Par Super Seven
Sélectionné à la Berlinale et primé au Champs-Élysées Film Festival, Grève ou crève retrace les combats des différentes générations ayant vécues dans la ville de Forbach, commune du Nord-Est de la France dont Jonathan Rescigno est originaire.
Pourquoi avoir choisi de filmer votre premier film dans votre ville natale ?
Il y a plusieurs raisons. De manière très pragmatique, c’est parce que c’est celle que je connais le mieux. C’est l’endroit où je connais le plus de personnes. Tout le monde se connaît à Forbach. J’ai toujours réalisé tous mes projets ici, j’ai toujours été fasciné par le monde de la mine. Je crois que tous mes projets en parlent, pas directement, mais ils sont tous liés à la mine : à travers les gens que je filme, les endroits. C’est le fait d’être omnibulé par ce monde qui m’a donné envie de tourner ici.
On remarque que pour les réalisateurs venant de cette ville et plus généralement de cette région, il y a un réel attachement aux lieux et plus particulièrement à sa population. On avait notamment pu voir Forbach et ses environs en 2014 dans le film Party Girl de Marie Amachoukeli et Claire Burger primé au festival de Cannes (Caméra d’Or), où comme pour votre film, seuls des habitants de la région avaient été filmé, sans acteur « confirmé ».
C’est une autre raison pour laquelle je filme à Forbach : les gens que j’y rencontre, les jeunes, sont des personnes exceptionnelles. J’ai toujours eu ce sentiment à l’égard des personnes de ma ville. Il y a une belle entente, contrairement aux clichés qui perdurent depuis toujours : région grise, … Ce n’est pas ce que j’ai connu, ou ce que je connais encore aujourd’hui. Ce sont des gens beaux, géniaux que j’ai envie de mettre en scène, et qui sont pour certains des vrais personnages, qui savent jouer. J’ai envie de les mettre en avant. Je le vis tellement que ça me paraissait logique, ce sont des choses que je ne relève même plus. Quand je rencontre des gens de Paris ou d’ailleurs qui ont encore certains clichés qui perdurent, je me rends compte de la vision que l’on a encore de notre région.
La notoriété que connaît votre film permet également de le montrer à travers de nombreux pays et peut-être de faire taire ces clichés de cette région soi-disant morte depuis que les mines ont fermé ?
Effectivement, ce n’est pas du tout une région morte, au contraire. C’est une région plus vivante que jamais, une région dans laquelle les gens sont vivants. Lorsqu’on est jeune, on a toujours envie de partir de chez soi, quel que soit l’endroit où l’on habite, on veut s’émanciper. Mais je pense qu’on a toujours envie de revenir. Je connais beaucoup de gens qui vivent à Forbach et qui ne partiraient pour rien au monde. Si ce film permet de montrer une autre facette de la ville et de ces habitants, c’est super. Je n’ai pas voulu montrer une ville grise, je me suis d’ailleurs interdit de la filmer quand il pleut par exemple. La région que je connais n’a jamais été terne, il y a toujours eu des forêts de toute part, des champs. La grisaille n’y est pas plus présente qu’ailleurs pour moi.
Parlons du thème de votre film, où des images d’archive de la grève de 1995 se mêlent à des images prises exclusivement pour votre film, notamment dans le club de boxe de Forbach. Vous faites un parallèle entre cette crise de 1995 et celle actuelle, beaucoup plus silencieuse jusqu’au mouvement des gilets jaunes. Pensez-vous que ces crises soient liées, ou que chaque génération a son propre combat a mené, différent de celui de ses ainés ?
Je pense que la crise est permanente. La vie est un combat permanent, quel que soit les époques. C’est une continuité. Les jeunes que je filme aujourd’hui, qui se battent pour y arriver, sont comme dans les images d’archives montrant leurs grands-pères ou leurs parents, qui se sont battus pour leur travail, pour garder des acquis sociaux et qui ont réussi. On voit très bien cela avec les gilets jaunes : on retrouve des mineurs, des jeunes, des vieux, des gens qui travailleurs, des sans emploi, … C’est un mix de tout ça. Je pense que cette histoire des mineurs qui se sont battus en 1995 mais aussi tout le long de l’histoire nous montre bien que le combat est permanent. Ils ont réussi à obtenir tous les acquis sociaux qui seront généralisés plus tard en France. Ce combat est passé à la trappe dans notre région, personne n’en parle plus. Dans mon film, il y a cette volonté de montrer qu’à une certaine époque, les gens se sont battus. Le monde de la mine n’a jamais été tout rose.
Par ce parallèle entre les combats passés et présents, pensez-vous que le combat des jeunes actuels est plus dur que celui remporté par leurs ainés ?
Oui, je pense qu’il est plus dur et on le voit très bien dans mon film. Lorsque je filme les jeunes à la boxe, on sent que le corps est toujours en jeu. Le combat passe toujours par le corps, comme pour les mineurs. Les jeunes d’aujourd’hui ont besoin d’extérioriser une certaine appréhension de l’avenir. Je pense que leur combat est plus difficile. Mais la chance qu’ils ont, c’est ce passé qui fait partie d’eux, ce passé de combat gagné. Leurs grands-parents se sont battus pour eux. Lorsqu’ils ont bénéficié du pacte charbonnier, qui leur permettait de conserver leur salaire après la fermeture des mines très violente, cela a permis de maintenir un certain pouvoir d’achat dans la région, et c’est ce qui a maintenu une économie malgré les fermetures de certains commerces. Ce sont les seuls en Europe, et sans doute dans le monde, à avoir gagné ce combat et obtenu ces avantages. Aujourd’hui, les mineurs sont encore là pour en témoigner. Mais un jour arrivera où ils disparaitront, et je pense qu’à ce moment-là cela deviendra difficile dans la région. Mais ce n’est pas encore le cas pour l’instant.
Dans votre film, vous filmez des jeunes boxeurs du club de Forbach. C’est finalement l’histoire d’une jeunesse qui doit prendre des coups et encaisser. Cela nous fait penser à la saga Rocky, où on comprend que le combat n’est pas seulement de prendre des coups, mais aussi en rendre, c’est ce message que vous souhaitez faire passer ?
Dans un combat, il faut savoir donner des coups et éviter d’en prendre trop. Le parallèle avec Rocky, c’est la rage de vaincre, le parallèle est présent c’est évident. Je ne pense pas que la boxe soit aussi développée dans notre région par hasard. Le coach du club le répétait souvent : on ne vient pas à la boxe par hasard. On ne peut pas être professionnel ou semi-pro en boxe sans avoir une certaine rage, et cette rage des jeunes vient de quelque part. S’il y a autant de bons boxeurs dans notre région, c’est bien que quelque chose fait que cette rage existe. Peut-être plus qu’ailleurs, je ne sais pas, mais en tout cas elle est bien présente.
Comment avez-vous procédé pour le casting de ce film ?
Je tourne depuis longtemps mes projets cinématographiques et mes court-métrages ici. Je connaissais déjà les jeunes pour la plupart, notamment parce que j’avais réalisé un atelier vidéo à Behren. On se connaît un peu tous. Belkacem et Mohamed, c’est eux qui sont venus vers moi quand je cherchais justement des jeunes. Ils se sont révélés excellents, ce sont des acteurs nés, maintenant ils le savent. Pour moi, c’était génial d’avoir ces jeunes dans le film. Pour les boxeurs, c’est un peu le hasard de la vie qui m’a fait rencontrer Joseph et Tony, les deux coachs, et on s’est très bien entendu, ce sont de vrais amis qui m’ont ouvert les portes du monde de la boxe. Pour le couple, je cherchais l’histoire d’un combat. Les mineurs étaient une famille solidaire, reliés par des syndicats différents qui avançaient et se battaient ensemble. Aujourd’hui ce n’est plus le cas, les gens sont seuls face à leur patron par exemple. J’ai trouvé cette histoire-là avec Louis et Marie. La boxe est un sport collectif et individuel : on s’entraîne tous ensemble puis on se retrouve sur le ring, seul face à son adversaire. Cela faisait le lien à la fois entre le collectif et le combat individuel. C’est ce qui fait le lien entre les mineurs et les jeunes d’aujourd’hui qui se retrouvent aussi seuls dans la vie active. Le film est un mode d’emploi : comment se battre aujourd’hui lorsque l’on est seul. C’est le combat de Louis et Marie, face à leur patron.
Avez-vous d’autres projets pour la suite ?
e pense que je travaillerai toujours dans la région, puisque c’est quelque chose pour moi qui est important, où je retrouve les thématiques qui m’intéressent. D’autres projets sont en cours d’écriture, et si tout se passe bien, on planifiera cela d’ici un à deux ans.
Propos recueillis par Thomas Pezzetti (@strangerblinder)