Interview de Hala Alabdalla

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Par Super Seven

le 07/10/2024
Photo de Hala Alabdalla

Hala Alabdalla

Dans le cadre de l’exposition Présences Arabes, ayant pris place au Musée d’Art Moderne de Paris jusqu’à fin août, nous avons eu l’occasion de rencontrer Hala Alabdalla, réalisatrice syrienne dont le travail était exposé.

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Vous vous êtes lancée dans la réalisation de films « sur le tard ». Quel a été le déclic ?

Photo de Hala Alabdalla

Il y a eu deux étapes pour moi, vis-à-vis du cinéma. J’ai d’abord travaillé, presque vingt-cinq ans, sur les films des autres. J’ai réalisé mon premier long-métrage juste avant mes 50 ans, comme un cadeau que je m’offrais pour cet âge-là. J’ai décidé de faire un pas vers moi. Mais j’avais (déjà) envie de travailler dans le cinéma, dès que j’ai quitté la Syrie après avoir fait de la prison très jeune. J’ai directement voulu trouver un autre moyen pour m’exprimer. Pas seulement par un moyen militant. J’avais déjà ce rapport avec le cinéma lorsque j’étais jeune, grâce à l’accès à un ciné-club pas loin de chez mes parents, à Damas. J’y ai découvert la force et l’impact des films, sur la vie des gens, la politique… A l’époque ce n’était pas conscient, mais maintenant, quand j’analyse mes premiers pas, je sais que c’était pour continuer dans mon combat pour les autres et avec les autres. Simplement à travers un autre moyen. J’ai énormément travaillé pour les autres, ce qui m’a beaucoup éduquée. J’ai appris beaucoup mais j’ai aussi donné beaucoup de temps, d’efforts, de ma vie pour les films des autres, qui ont été très variés, c’est-à-dire pas tous de la même nature ni réalisés de la même façon. C’étaient des expériences très riches. Vingt-cinq ans sont passés et j’ai dû prendre conscience du fait de vieillir sans être moi-même passée à la réalisation. En réalité, pour moi, même quand ce n’est pas moi qui suis derrière la caméra, chaque film auquel je participe reste mon propre film, puisque je m’y investis à 100%.

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En quoi votre travail sur les films des autres vous a enrichi avant de vous lancer dans vos propres réalisations ?

Photo de Hala Alabdalla

J’étais une productrice « marginale ». C’est-à-dire que je n’ai jamais travaillé en tant que « vraie » productrice ou sur les rails de la production. Ce n’étaient pas les mêmes moyens qu’un producteur ordinaire. Mais j’ai travaillé sur une palette artistique très large. J’étais disponible à tous les niveaux. J’ai toujours trouvé mes propres voies, je frappais à de nombreuses portes. Si un réalisateur avait besoin que je l’aide à l’écriture, j’écrivais. Si je devais aider au casting, j’y aidais. Si l’on avait besoin d’une scripte, je le devenais. Pareil pour première assistante, etc. J’avais toujours des solutions pour aider, qu’il s’agisse de la post-production, ou de trouver une actrice. Ce qui me poussait étaient la passion et l’envie de voir un autre réaliser son film.

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Comment a commencé votre engagement politique ?

Photo de Hala Alabdalla

Après le bac en Syrie. Je voulais d’abord être ingénieure. Pour moi, la Syrie n’était pas un pays riche au niveau industriel. Je pensais que c’était avec la terre qu’on pouvait faire la révolution. J’ai continué mon combat contre le régime de cette époque en pensant intégrer le domaine de l’agriculture. Après la prison, quand je suis arrivée en France, j’ai touché à beaucoup de choses différentes : anthropologie, génétique… Puis, l’idée de vouloir faire du cinéma m’est venue. A travers le cinéma, j’ai trouvé un moyen qui me permettait d’être plus entendue. J’ai finalement intégré pendant trois ans l’université Paris 8, que je ne voulais pas faire au départ car cela me semblait trop théorique. Je voulais aller vite vers la pratique.

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Dans « Je suis celle qui porte les fleurs vers sa tombe » ou « Hé ! N’oublie pas le cumin », vous filmez essentiellement les femmes. Vous considérez-vous féministe ?

Photo de Hala Alabdalla

Je me suis rendu compte que je n’ai commencé à être solidaire avec les femmes qu’après coup. Au début je refusais cette idée qu’il faudrait une lutte à part ou parallèle pour les femmes. Pour moi, c’était beaucoup plus large. Je voulais que l’on considère une femme comme un homme, sur un même plan politique. On tourne autour des mêmes problèmes, des mêmes difficultés. Mais un peu plus tard, en 2011, avec la Révolution Syrienne, je me suis rendu compte que les femmes ont un combat à part et j’ai revu mes propres films avec un autre regard. Je n’étais pas pleinement consciente de cette volonté au fond de moi de donner cette place aux femmes, alors que, surtout dans nos pays, elles ont besoin de leurs propres outils de lutte. Nous sommes dans une structure sociale, politique où il y a bien plus de pression et d’oppression que dans les autres pays occidentaux. Le patriarcat existe partout dans le monde et ces façons de dominer la femme appellent à s’y opposer. Je ne me prétends pas non plus militante féministe ‘directe’ mais je sais qu’au fond j’y crois, étant moi-même entourée par des féministes. C’est un affrontement vital, quotidien. Personnellement, je suis solidaire mais je reste libre dans mon mouvement tout en comptant bien évidemment sur le cinéma.

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Il y a beaucoup de très gros plans dans vos documentaires, notamment dans « Je suis celle qui portes les fleurs vers sa tombe », qui s’attardent sur les détails des visages des personnes que vous filmez. Dans « Hé ! N’oublie pas le cumin », vous filmez une transposition théâtrale de l’actrice Darina Aljoundi qui interprète un texte de Sarah Kane. Existe-t-il selon vous une manière de se situer à la bonne hauteur pour filmer quelqu’un ?

Photo de Hala Alabdalla

Pour se situer à la bonne hauteur, ce n’est pas la distance qui compte mais la confiance. C’est un principe que je respecte à 100%. Qu’il s’agisse de personnes proches ou non d’ailleurs, si je sens que quelqu’un ne me fait pas confiance, ou inversement, c’est raté. C’est mon film, mais c’est aussi le leur. Dans « Je suis celle qui porte les fleurs vers sa tombe », le fait de ne pas laisser apparaître l’extérieur entre nous était voulu. Mais inconsciemment, j’avais aussi envie de laisser une ambiguïté, à savoir est-ce la femme interviewée qui parle ou moi ? C’est comme si je disais ce que je vois dans ses yeux, et vice-versa. Pour donner la sensation que nous sommes coupées du monde. Le fait de savoir écouter l’autre, c’est lui donner l’espace nécessaire pour s’exprimer.

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Dans « Un assiégé comme moi », en revanche, on n’entend jamais votre voix.

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Non seulement on n’y entend pas ma voix mais, également pour la première fois, ce n’était pas moi qui tenais la caméra. Je me suis interrogée là-dessus. Il se trouve que c’est mon premier film entièrement conçu en France. J’avais envie de tourner une scène autour d’une table avec quinze personnes ; j’ai donc dû demander conseil à des amis professionnels grâce à qui j’ai pu obtenir cinq caméras pour la réaliser. Ce n’était donc pas la peine que j’en porte une sixième. Toutefois, mes amis s’étant arrangés entre eux, je me sentais un peu extérieure à tout cela. Je ne sais pas vraiment comment on dirige, j’ai besoin que l’on me donne une « mission » pour filmer. Je filme seulement comme je le sens. C’est donc le premier et le seul film, jusqu’à aujourd’hui, que j’ai fait sans y laisser ma propre voix. J’y ai laissé celles des autres, d’hommes, de femmes avec une grande expérience, parlant de la Syrie et de la Révolution. Ça m’a même donné un plus grand recul sur le fait de laisser une encore plus grande place aux autres.

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Le documentaire vous permet toujours d’être plus libre ?

Photo de Hala Alabdalla

Je construis toujours mes films d’une façon très libre. Tout repose sur une urgence, un appel intérieur. C’est pour cette raison, je pense, que même si je suis en France depuis longtemps, je ne rentre pas dans les cadres et cases dessinés pour les cinéastes. Je ne cherche pas à être reconnue. Je ne souhaite ni être dominée, ni être influencée par les exigences des chaînes. Je reste toujours un peu à côté, mais ça me suffit. Tant que je peux continuer à faire des films libres, que ce soit dans le contenu, la structure ou le format. Maintenant, cela fait longtemps que je ne suis pas allée en Syrie. Je ne suis pas en contact direct avec des gens sur place. J’ai le sentiment d’avoir perdu les clés pour comprendre ce qui s’y passe, ce qui bride mon imagination. Je sens que c’est sombre et enfermé, un peu bloqué. Je ne suis pas nourrie comme avant. C’est pour cette raison que je ne me permets pas d’aller davantage vers le documentaire aujourd’hui. J’ai un peu pensé à m’essayer à la fiction, j’ai écrit un court-métrage, j’ai cherché partout des moyens de le financer…Je n’ai pas encore eu le courage de me lancer sans avoir un minimum de financements.

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Propos recueillis par Talia GRYSON, le 19 juillet 2024.