Critique de la série The Leftovers

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Par Super Seven

le 14/09/2020

Ça commence tout simplement, par une femme qui va faire sa lessive. Elle emmène son bébé avec elle, en profite pour téléphoner, fait beaucoup de choses à la fois, s'emporte au téléphone pour des broutilles. La routine, en fin de compte. Le bébé pleure, et soudain, le vide. Un silence. Pas de grand fracas, de tonnerre, juste un silence, et le vide dans le siège auto du bébé. Et le chaos qui s'ensuit.
Puis à nouveau, la routine. Nous sommes un an plus tard. Un homme fait son jogging, nous apprenons la disparition de 2% de la population, rien n'a donc changé ? C'est cette question qui hantera l'histoire de "The Leftovers". Si peu a changé, et pourtant chez presque tous, tout a changé. Certains chercheront à l'oublier, d'autres à le rappeler durement. Mais tous ont été marqués, qu'ils tentent de la cacher ou non.

Damon Lindelof, qui accompagne Tom Perrotta pour adapter le roman de ce dernier, signe ici encore une fois une écriture riche en rebondissements et en mystères, de plus en plus importants, avec des évènements et personnages qui se nouent et se dénouent au fil des épisodes.
Chacun de ces chapitres suit un des protagonistes, que l'on accompagne dans son combat quotidien jusqu'à comprendre en quoi il est connecté à l'intrigue principale. Lorsque ce lien se fait, de manière parfois surprenante, on se demande, comme eux, si ce qui leur arrive est le fruit d'un hasard absurde ou si cela fait partie du plan d'un Dieu ou du destin.

Le centre de "The Leftovers", c'est bien entendu son personnage principal, incarné, les sourcils froncés, par Justin Theroux, dont l'interprétation très taciturne nous émeut lors de ses rares explosions, qui ponctuent la trajectoire du bonhomme. "You should show some vulnerability. People love that shit", lui demande son père. Effectivement, on adore cette merde.
Si ce gaillard est si renfermé, c'est à cause de sa culpabilité qui le ronge, une culpabilité insidieuse, celle d'être quelqu'un de mauvais, comme il l'avoue plus tard.
Un personnage torturé, donc, mais le héros de cette histoire néanmoins. Un héros qui évite de sombrer dans la nuit en affrontant (d'une manière surprenamment directe) ses démons.

On se demande parfois d'où vient la force émotionnelle de cette série. Quoi de déchirant dans une histoire de grille-pain, de cerf en fuite ou de frigo bloqué ? (Non, ce ne sont pas les intrigues principales, je rassure le lecteur) La force de l'écriture de cette série, c'est la combinaison d'équilibriste entre les problèmes d'une famille au quotidien, mêlés à un propos psychologique sur le deuil et la culpabilité, lui même associé à une réflexion sur des symboles de la mythologie. A tout ceci viennent s'additionner harmonieusement des moments où l'émotion ressort, à travers notamment la lecture du livre de Job, ou parfois les paroles d'un (faux ?) prophète.

Comment donner l'envie de voir une œuvre trop peu connue, et cependant si unanimement acclamée ? En rappelant qu'elle contient des personnages terriblement attachants, des dialogues millimètrés, une musique fascinante ? En évoquant les thèmes ; le deuil, le désespoir, le mysticisme, mais aussi l'élan désespérément vital d'une vie nouvelle, une vie enfin heureuse ? En vantant ses qualités, l'écriture des dialogues et des évènements, le jeu d'acteur impeccable, la mise en scène travaillée ? Tout cela, bien entendu, c'est vrai. Mais ces mots artificiels ne rendent pas honneur à cette expérience. Regarder un épisode de "The Leftovers", c'est suivre des personnages désespérés, poussés à de terribles extrémités par des événements qui dépassent la compréhension humaine, et voir ces personnages lutter de toutes leurs forces, dans un combat intensément romantique contre la fatalité. Et pour finir, c'est voir ces personnages au bout du rouleau se racheter, non pas grâce aux refuges mystiques vers lesquels ils ne peuvent que se tourner, mais par la force de la résilience, qui les pousse à se relever péniblement et à tenter d'aider ceux qui comptent, sans arrières pensées, d'ami à ami, et armés uniquement de la foi en l'humanité qui subsiste de manière irraisonnée.


Etienne Tar

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