapide, il faut être prêt, donner ce qu’on a tout de suite. Avec Bertrand, il y a le temps de la réflexion, il me laisse aller chercher des choses, c’est très agréable. Et oui, il est très limpide, mais ce n’est pas quelqu’un qui parle beaucoup. Parfois, avec un simple regard on peut se comprendre. Comme j’avais déjà fait "Zombi Child" avec lui, j’avais déjà beaucoup répété et travaillé avec lui, il était beaucoup plus rassurant envers moi pour les scènes, on décortiquait tout avant de tourner. Là, pour "Coma", c’était très familial comme tournage, des instructions très simples : « on fait la scène c’est ok ? T’as un truc à me dire avant ? » Puis tu peux te lâcher plus. Il était très détendu. On ne se parlait pas beaucoup mais on se comprenait. Comme je n’avais pas beaucoup de texte, ça passait toujours par le regard.

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D’ailleurs, ayant assisté à une aventure de production si différente, qu’est-ce qui t’a le plus surpris une fois le film fini devant tes yeux ?

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J’ai été surprise par tout quand je l’ai vu. J’ai fait principalement des scènes dans la chambre mais je n’ai pas vu le reste. Le plus long, ça a été toute l’animation, ça a duré trois mois à peu près, je n’ai pas assisté à tout ça. Et même, lors des scènes en forêt, on tournait de jour, ils ont mis une nuit américaine par-dessus, donc je n’avais pas du tout ce côté angoissant, très sombre, lynchéen. J’étais très étonnée de voir le rendu final mais j’adore ces films hybrides. Beaucoup de choses s’enchaînent, on ne s’ennuie jamais, les choses vont et viennent. La première fois que je l’ai vu j’étais en apnée face à cet enchaînement. Aussi, les dialogues avec les Barbie, quand je les ai lus, j’ai plutôt rigolé. Mais en les voyant à l’intérieur du film, j’étais beaucoup plus angoissée. Avec les rires préenregistrés, il y avait un côté beaucoup plus glauque et sombre que quand je les ai lus. La lettre aussi est beaucoup plus poignante avec les images qui l’accompagnent. Dans le rendu final, il y a des sensations qu’on ne pouvait pas imaginer.

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C’était libérateur d’ignorer, au moment du tournage, une partie de cette angoisse que comprend le film ?

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Oui, j’ai passé un bon tournage, c’était très familial, léger. Paradoxalement, rien à voir avec le produit fini, dont je suis ressortie assez mal, angoissée. Il y avait quelque chose de très angoissant pour mes parents aussi, pas seulement pour la jeunesse. Mes parents aussi m’ont vu moi quand ils ont vu ce personnage à l’écran. Ils savent que le terrorisme, l’écologie etc. sont des choses qui ont profondément bouleversé ma vie celle des jeunes de mon âge. On se trouve forcément concerné.

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Et pourtant avec cette forme libre, ce processus de production décontracté, on sent que ce n’est qu’un film, que tout cela n’est pas très grave, comme dirait Patricia Coma.

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Oui « Le printemps revient toujours ». Il y a de l’espoir et une forme de légèreté, même si le fond est très sombre, il ne l’a pas fait d’une façon non plus atroce, il y a quelque chose d’assez enfantin, dans le film : le regard que j’ai moi, les Barbie etc. Bon, c’est vrai qu’il y a du gore avec les Barbie aussi…

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Propos recueillis par Victor Lepesant le 1/12/2022.