Interview de Léonor Serraille

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Par Super Seven

le 17/02/2025
Photo de Léonor Serraille

Léonor Serraille

Présenté ce samedi en compétition, Ari le nouveau film de Léonor Serraille est un coup de cœur immédiat, qui renoue avec les intimités chaotique de Jeune Femme. Subjugués, entre autres, par le lien organique tissé tissé entre la caméra et la galerie de jeunes comédiens à l’affiche du film, nous sommes allés à la rencontre de la cinéaste pour aborder son rapport à l’actorat.

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Ari a été conçu, entre autres, dans le cadre d’un atelier avec les étudiants du conservatoire de Paris. Pouvez-vous nous décrire ce processus ?

Photo de Léonor Serraille

On m’a proposé un cadre superbe. C’est le troisième film d’une collection en partenariat avec le conservatoire de Paris, que Grégoire Debailly [producteur du film, Geko Films, ndlr] a commencée avec À l’abordage puis il y a eu le film de Léa Fehner [Sages-femmes, 2022, ndlr]. J’ai été contactée avant le Covid et j’ai fait le troisième. C’est vraiment un cadeau. On a le droit de travailler avec des promotions, on en choisit quinze et on fait un atelier, mais en vrai on est censé arriver avec une idée de film, et c’est ça que j’ai fait. Je les ai rencontrés, en même temps j’ai développé une idée, puis j’ai confronté les deux et je me suis rendue compte que nos conversations m’avaient beaucoup impactées. Je les rencontrais avec une idée de film-chorale sur des jeunes profs, puis je me suis dit que j’allais mettre ça de côté et que le cœur de nos discussions m’intéressait énormément. Ils se sont beaucoup confiés, j’étais très surprise, j’avais un peu l’impression de faire des entretiens psy. Mais il y avait un truc très intime, c’était très beau. J’ai été troublée par ce qu’ils me racontaient d’eux. La question de la paternité revenait beaucoup chez les garçons. Ça m’a étonné parce que pas du tout chez les femmes. Je suis repartie avec ça, et j’ai écrit mon histoire. Je les ai fait répéter pour choisir Ari, qui aurait pu être n’importe lequel parmi les quinze, filles ou garçons. J’ai choisi Ari au bout de trois jours, on a répété encore et je suis partie en écriture. C’est-à-dire qu’Andranic Mannet m’a dit oui pour le rôle sans avoir lu de version finale. J’ai un peu stressé quand même, je me suis dit : il faut que je lui envoie, on se rapproche du tournage, il ne sait pas ce qu’il va jouer finalement. Il a redit oui, heureusement. Puis j’ai réécrit beaucoup en rajoutant, trois semaines avant le tournage, la question de l’enfant qui me semblait être le ciment qui manquait entre toutes ces scènes de discussions.

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Une chose frappante dans le film, c’est la précision sociologique du texte, le parler, le vocabulaire qui définit les personnages très naturellement. Comment avez-vous travaillé à obtenir cela avec les comédiens ?

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Il y a une base d’écriture, c’est une base de travail, une proposition que je fais et après, on teste. Je n’avais jamais fait ça, mais pour ce film-là je leur ai demandé d’improviser énormément à partir de leur personnage. Je les ai filmés, j’étais seule avec un iPhone, pour des impros qui allaient jusqu’à quinze minutes. Ils étaient lancés, je les ai un peu aiguillés. J’ai recopié parfois des extraits entiers de ce qu’ils avaient dit, qui sont devenus des scènes. Parfois pas du tout, parfois des phrases, parfois des mots, parfois des blagues, un peu de tout. Il y a quand même des points communs entre chaque acteur et le rôle qu’ils interprètent. Ryad, j’ai écrit ce rôle pour Ryad Ferrad, il s’appelle comme ça dans la vie. Pour Jonas, Théo Delezenne qui l’interprète avait envie de s’amuser avec ce personnage, il avait envie de déconner. C’est aussi un univers qu’il connaît, il y avait quelque chose de très franc, il avait envie d’y aller, de s’amuser avec un personnage de droite qui va taper sur les gauchos. Et c’est parce que c’est un univers qu’il connaît qu’il pouvait s’amuser avec les mots. Il y avait beaucoup de propositions d’eux, c’était un mélange, une matière que j’apportais, ils rebondissaient, je renvoyais la balle. On le fabriquait comme un plat, une petite recette.

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Une des choses les plus lumineuses du film, c’est la joie qu’apporte à Ari de travailler avec des enfants. Comment avez-vous créé les conditions pour qu’il en soit de même avec Andranic Manet ? Était-ce difficile de les diriger ?

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Ce n’était pas difficile du tout, c’était même très agréable. La classe a rencontré Andranic Manet pendant une journée, et en dix minutes ils sont devenus très amis avec lui, ils l’adoraient. Ils comprenaient la situation, qu’on allait jouer avec elle mais ils n’avaient pas de texte à apprendre. C’était comme du documentaire, filmer Andranic dans la classe et c’est tout. C’était très drôle. Ça marchait parce qu’ils l’adoraient et réciproquement. C’était génial car, par exemple, on mettait une tortue dans la classe et il fallait être très réactif avec la caméra, il ne fallait rien perdre. Et c’était très court car au bout de dix minutes, il fallait qu’ils se reposent. C’est très cadré les enfants en tournage. On avait dix minutes et il fallait que ça envoie. Mais ce n’était pas difficile car il y avait l’envie de faire ressortir le naturel de ces enfants et leur complicité, donc c’était des jeux, des situations très simples. J’essaie juste qu’ils me fassent confiance, qu’ils fassent confiance à Andranic et après j’interviens pendant les prises, je discute un petit peu. C’est le premier tournage où je parle pendant les prises. Je suis là, très proche d’eux. Quand ils discutent tous ensemble de questions sur l’amour dans ce qu’on appelle l’atelier philo, je suis vraiment dans le cercle avec eux. Je peux dire à Sébastien [Buchmann, directeur de la photographie] « rapproche toi avec la caméra, il va parler. ». On est très peu nombreux, donc ce sont des scènes très faciles à faire si la rencontre se passe bien entre les enfants et l’acteur.
Par contre tous ces enfants c’était bruyant et très intense pour Andranic lors de la séquence de l’hippocampe au début du film. Comme les enfants l’adoraient, certains se demandaient ce qui se passait au moment où il tombe, s’il était mort. C'était difficile, j’étais stressée par leur réaction.

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Entendant tout cela, et comme avec Jeune Femme, on pense constamment à John Cassavetes. Quel est votre rapport à ce cinéaste ?

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L’amour profond pour son travail, pour ses personnages, sa façon de travailler. C’est un tout et en même temps je n’essaie pas de m’en affranchir, je ne pars pas en tournage en potassant comment il faisait ses films. Mais c’est d’accepter qu’une prise peut être complètement floue mais si elle est bonne, si elle est parfaite, on y va. L’acteur au centre en fait. L’acteur au centre, qui donne la pulsation. On m’a demandé tout à l’heure pourquoi c’était un portrait, quel était le genre du film. Parfois on a besoin de faire la lumière sur des gens et des états, tout simplement, même s’il ne se passe pas grand-chose dans le film. De traverser leur chaos, c’est important. Les personnages féminins de Cassavetes c’est difficile de ne pas y penser régulièrement, et pour la façon de travailler… la confiance dans l’acteur, la sensation que c’est improvisé quand ça ne l’est pas. Ari, ce n'est pas tant improvisé que ça. Il y a un gros travail en amont, et à un moment c’est l’acteur qui tient la cadence et on le suit. Tout est possible. Mais oui, j’adore son cinéma. S’il ne fallait n’en garder qu’un seul sur une île déserte, je garderais celui-là ! (rires)

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Propos recueillis par Victor Lepesant le 16/02/2025. Photo Léonor Serraille par Philippe Lebruman.