Par Super Seven
SuperSeven :
Il m’aura fallu tout de même trois ans avant de m’y mettre. À son apparition sur Netflix, j’avais vaguement entendu parler d’une nouvelle série évènement sobrement intitulée « Damnation ». Et pour être franc, c’était à l’époque la mini-série, sortie le même mois, « Godless », de Scott Frank qui m'avait plutôt charmé. Un ton western plus affirmé, une patte esthétique bien trempée et la motivation de me retrouver face à sept épisodes qui concluraient une histoire, sans le besoin exaspérant de voir une recette se prolonger inutilement.
Pourtant, avec le temps « Damnation » est tombé dans l’oubli malgré d’excellentes critiques. Que s’est-il passé ?
La réponse, c’est la frustration.
Il y a tout d’abord cette première rencontre avec la série qui étonne. À moins de s’être renseigné auparavant, il est tout bonnement impossible d’avoir une quelconque information concernant l’époque des évènements. Une scénette en guise d’introduction, digne d’une mauvaise blague (alors c’est un voleur, un paysan et un prêtre qui se retrouvent autour d’un poulailler…), suffit pourtant à nous plonger avec efficacité dans un univers qui, on le voit venir, se profile comme un pur hommage au genre western. Et alors que l’on s’apprête à voir cowboys et éperons sur fond de Morricone, une voiture entre discrètement dans le champ, nous propulsant dans une Amérique du quasi-milieu du vingtième siècle. C’est sans conteste la première frustration illégitime que nous fait ressentir l’œuvre de Tony Tost. Pas de duels ni de saloons, juste des Stetsons.
La série pose calmement le décor, les personnages sont présentés au compte goutte et alors qu’un rythme lent s’en dégage naturellement, le récit nous pousse soudainement à comprendre tous les enjeux en moins de quinze secondes. C’est effectivement durant cette durée absurdement courte que l’on nous expose l’antagoniste, la problématique et la volonté du héros. La deuxième frustration entre en jeu. Le rythme est constamment bouleversé, ne sachant plus vers quel genre pencher. « Damnation », qui se présentait comme un drame historique se trouve en réalité emprunt d’une action qui aurait pu, à maintes reprises, s’avancer à pas plus subtil. Mais pas seulement ! La trame elle-même souffre de ces problèmes de rythme, gardant en réserve trop longtemps ses secrets pour les lâcher brièvement en une poignée de seconde à chaque fois. L’agacement naît par cette volonté de rebondir plus loin avant-même que son spectateur n’ait pu avaler la nouvelle. La série cherche délibérément à nous divertir là où elle aurait pu nous faire bouillir.
Et puis, il y a la mise en scène du titre en début de chaque épisode, dont la police s’intègre parfaitement dans le décor, à la manière de "Watchmen" (Damon Lindelof, 2019), avec la subtilité de la voir s’éclairer en fonction du paysage et de s’épousseter ou s’effilocher selon son environnement. Le titre épouse avec tant de justesse chaque début d’épisodes, que l’on se retrouve à l’attendre ce moment, quitte à se creuser la tête pour s’imaginer là où la mise en scène saura encore s’imposer. Un ajout qui semble anodin mais qui, en réalité, apporte une réelle valeur esthétique. Et vous l’aurez compris, on atteint là pourtant, le troisième point frustrant. Comme si cette bonne idée, mise en avant durant les premiers épisodes avait été tout simplement oubliée. Au fil de la série, les titres n’apparaissent que pour indiquer « Damnation » et non plus par ajout artistique. Adieu la justesse, place aux incrustations mal placées, réveillant nos instincts maniaques, nous poussant continuellement à croire que le temps passé à éviter le placement d’un générique en faveur d’une police originale s’est vu délaissé au profit d’une répartition aléatoire.
On pourrait accuser cette critique, jusque-là négative, de n’être fondée que sur du chipotage au détriment d’une mise en avant de défauts plus graves… et c’est le cas.
Il n’y a en réalité pas grand chose à reprocher à « Damnation » tant sa réalisation s’avère maîtrisée de bout en bout. L’ambiance et la bande originale, sans être époustouflantes se montrent efficaces. Tout l’attrait se retrouve dans l’écriture de ses personnages qui évoluent au gré de l’histoire, bouleversant sans cesse nos aprioris ; il y a une décomposition progressive du bien au détriment du héros, doublée d’une remise en question de l’idée même de rédemption.
On retiendra en particulier l’acteur Logan Marshall-Green dans le rôle de Creely Turner, épatant durant l’intégralité de la série de par sa vaste palette d’expression. Killian Scott (Seth Davenport) de son côté n’est pas à plaindre, offrant également une interprétation maîtrisée d’un rebelle en quête de justice. Il y a donc là toutes les composantes d’une véritable pépite, de quoi nourrir qualitativement le catalogue de Netflix.
Malheureusement, la quatrième et ultime frustration est l’annulation pure et dure de la série, faute d’audience. Le scénario se terminant sur un climax tétanisant, l’impression douloureuse d’avoir perdu les dernières pages du roman s’avère dévastatrice.
On peut alors s’interroger sur l’intérêt de tenter cette aventure. Un tableau garderait-il son attrait si la toile était déchirée ? Rapidement éclipsé par le succès fulgurant de Godless, la série de Tony Tost s’impose tout de même comme une œuvre de grande qualité et d’une frustration sans pareille.
Léo Augusto Jim Luterbacher