Interview de Bill Plympton

logo superseven

Par Super Seven

le 15/03/2023
Photo de Bill Plympton

Bill Plympton

À l’occasion de la ressortie par ED Distribution des brillamment indépendants et audacieux L’impitoyable lune de miel et Les mutants de l’espace, nous avons pu nous entretenir avec leur auteur, l’impertinent et provocateur Bill Plympton.

Logo de SuperSeven

Bonjour Bill, merci de nous accorder cet entretien. Premièrement et tout simplement, comment allez-vous ?

Photo de Bill Plympton

Vous acceptez les réponses longues ?

Logo de SuperSeven

Bien-sûr, allez-y !

Photo de Bill Plympton

D’accord ! J’ai bientôt fini mon nouveau "long métrage" (en français, ndlr). C’est un western qui s’appelle "Slide" et ça raconte l’histoire d’un musicien pratiquant la guitare slide. J’y travaille depuis cinq ans, et ça avance si lentement à cause du Covid. Ça a été violent à New York, je ne pouvais pas aller en festivals, conventions, conférences et je me suis retrouvé à court d’argent. J’ai accepté beaucoup de commandes, des clips, des pubs, les choses de ce genre. Mais maintenant, je touche au but et je suis vraiment excité. J’espère le montrer en France dans l’année, ce serait merveilleux.

Logo de SuperSeven

Nous espérons aussi.

Photo de Bill Plympton

C’est un film très marrant, très fou. Vous voyez qui est Mel Brooks ? C’est comme "Le shérif est en prison" ("Blazzing Saddles" en VO, ndlr) mais en version musicale et animée.

Logo de SuperSeven

Votre style est souvent décrit – et à raison – comme provocateur, avec beaucoup de sexe et de violence, mais comment présenteriez-vous votre art, vos films à une nouvelle génération ?

Photo de Bill Plympton

D’abord, je ne joue pas dans la même cour que Disney ou Pixar, je ne veux pas faire des films pour enfants. Je perdrais beaucoup d’argent, donc je préfère faire des films pour adultes. Malheureusement, les distributeurs américains ne savent pas qu’il y a un marché pour ce type d’animation. Dès lors, j’essaie de rendre mes films les plus drôles possibles. Comme mes budgets sont très faibles, je fais la majorité du travail moi-même. L’histoire, le storyboard, les compositions, les designs, les arrière-plans, la couleur. Je fais beaucoup de tout ça moi-même. C’est vraiment un film artisanal, je n’utilise pas d’ordinateur, de technologie avancée. Voilà comment je présenterais mes films : indépendants, petits budgets, un humour fou, sexe et violence, et pas pour les enfants.

Logo de SuperSeven

C’est une chance que vos films puissent être (re)découverts aujourd’hui, comme en France avec la ressortie de "L’impitoyable lune de miel" et Les mutants de l’espace", car la place des œuvres indépendantes de ce type n’est pas grande de base, et encore moins en animation où les gros studios font la loi.

Photo de Bill Plympton

Je suis d’accord. C’est intéressant car ED Distribution ressort ces deux films en France, et j’ai récemment signé un contrat pour une ressortie de "The Tune", mon premier long métrage en animation. Les spectateurs peuvent redécouvrir mes premières œuvres et ils vont sûrement enfin découvrir que je suis un vrai cinéaste d’animation, pas que c’est un hobby ou que je traîne par là mais bien que je fais des films d’animation variés et uniques.

Logo de SuperSeven

Vous êtes un vrai cinéaste politique. Pas seulement avec le sujet de vos films mais aussi dans votre manière d’user de l’animation. Vous êtes comme un pirate, un « hacker » paradoxalement artisanal dans l’industrie.

Photo de Bill Plympton

Je le suis ! C’est une bonne expression pour parler de moi. Je n’ai pas des audiences énormes, mais on me découvre beaucoup sur Internet dans le monde entier. J’étais en Russie et tout le monde connaissait mes films. Des gens m’épiaient ou venaient dans mon hôtel pour des autographes. En Inde, en Chine, mes films sont partout sur le net. Le terme « hacker » est un bon nom pour moi. Je n’ai pas beaucoup d’argent pour des affiches, campagnes de pub ou autre, donc je dois me débrouiller à ma manière.

Image de contenu d'interview
Logo de SuperSeven

Une de vos caractéristiques est donc l’humour, qui passe surtout par l’image en rappelant les cartoons de Chuck Jones type "Bip-bip et Coyote" ou le cinéma de Jacques Tati.

Photo de Bill Plympton

J’adore Tati oui, et son humour très visuel. J’aime aussi beaucoup les dessins de Topor qui sont très surréalistes, sombres. Ce sont un peu des "noir cartoons" (dessins reprenant le style du film noir), et j’aime bien faire ce type d’humour. Aussi, quand j’étais jeune, je faisais des illustrations et gags pour des magazines pour homme comme "Penthouse" ou "Playboy" et ça m’a influencé. Je trouvais cet humour frais, excitant, unique, d’où la nudité et la folie qui habitent mes films.

Logo de SuperSeven

Pour autant, et là encore on peut lier ça à Tati, vous ajoutez parfois du son – dialogues ou voix off – et vous opérez une sorte de décalage entre ce son et l’image. C’est récurrent dans vos courts métrages comme "How to kiss" ou "How to make love to a woman", avec ces voix neutres sur fond de dessins vulgaires, mais aussi dans les deux longs qui ressortent.

Photo de Bill Plympton

Oui, j’aime beaucoup l’ironie, le décalage et j’en joue beaucoup. C’est typiquement mon humour. Mais merci beaucoup de le remarquer et d’avoir vu mes films, j’apprécie ça.

Logo de SuperSeven

Il est d’ailleurs intéressant que "L’impitoyable lune de miel" et "Les mutants de l’espace" ressortent ensemble, comme un double programme présentant tout ce que vous savez faire : d’un côté l’animation débridée et brut sans intrigue, de l’autre une vraie histoire avec des visuels puissants. Ce qui amène à questionner votre processus créatif.

Photo de Bill Plympton

Pour "Les mutants de l’espace", une amie, Katherine Dunn, a écrit le roman "Geek Love" sur un cirque qui fait un freak show. Puis, j’ai pensé à tous ces animaux envoyés dans l’espace par les américains et les russes, et à toutes les radiations qui les ont touchés de sorte qu’ils deviennent des créatures difformes. J’ai mélangé les deux inspirations car je trouvais ça drôle et c’est devenu le film. A côté de ça, je vis à New York et c’est une ville bizarre où il se passe des choses bizarres qui m’inspirent des films bizarres. Par exemple, "Guard Dog" m’est venu en voyant un chien aboyer sur un oiseau dans un parc. Je me demandais pourquoi le chien avait peur de ce petit oiseau mignon. Je me suis mis dans la tête du chien, et j’ai imaginé qu’il est paranoïaque, qu’il a peur que l’oiseau attaque son maître donc il perdrait son meilleur ami, sa source de nourriture et sa maison. C’était une idée rigolote, je l’ai développée et c’est devenu un de mes plus gros succès, un film très populaire. Donc l’inspiration me vient surtout de livres et des choses ou personnes étranges que je vois. "Your Face" m’est venu par la drogue. Je prenais de la marijuana et je me mettais à voir les têtes des gens faire des choses spéciales.

Logo de SuperSeven

"Your Face" est votre premier succès mais il représente aussi une grosse partie de l’âme de votre art. Après lui, tous, les films suivants empruntent son rapport au corps, au visage, etc.

Photo de Bill Plympton

Oui, par exemple le personnage de "L’impitoyable lune de miel" est très inspiré de "Your Face". Il imagine des choses impossibles, irréelles et c’est déjà ce que j’essayais de faire dans "Your Face".

Logo de SuperSeven

Ce qui m’a frappé devant "L’impitoyable lune de miel", c’est que ce personnage écrit littéralement le film en temps réel. Chaque fantasme devient une nouvelle scène et ainsi de suite. On dirait que vous faites de l’écriture automatique.

Photo de Bill Plympton

Non, tout est planifié (rires). J’ai fait le storyboard, le character design, l’histoire de manière classique. Mais je voulais ce sentiment de surprise permanent dès que quelque chose se passe en effet. D’ailleurs, puis-je vous raconter une petite anecdote sur ce film ?

Image de contenu d'interview
Logo de SuperSeven

Évidemment.

Photo de Bill Plympton

Le film a été à Sundance, festival qui était très important pour que quelqu’un achète les droits. Il y a eu d’excellents retours du public qui a beaucoup aimé mais aucun distributeur ne voulait le prendre car, comme je l’ai déjà dit, c’est de l’animation pour adultes. J’étais très frustré de ça. Alors que je rentrais d’une projection en bus, j’ai vu un distributeur de Lionsgate avec qui j’étais ami, et j’ai été le voir. Je lui ai demandé s’il avait vu mon film mais il a dit qu’il n’avait pas eu le temps. Ça m’a déprimé. Mais d’un coup, un snowboarder présent dans le bus, recouvert de neige et qui avait tout entendu, vient me voir et dit « Vous êtes Bill Plympton, vous avez réalisé "L’impitoyable lune de miel" ? ». J’ai répondu positivement et il s’est exclamé : « Mec, ce film déchire ! C’est le plus grand film de l’histoire ! ». Il est ensuite descendu avec son snowboard et a dévalé une piste. Le distributeur m’a alors dit qu’il devrait peut-être voir mon film, ce qu’il a fait et il l’a acheté derrière. Ça a été un gros succès pour eux. C’est vraiment l’histoire de ma vie, de montrer qu’il y a un public pour mes films pour qu’ils soient correctement mis en avant et que tout le monde passe un bon moment devant.

Au fait, pour "Slide". Une société française, Folimage, a fait les couleurs et ils ont fait un travail formidable. J’aimerais vraiment que ça sorte cet automne.

Logo de SuperSeven

Il y a des rumeurs concernant le Festival de Cannes, non ?

Photo de Bill Plympton

Aujourd’hui j’essayais de finir une version pour ça, car ils veulent le voir, mais ça sera prêt en fin de semaine. Je vais envoyer un "work in progress", qui sera largement fini à temps pour le Festival. Je ne sais pas si ça va les bloquer mais nous verrons bien, je croise les doigts.

Logo de SuperSeven

Pour revenir aux "Mutants de l’espace", je trouve incroyable la représentation que vous faites de la Terre, qui ressemble à une planète extraterrestre mais avec une légère touche impressionniste.

Photo de Bill Plympton

Oui j’adore ça. C’est une de mes techniques. Vous savez sûrement que je ne fais pas de l’animation complète, je fais parfois un dessin pour trois images au lieu d’un par image. J’aime le rendu impressionniste, je trouve que c’est spécial et différent mais aussi quand vous faites des arbres ou des forêts, adoucir les bords des dessins rend encore mieux, c’est plus joli car il n’y a pas de tremblements, de secousses. C’est plus doux. C’est un style que j’ai développé aux crayons de couleur, et c’est assez unique. C’est rapide pour moi, je peux travailler facilement sans dépenser beaucoup d’argent.

Logo de SuperSeven

C’est ce qui rend vos longs métrages intéressants du point de vue technique, d’autant que vous ne vous limitez pas au dessin ou la peinture sur celluloïd, vous faites aussi du collage comme ici avec les vaisseaux spatiaux. On dirait que vous voulez pousser l’animation dans ses retranchements avec l’attirail à disposition.

Photo de Bill Plympton

Merci beaucoup de dire ça. Ce que je fais est très différent oui. Pour "Les mutants de l’espace" c’était beaucoup de travail de parvenir à ça. Le cameraman a eu beaucoup de difficultés car les bords des dessins ne rendaient pas comme je le voulais en filmant. Mais je suis content du résultat final. Vous savez, j’ai beaucoup d’influences, je vole beaucoup de personnes : Topor, Tex Avery évidemment, Winsor McKay, Bob Clampett. Je les pille tous et pourtant mon style reste unique et personnel. Quand les gens regardent mes films, ils disent directement : « Oh c’est Bill Plympton », juste par les dessins.

Logo de SuperSeven

C’est marrant car tout à l’heure vous citiez Mel Brooks pour "Slide", et "Les mutants de l’espace" a un côté "Spaceballs" en animation dans le rapport aux références, "2001, l’odyssée de l’espace" notamment, mais vous les impliquez toujours dans un dispositif qui vous est propre.

Photo de Bill Plympton

Oui, c’est vrai, je reprends le "Danube Bleu" pour le lancement de la fusée (rires).

Logo de SuperSeven

Tous vos films ont aussi quelque chose de musical, à travers la musique de Maureen McElheron (compositrice des films de Bill Plympton, ndlr) mais aussi par le rythme de l’animation et du montage.

Photo de Bill Plympton

J’ai fait de la musique en déménageant à New York, de la country, et j’aime l’idée de l’animation avec la musique. Par exemple, les vieux films des Studios Fleischer avec Cab Calloway, il y avait toujours de la musique et c’était amusant et magnifique à regarder. Je veux faire ça et c’est aussi pour ça que je fais des clips, j’adore ça. J’en ai fait vingt ou trente, pour Madonna ou Kanye West par exemple. C’est une des choses que je préfère réaliser.

Image de contenu d'interview
logo superseven

Propos recueillis par Elie Bartin le 7 mars 2023.