Interview de Adrien Beau

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Par Super Seven

le 30/10/2023
Photo de Adrien Beau

Adrien Beau

A l’occasion de la sortie de son premier long métrage, Le Vourdalak, nous avons pu rencontrer Adrien Beau, jeune cinéaste français qui a l’audace de se confronter ici au film de vampire pour mieux le réinventer.

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Votre film, "Le Vourdalak", est inspiré de la nouvelle d’Alexeï Tolstoï, "La Famille du Vourdalak". Pourquoi avez-vous choisi cette nouvelle ?

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La productrice, Judith Levy, avait vu mes anciens courts-métrages. Je voulais réaliser un film avec elle, mais au départ, elle ne voulait pas faire ce film-là, plutôt un film de vampires. Je connaissais la nouvelle car adolescent, je lisais énormément de littérature fantastique du XIXème siècle : Edgar Allan Poe, Mary Shelley, Théophile Gautier… J’ai dit à Judith que je connaissais cette histoire de vampire, assez différente par rapport à ceux que l’on connaît d’habitude – qui sont des aristocrates dans des châteaux. Ici, c’est un truc plus paysan, dans la campagne. Dès qu’elle l’a lu, elle m’a dit « ok on y va ». Nous avons mis trois ans à l’écrire avec Hadrien Bouvier, le co-scénariste. Dès qu’on a terminé de l’écrire, on l’a tourné.

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Combien de temps a duré le tournage ? Comment s’est-il passé ?

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Cinq semaines. Dans la forêt, en Occitanie, à coté de Rodez. Dans le froid total, les conditions météorologiques étaient très dures. Mais l’équipe était très sympa. Comme c’était dur, nous étions un bon groupe, comme une colonie de vacances, une secte (rires). Le tournage était très bon enfant. On jouait comme des enfants qui jouaient avec des costumes et des marionnettes.

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Quels étaient les points communs et les différences entre la nouvelle de Tolstoï et votre adaptation ?

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A la base, on a essayé d’être le plus fidèle possible mais on ne pouvait pas rester fidèle à tout. On a voulu s’approprier certaines choses mais d’un autre côté, par exemple, ça aurait été plus simple de transposer l’histoire aujourd’hui. Mais je n’aime pas faire ça, même pour mes courts-métrages. J’ai aussi fait du théâtre, j’ai travaillé dans la mode, j’aime bien les costumes, j’aime que ce soit comme un conte qui nous emmène dans un autre univers. La nouvelle est quand même vieille, elle est écrite avec un ton vraiment désuet et un peu ridicule. Ce sont des notions qu’on a repris pour le personnage principal avec la dentelle, la perruque etc… On a surtout développé les personnages. Dans la nouvelle, ils ne sont que des fonctions. Par exemple, dans la nouvelle, Sdenka (incarnée par Ariane Labed dans le film), est une jeune fille naive, amoureuse de D’Urfé (le personnage principal). Elle aime un peu trop son père et ne peut pas croire qu’il soit devenu un vampire. Elle est complètement débile ! On lui a accordé un regard un peu plus moderne. On a développé TOUS les personnages, même Gorcha (le patriarche). Il est plus compliqué qu’il ne l’est dans la nouvelle. On a complexifié les choses, on les a rendus plus nuancés. On l’a développé en fait, parce que la nouvelle est très courte. Une dizaine de pages, je crois. On a développé leurs relations entre eux, cette idée de famille très conservatrice, traditionnaliste qui se perd. L’idée que les personnes pensent être libres, mais le patriarcat revient encore dominer les siens, à sa manière.

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Le casting est très éclectique : Kacey Mottet-Klein, Ariane Labed, Vassili Schneider, Grégoire Colin… Comment s’est passé le choix des acteurs, puis le travail avec eux ?

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On n’a pas fait de casting pour Ariane, ni pour Kacey. Le rôle de Sdenka n’a pas été écrit pour Ariane mais j’y ai pensé très tôt. Je l’adorais déjà comme actrice. Je l’avais vu dans "Attenberg", pour lequel elle a reçu la coupe Volpi à Venise. Je sais qu’elle est danseuse, elle a une manière particulière d’approcher les personnages. Elle n’est pas dans la séduction. Elle donne une performance en passant par le corps, comme un animal. Dans le film, elle est glaciale mais parce qu’elle incarne un personnage tragique. On comprend qu’elle est prisonnière de quelque chose, de plusieurs tragédies dans sa vie. Quand elle (Ariane Labed) est arrivée, on a beaucoup réécrit pour elle. Elle a beaucoup travaillé sa gestuelle, sa danse, sa manière de parler en grec ancien. C’est la directrice de casting qui nous a parlé de Kacey. Et dès que je l’ai rencontré, j’ai immédiatement su que je ne voulais personne d’autre. Pour les autres, nous avons fait un casting. Pour Grégoire, le personnage de Yegor qu’il incarne est d’une bêtise, il est le bras armé de son père. Ce dernier est devenu vampire et Yegor n’y voit que du feu, tellement il est idiot et traditionnel. Grégoire est le seul parmi tous les acteurs vus pendant les castings à avoir pleuré. Je me suis dit que c’était pas mal d’apporter une forme de faiblesse au personnage. Il n’est pas que méchant, c’est aussi un gros bébé.

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Il y a un côté très artisanal dans votre cinéma, présent déjà dans votre premier film, "La Petite Sirène". Quel est votre rapport à la création ?

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C’est toute ma vie ! J’ai toujours travaillé avec mes mains. J’ai toujours eu envie de créer dès le début. Pour le film, ça n’a pas toujours été facile avec les producteurs qui faisaient des reproches sur la marionnette du vampire. Mais je voulais la faire. On me disait qu’on n’allait pas y croire mais ce n’était pas ça l’important pour moi. C’est un objet qui se veut dérangeant. Si on avait eu un acteur juste maquillé, ça aurait moins dérangé. Mais là, même si les gens sourient en voyant cette marionnette, ça ne me dérange pas. Ce personnage est horrible, il est homophobe, il tue des enfants, il abuse sa fille. Du coup, ça ne me dérangeait pas qu’il soit comique au début. L’idée n’est pas de faire peur avec des jumpscares, mais plutôt d’amener dans un univers où tout est possible et où règnent une gêne et une angoisse générales. Je n’ai pas eu envie de faire des effets spéciaux numériques. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle prend le travail des auteurs… On peut encore aujourd’hui faire des films avec des vraies choses. Et c’est aussi la dramaturgie et le jeu des acteurs qui donnent vie à la marionnette.

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Les plans de votre film évoquent beaucoup la peinture. Comment s’est passé la collaboration avec votre chef opérateur ? Aviez-vous des références picturales précises ?

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Concernant la peinture, il y a l’illustrateur russe, Ivan Bilibine, qui a illustré des contes. Ses dessins étaient des grandes inspirations pour les costumes, les décors et les couleurs. J’ai étudié l’histoire de l’art. Avec mon chef op’, on a testé une caméra numérique, puis la pellicule. On s’est tourné vers la pellicule. Là-dessus, toutes les folies et les bizarreries étaient les bienvenues si elles amenaient de la cohérence avec le reste de l’univers. La pellicule fait souvent des accidents heureux. J’avais déjà utilisé la pellicule pour mes courts-métrages. C’est concret, c’est chimique. Je n’ai rien contre le numérique, mais c’est faux. Et pour cette histoire-là, ça me semblait mieux de le faire comme ça.

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L’horreur et le fantastique étant des genres de prédilection pour vous, quelles seraient vos références ?

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Je pense à "La Mouche" de David Cronenberg, j’y ai beaucoup pensé pendant le film car j’aime les films avec cette idée des monstres en caoutchouc. Il y a "E.T." aussi, même si ce n’est pas un film d’horreur, mais plutôt fantastique. C’est un personnage qui paraît mal fait, aujourd’hui, mais il a une grande force d’émotion. Ou le requin des "Dents de la mer" qui fait très cheap maintenant mais qui fait peur à tout le monde. Mais des références, j’en ai des millions ! Il y a un film de marionnettes que j’aime, c’est "Dark Crystal". Sinon, le cinéma des années 70, comme celui de Fellini ou de Pasolini, avec des personnages en costumes dans des décors où l’on ne va pas chercher de réalisme. C’est l’image qui compte plus qu’autre chose, pour ce qu’elle évoque. Comme un livre de contes, dont on feuillette les illustrations. Ça, ça me plait beaucoup.

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Propos recueillis par Talia Gryson, le 19 octobre 2023.