Interview de Alexandra Stewart

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Par Super Seven

le 25/09/2023
Photo de Alexandra Stewart

Alexandra Stewart

C’est assise à la terrasse d’un café du quartier latin que nous rencontrons Alexandra Stewart. Souriante au possible, elle est déjà lancée avec son accent unique, avant même la première question posée.

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Quand ma fille (Justine Malle, ndlr.) parle du film, elle dit « Vous allez voir le seul film dans lequel ma mère est muette, elle ne parle pas de trop »… Voilà pourquoi ma fille est muette, elle, sûrement.

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C’est vrai qu’on vous entend peu dans "Black Moon".

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C’est fait exprès, comme une punition à force de toujours dire n’importe quoi en boucle.

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Louis Malle a vraiment pensé votre rôle comme ça ?

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Je me suis dit, quand même, qu’il y a deux ou trois choses dans le film qu’on pourrait lier à ça… après, il n’a jamais répondu directement sur ce sujet, c’est moi qui dit ça.

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C’est ironique quand on prend en compte que c’est votre seul « vrai » rôle chez Louis Malle. Vous apparaissez dans "Le feu follet", mais c’est plus secondaire.

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Là aussi (elle rit). Je suis même cachée avec les masques à gaz etc.

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Vous existez sans exister en quelque sorte.

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Ah, c’est peut-être mon truc ça, d’exister sans exister (elle rit), dit-elle avec ses ongles noirs. Mais oui, je suis plutôt une assistante que vraiment devant la caméra, d’ailleurs je n’aime pas trop ça. Après, je suis très contente que les gens me prennent et aller dans tel endroit pour faire ci et ça. Je me dis quand même toujours qu’il y a peut-être quelqu’un d’autre qui ferait ça mieux que moi. Cela dit, c’est mon regard, je ne sais pas comment sont les autres acteurs. La scène, ça doit être autre chose que le cinéma. Il y a une distance avec la scène qui rend peut-être ça plus facile.

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Vous avez fait de la scène aussi, non ?

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Plusieurs fois, "Vagues" d’après Virginia Woolf, "Yvonne princesse de Bourgogne" aussi, et j’ai fait une tournée d’une pièce comique, loin d’être « chic intello », mais c’est très bien de faire de tout. Et moi, j’aime voyager. Mais c’est difficile car à chaque fois les scènes changent, c’est soit très grand soit très petit, et il faut s’adapter tout le temps. C’est ça une fois un jour, deux jours, trois jours, … alors qu’au cinéma c’est une prise, deux prises, trois prises. Selon qui tourne cela dit. Chabrol, deux prises, d’autres beaucoup plus. Et ça dépend si on demande aussi. Moi je demande toujours « Encore une, encore une » et le réalisateur répond « Est-ce que tu seras mieux ? » et je réponds « Comment veux-tu que je le sache ? ». C’est au montage que ce sera tranché.

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Pour revenir à "Black Moon", vous allez le présenter dans quelques minutes. C’est sans nul doute le film le plus bizarre, singulier de Louis Malle. Alors, comme s’il s’agissait d’une répétition générale, comment le résumeriez-vous rapidement ?

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Quand je dis à quelqu’un de venir voir le film et qu’on me demande de quoi il s’agit, je réponds – et je ne sais pas si Louis serait d’accord – que c’est Alice au pays des horreurs, des horreurs étranges en tout cas. Ça reste difficile de dépasser "Alice" (de Lewis Caroll, ndlr.) et tous les gens qu’elle rencontre, mais il y a de ça. La jeune fille qui se réveille au monde, perd sa virginité, qui grow up. Mais elle est déjà courageuse, prête à l’aventure, ce qui est étonnant. Elle pourrait s’enfuir, d’autant qu’il y a cette guerre entre les hommes et les femmes. Il y a beaucoup de sujets abordés, aussi la relation entre le frère et la sœur, qui proviennent des lectures d’un homme cultivé de quarante-deux ans. En plus, il utilise sa maison dans le Causse (dans le Lot, ndlr.), qui est étrange comme lieu. C’est un paysage antique, avec les pierres, la sécheresse.

Pour comprendre, il faudrait lire une intellectuelle américaine, Susan Sontag, qui avait beaucoup aimé le film et fait une énorme interview avec Louis à la télé pour parler de tous les thèmes. Sinon, chacun est affecté, ou pas, par ce qu’il voit. Ce n’est pas un film classique, donc certains ne sont pas habitués à se laisser seulement happer par la beauté de l’image et les différentes choses qu’elle suggère, de la mort du blaireau à celle de la femme, notre mère, jouée par la grande comédienne Therese Giehse. Elle avait déjà joué dans "Lacombe Lucien", film sur lequel j’étais assistante donc je la connaissais bien, et elle est morte juste après le tournage. Pour la jeune fille, j’avais suggéré la fille de ma meilleure amie, car j’avais lu quelque part qu’elle avait fait un film avec Robert Altman quand elle avait 7/8 ans. Pour mon partenaire, on a cherché partout. Ça devait être Terrence Stamp mais il n’a pas voulu, il disait ne rien comprendre au scénario. J’étais amie avec lui mais il ne voyait pas quoi faire ici.

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C’est presque ironique pour Terrence Stamp, qui avait joué quelques années avant dans "Théorème" de Pier Paolo Pasolini, film également très déroutant.

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Oui, mais ce n’était pas Pasolini, ou Fellini, c’était Louis Malle, donc il ne voulait pas je pense. Ça me rappelle qu’au Fresnoy, où je participe à un projet, j’ai demandé aux jeunes impliqués quels sont les metteurs en scène qu’ils aiment, en mentionnant Truffaut, Chabrol, Godard, Malle, etc. J’ai fait toute la Nouvelle Vague, et pour la plupart on me répondait « Jamais entendu parler ». Le seul nom qu’on m’a donné, c’est Bong Joon-ho. That was the end (rires). Ça m’a épatée !

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Le film arrive à un moment très important de la carrière de Louis Malle, c’est la rupture avant d’aller aux États-Unis et il suit deux films très controversés, "Le souffle au cœur" et son rapport à l’inceste, et "Lacombe Lucien" pour son regard sur la résistance et la collaboration.

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J’en entendais tout le temps parler de celui-ci, dans le train surtout. J’écoutais des discussions de gens pour et contre, c’était intense. C’est mon film préféré de Louis, avec "Vanya".

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"Black Moon" a quelque chose de la réflexion et du lâcher prise sur ces deux expériences passées, on retrouve de nombreux éléments : l’enfance, le rapport incestueux avec le frère et la sœur ou les tétées avec la mère, la guerre et la position à prendre dessus.

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Oui, il s’est dit « Je me permets ça même si je sais que ça ne marchera jamais ». Il a eu de la chance avec la petite qui joue dedans, mais surtout il a eu Sven Nykvist, le chef opérateur d'Ingmar Bergman, et Rino Carboni, maquilleur de Fellini. D’ailleurs, il m’a maquillée en homme au point qu’un jour, je marchai dans la tente où il y avait le déjeuner de l’équipe, et Louis ne m’a pas reconnue (elle rit). Bon, il avait sûrement d’autres choses en tête sur le moment, mais il n’a pas remarqué.
Pour faire un film comme ça, comme le cinéma coûte si cher, c’est compliqué. Il faudrait réussir en se levant le matin, avec un smartphone, à mettre des choses, des obsessions dedans, comme dans un shaker pour faire un cocktail.

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Pour revenir à la distribution du film, on parlait de Therese Giehse plus tôt, elle raconte beaucoup de choses. Il y a vous, connue pour une carrière française avec les auteurs de la Nouvelle Vague, et vous êtes associée à Joe Dallesandro, qui sortait du cinéma Underground de Paul Morrissey et Andy Warhol, et enfin Therese Giehse, grande comédienne allemande qui amène avec elle tout cet héritage là. C’est comme si toutes les étapes de son œuvre étaient représentées : vous, le début de carrière en France, Giehse et la rupture avec "Lacombe Lucien", et Joe Dallesandro, l’avenir aux États-Unis.

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C’est vrai, bien vu. Quand on tourne dans le film, on ne s’en rend pas forcément compte, mais avec du recul on peut le remarquer.

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Pour conclure, un des films qui semble très influencé par "Black Moon" récemment est "After Blue" de Bertrand Mandico, dans lequel jouez aussi.

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Mandico ADORE "Black Moon". Il est hyper fan, et les personnes avec qui je travaille actuellement aussi. C’est un film qui résonne encore beaucoup pour certains cinéastes.

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Propos recueillis par Elie Bartin le 20 septembre 2023