Interview de Hlynur Pálmason

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Par Super Seven

le 29/12/2022
Photo de Hlynur Pálmason

Hlynur Pálmason

Cinéaste très en vue depuis son premier long métrage, Winter Brothers (2017), Hlynur Pálmason est aujourd’hui une figure incontournable du cinéma islandais. Avec Godland, il achève un premier cycle de sa courte mais déjà passionnante filmographie.

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Pour commencer, parlons du, ou plutôt, des titres : la version internationale s’appelle "Godland" alors que celle originale porte un nom danois et un nom islandais accolés, "Vanskabte Land / Volaða Land", qui veulent tous deux dire « terre misérable ».

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Le premier titre vient d’un poème d’un prêtre islandais qui a étudié au Danemark. Il est retourné en Islande, en allant au nord, et il a vécu un hiver terrible au point que le vieux fjord où il vivait avait gelé et était resté tel quel pendant plus d’un an. Habiter là-bas était donc difficile, de sorte qu’il a repensé à sa vie au Danemark et a écrit ce poème de haine, une diatribe contre son pays d’origine. Cela s’appelle "Volaða Land", c’est un texte long mais magnifique, et j’en ai repris le nom tout en m’inspirant. Puis, j’ai fait traduire en danois par un très bon traducteur, qui a notamment traduit tous mes auteurs islandais préférés en danois. Il s’en est parfaitement sorti, mais le problème était qu’il était presque impossible de traduire le terme "Volaða Land", qui veut dire « terre de merde » ou « terre impitoyable », il y a plusieurs significations. Nous avons fini par choisir "Vanskabte Land", qui est différent. C’est davantage quelque chose qui est déformé, mais nous aimions beaucoup cette idée. Ensuite, nous avons travaillé sur le titre anglais et nous n’avions rien qui corresponde à "Volaða Land" ou à "Vanskabte Land", donc nous avons opté pour quelque chose qui fonctionne simplement avec l’idée générale du film, et nous avons trouvé "Godland". Là où les titres originaux sont plus sombres et cyniques, "Godland" est plus lumineux, romantique, plein d’espoir.

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Cette ambivalence se ressent dans le style visuel. Vous rendez les paysages filmés beaux et fascinants mais aussi étranges, dérangeants, à l’image de cette fumée de volcan souvent présente dans le cadre qui rappelle un danger permanent. Vous capturez une certaine dualité.

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La dualité est précisément ce qui m’intéresse, à la fois la beauté et la brutalité de cette île, le Danemark et sa langue ainsi que l’Islande et sa langue. Tout fonctionne par opposition. Si vous explorez la mort, vous explorez la vie en un sens. Ici, la dualité entre les deux pays est notamment marquée par celle qu’il y a entre Lucas et Ragnar.

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Cette dernière semble d’ailleurs faire écho à votre carrière, puisqu’il s’agit respectivement des acteurs principaux de vos deux précédents films qui s’affrontent. Aussi, "Godland" ressemble beaucoup à "Winter Brothers" (2017) dans le rapport à l’image, au cadre et à l’ambiance qui se manifeste par le son et l’environnement, mais il y a aussi quelque chose de "Un jour si blanc" (2019) avec ce personnage obsessionnel, complexe et finalement vulnérable. "Godland" peut ainsi être vu comme un point d’équilibre.

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C’est vrai, "Godland" est l’extension du travail que j’ai déjà accompli, y compris mes courts métrages comme "Nest" (2020). En réalité, j’ai commencé à travailler sur "Winter Brothers", "Un jour si blanc" et "Godland" en même temps, en 2013. Je sortais de l’école de cinéma et j’avais déjà trois enfants donc je devais nourrir ma famille en faisant des films. Ce que j’ai pris très au sérieux. J’ai commencé ces projets, en les faisant avancer en parallèle et en me disant que je verrai bien ce que ça donne au fil du temps. Cela fait un certain nombre d’années. Aujourd’hui, je suis à un carrefour où je commence les trois nouveaux films.

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Vous fonctionnez donc en cycles. D’ailleurs, cela correspond à une question que je me suis posé à la fin de "Godland" : que peut-il faire ensuite ? Tant ce film semble être votre grande confrontation à votre propre approche cinématographique.

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Je suis d’accord, et je pense que c’est sain d’arriver à ce fameux carrefour. Je pense que mon prochain film sera encore une extension de ce que j’ai déjà fait, mais j’ai le sentiment que nous explorons quelque chose d’encore différent. En tout cas, je serai toujours intéressé par certaines choses : les saisons, l’intérieur et l’extérieur d’une personne. Je veux continuer d’explorer tout ça, du moins si mes films sont financés, mais c’est délicat de faire des choses ambitieuses et grandes sur un assez long terme avec peu d’argent et de ressources. Nos films sont réellement « faits maison », très petits.

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Une chose qui frappe quand on regarde vos films, c’est qu’ils semblent anachroniques, ils donnent l’impression de voir des « vieux films ». Cela passe par votre rigueur, votre artisanat mais aussi vous êtes l’un des rares cinéastes aujourd’hui à explorer le geste, à sculpter le temps, la durée. C’est comme voir le film se faire sous nos yeux, notamment là avec le rapport à la photographie. Est-ce le geste, l’expérience qui vous met sur la voie pour faire un film ou une histoire à raconter ?

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C’est une bonne question. Pour moi, il doit y avoir une forme qui m’intéresse vraiment, mais aussi une forme narrative qui semble excitante. Dans mon esprit, sur les murs chez moi ou dans les documents sur lesquels je travaille, j’ai énormément de formes et de narrations. Mais je ne commence à travailler que si une forme et une narration s’accordent, car je n’aime pas faire simplement de la narration ou juste jouer sur les formes. En ce moment, j’ai trois projets sur lesquels j’essaie de trouver ces accords. Mais c’est vraiment une bonne question sur le geste. Il y a toujours un cœur qui bat dans chaque projet, un noyau, et l’une des choses les plus dures en faisant un film est de tenir à ce noyau, le chérir. Car le processus de réalisation est si long et implique tellement de personnes qui vont notamment commenter. Ce noyau est fragile, d’où l’importance d’en prendre soin, et c’est ce que mon équipe et moi-même essayons de faire coûte que coûte, que le film soit mystérieux, bizarre, brutal ou autre. Et c’est très mystérieux car je ne sais pas où ça va, je pense rarement à des symboles ou propos avant de faire le film, c’est surtout beaucoup d’exploration et de surprises.

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Cela va avec le fait que vos films, surtout "Godland", traitent du mystère de l’existence et indirectement du cinéma. Comme si vous capturiez l’accidentel, quelque chose de soudain qui se retrouve miraculeusement sur la pellicule. Par exemple, la chute lors de la traversée de la rivière illustre parfaitement cela, et cet inexplicable confère une beauté à vos films.

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Cela dépend de votre manière de réaliser les films. Prenez Roy Andersson, il a un style très particulier et il m’a inspiré à trouver mon propre style, mon fonctionnement. Qui est d’ailleurs très différent de celui de Roy. Mais il m’a inspiré en allant très loin pour trouver sa voie, et je trouve ses films merveilleux, personne d’autre que lui ne peut les faire. Aussi, le compositeur Ryūichi Sakamoto dit qu’il est à un âge – en plus d’être très malade avec un cancer de la gorge – où ce qui l’intéresse est de faire de la musique que seul lui peut faire. Être comme ça ne fait pas de toi l’artiste le plus populaire car ça devient purement personnel, idiosyncratique, mais si c’est ce qui t’intéresse il faut le faire, et c’est ce qui m’a intéressé. Trouver ma voix, mon fonctionnement de travail.

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Ce qui ressort de votre approche, c’est, à mon sens, votre exploration d’un sentiment en particulier : la solitude, physique comme spirituelle. Dans "Winter Brothers", le personnage cherche l’Amour, dans "Un jour si blanc" il se lance dans une enquête obsessionnelle pour compenser sa tristesse, et là, dans "Godland", il y a un peu de tout ça avec comme issue la mort.

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C’est la seule chose que nous avons tous en commun, que nous partageons. Cela va avec l’idée d’exploration, qui est agréable et donc on est toujours en train d’explorer, d’écouter, de lire, de filmer des choses nouvelles. Le cheval mort du film, je l’ai filmé pendant deux ans et je voulais observer sa décomposition, sa pourriture, et en même temps j’écrivais le film donc j’ai voulu l’intégrer. Du coup, je retouchais le scénario et en parallèle je filmais le prêtre allongé dans les paysages, et ce avant d’être financé. En fait, je filme tous les mois voire toutes les semaines pour avoir quelque chose, puis j’envoie en Suède pour que la pellicule soit scannée et développée et ils me la renvoient donc je découvre ce que j’ai fait. A ce moment là, je ne fais que réagir à ce que je vois, et c’est une partie essentielle de mon processus de réalisation et d’écriture. Par exemple, "Nest" est une réaction. On fait quelque chose, on joue, je le vois et je réagis donc j’écris une scène pour le lendemain.

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L’idée de jeu se ressent dans tous vos films, bien qu’ils soient marqué par une certaine tristesse en général. Vous y insufflez toujours un certain humour, qu’il soit cynique, physique, simple à partir de ce que la situation à filmer vous offre. Dans "Godland", la deuxième moitié est presque une comédie, avec une allure fordienne, et on sent que vous vous amusez, comme si vous tourniez un film étudiant à large échelle.

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On prend ça très au sérieux, mais on s’amuse, et c’est humain. C’est très important pour moi de s’amuser en tant qu’êtres humains, j’en ai besoin pour survivre. Et je ne ferai sûrement pas de films s’il n’y avait pas des gens que j’aime autour de moi. Évidemment, c’est un cadeau de pouvoir faire des films, mais c’est aussi un fardeau. Et l’humour est une part tellement importante de l’existence, que ça doit colorer mes films. Je le prends au sérieux, mais ça doit traverser toute œuvre.

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Tout ce que vous dites sur l’amour, le fardeau – d’autant plus si on considère le cinéma comme une religion en quelque sorte – ressemble beaucoup à ce que vit Lucas pendant le film. On pourrait donc faire un rapprochement entre vous en tant que cinéaste et lui en tant que prêtre-photographe.

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Je pense qu’il faut toujours trouver une manière de se lier à son travail. Toute mon œuvre est personnelle, pas intime il y a une différence. Mais je dois réussir à me connecter émotionnellement à mon matériel, et même si le récit se déroule dans le passé, il doit aussi être contemporain, c’est le présent pour moi. Il y a donc beaucoup de moi en Lucas oui, mais aussi en Ida et Ragnar. Je collecte beaucoup de choses et après elles se retrouvent dans mes personnages. Je prends des choses qui me touchent et je les mets, et plus j’avance dans mon travail plus j’emprunte à la vie pour nourrir mes films. Le cinéma est une affaire de caractère, c’est où on est à un instant T. Quand j’ai fait "Winter Brothers", c’était très difficile et c’est ce que j’ai retranscrit avec cette folie, cette agressivité. Il se passait des choses dans ma vie, ça colore le film et c’est normal.

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Vous donnez même l’impression d’agir comme un documentariste : les scènes de mine dans "Winter Brothers", l’évolution de la maison de "Un jour si blanc" et "Godland" donne l’impression d’être un documentaire, un peu comme "Aguirre, la colère de Dieu" de Werner Herzog.

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Pour me retrouver dans un projet, je dois le ramener à la réalité, l’ancrer dedans avec des sentiments basiques, primitifs, que je comprends. Je dois croire, et si je crois je peux avancer. Pour ça, la base du film doit être très forte. C’est toujours ce qui m’a préoccupé en faisant des films. Prenez "Nest", on peut se demander si c’est un vrai événement ou non, et c’est quelque chose qui m’intéresse. Si vous ancrez dans le réel, vous créez une forme de « réalité magique » qui transcende le médium. D’ailleurs, quand j’étais à l’école de cinéma, il y avait un secteur fiction et un autre documentaire, et je m’entendais surtout avec les réalisateurs de documentaire, je devenais très ami avec. L’une des choses les plus importantes quand on invite quelqu’un dans un monde, c’est que ce monde semble authentique. Ce ne doit pas être forcément un drame de cuisine, mais il faut que ce soit authentique par rapport à tout l’univers voulu.

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Cette authenticité passe souvent par un gros travail sonore dans vos films.

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C’est l’aspect physique du son. C’est quelque chose qu’on peut faire au cinéma, c’est plus difficile à la télévision, mais le travail de bruitage et de son, de mixage sont incroyables pour faire entrer votre corps dans le film, avec des détails. Ça devient organique. Le bruiteur peut faire énormément, comme sur "Nest" où Heiki Kossi, un vrai maître, a fait un travail extraordinaire. Je dis toujours que mes films sont assemblés par le son et le mixage, quand l’image étalonnée et finie rencontre l’univers sonore. C’est ce qui leur donne vie.

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Propos recueillis par Elie Bartin le 9 décembre 2022.