Critique de la série Hellbound

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Par Super Seven

le 19/12/2021

SuperSeven :


S’il est évident qu’un engouement général s’est créé autour des dramas coréens après le succès international de Squid Game, la plateforme de streaming Netflix a toujours été un terrain fertile pour les projets du genre en orient, en ne s’adressant en occident qu’à une clientèle de niche. Mais les projecteurs, braqués durant près d’un mois sur la série de Hwang Dong-hyeok, ont permis au grand public d’ôter leurs œillères pour s’ouvrir à ce pan du cinéma coréen. C’est dans une brève accalmie, juste après ce nouvel attrait pour le genre, que Hellbound reprend le flambeau.
 
En moins d’une minute, Yeon Sang-ho impose un style qui use de procédés d’antan pour plonger subrepticement son spectateur dans une ambiance pesante, en introduisant sur fond noir des éléments textuels prédisant l’avenir néfaste du pays. Du silence d’une ville paisible naît l’angoisse d’un visage déchiré par la peur, au loin, une détonation étrange présage la soudaine explosion sonore de la bande-originale de Kim Dong-wook. Entre tonalités épiques pour l’action et grondements sinistres pour les dialogues, ses compositions – loin d’être mémorables – alternent entre discrétion et sursauts ; ceux-ci donnent, par leur pleine puissance, toute la violence soudaine à la première scène.
 
Point de mystère ici, avec une introduction tout en morbidité qui nous offre à voir en plan large les créatures fantasmées par nos attentes. Passé l’effet de surprise, la sensation d’en avoir déjà trop vu s’impose. Bousculés par un démarrage sur-vitaminé et un tantinet déçus par les effets spéciaux – en deçà des standards hollywoodiens –, à l’arrivée du titre, l’envie d’abandonner s’avère terriblement tentante. Pourtant, une curiosité irrépressible, nourrie par la même incompréhension que les enquêteurs de l’histoire, nous empêche d’arrêter. Une raison à cela : l’entrée en scène de Jeong Jin-soo (Yoo Ah-in), leader charismatique de La Nouvelle Vérité, une secte religieuse persuadée de voir en cette affaire un acte divin. 
 
Grâce à l’excellente prestation de Yoo Ah-in (qui portait déjà Burning de Lee Chang-dong en 2018) la série prend une toute autre tournure. À peine pensait-on trouver un énième nanar post-apocalyptique, qu’une plume acerbe trace le plan de l’antagoniste en quelques phrases. L’écriture en est si convaincante que les désirs de la secte semblent légitimes. Un tour de force, sachant que Hellbound joue constamment avec la notion d’humanité.
 
« N’humanisez pas les pêcheurs ». Cette phrase – déclarée par un membre éminent du groupe religieux, alors spectateur des plaintes d’une victime jugée coupable – souligne en toute subtilité les failles de La Nouvelle Vérité et, par prolongement, tout comportement sectaire. Pour éviter l’humanisme, il faut en être coupable. Pour écarter la pitié, il faut la censurer.
 
Des idées qui font – peut-être indirectement – écho aux frontières qu’entretient la Corée du Sud avec son ennemie jurée. Difficile de ne pas y voir un lien avec la dictature du Nord qui régit le « Pays du Matin Calme ». Le milieu de saison voit le rapport de force entre fidèles et insoumis se déséquilibrer. Quand même les actes divins semblent s’afficher contre les opprimés, la remise en question de toute chose est totale. Un débat qui restera en suspens. 
 
Si l’on trouve – à regret – quelques allocutions apitoyantes qui mènent « le mal » à justifier ses méfaits, ces dernières cherchent plus souvent à meubler quelques secondes pour créer un pont entre deux discours. D’ailleurs, ce choix se ressent aussi dans sa volonté de ne dresser ses décors qu’avec humilité pour centrer l’attention sur les mots. Peu de plans larges, de travail sur le cadre et la lumière, la mise en scène a tendance à s’effacer. Et si le montage s’avère perfectible dans sa fluidité – notamment sur quelques passages au noir parfois maladroits –, seules les paroles subsistent.
 
Hellbound aurait pu s’encrasser dans ses propres discours, mais réussit à s’en échapper en usant d’un contraste bienvenu. C’est dans les brèves apparitions du porte-parole de La Pointe de Flèche – un autre groupe extrémiste – que l’on trouve dans le montage une approche qui détonne volontairement de la mise en scène afin de garder en tout temps l’attention du public.
 
Passée son introduction déconcertante et son final un brin convenu, la série de Yeon Sang-ho convainc en marquant systématiquement des points dans sa construction. Si l’écriture repose trop ses mystères sur une potentielle deuxième saison, la palette de sujets abordés ne cesse de surprendre par sa richesse. Hellbound s’impose comme un nouveau met de choix sur la plateforme. Reste à savoir si la soudaine curiosité du grand public pour les dramas coréens n’était qu’un effet de mode où une réelle ouverture au cinéma asiatique.


Léo Augusto Jim Luterbacher

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