Critique de la série La Chute de la Maison Usher

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Par Super Seven

le 13/10/2023

SuperSeven :

Melting Poe

Cela fait maintenant quatre ans que Mike Flanagan n’est plus apparu sur grand écran. La dernière fois, c’était pour Doctor Sleep, double défi — continuité du Shining de Stanley Kubrick et adaptation du roman de Stephen King, qui désavoue totalement l’œuvre citée précédemment — largement mésestimé. Depuis, c’est sur Netflix, et principalement dans l’univers de la série télé que Flanagan continue son chemin, avec un rythme impressionnant d’une série par an. En 2018, il nous livrait The Haunting of Hill House, fabuleuse relecture du roman éponyme de Shirley Jackson où Flanagan recontextualisait son sens de l’horreur pour l’incorporer au cœur d’une famille brisée, où les fantômes étaient toujours hors-champ et le passé indissociable du présent. Hill House a été suivie d’une seconde saison spirituelle décevante, The Haunting of Bly Manor,puis Midnight Mass et The Midnight Club ont rassuré un peu. La Chute de la Maison Usher marque ainsi la fin de son contrat fructueux avec la plateforme. A la fois adaptation de la nouvelle éponyme, et de l’ensemble du répertoire d’Edgar Allan Poe, cette nouvelle série marque un changement pour le metteur en scène.

Flanagan et Michael Fimognari (son chef opérateur de toujours et coréalisateur de la série) utilisent la superficialité de l’horreur comme arme contre leurs personnages. La famille Usher sert de punching-ball à ses créateurs pour permettre à Flanagan d’aller dans des territoires qu’il n’a pas encore explorés. Remplis d’êtres tous détestables — à l’exception de Lenore, « la meilleure d’entre nous » —, la série s’ouvre sur le fait que les six enfants Usher sont morts, en plein milieu d’un procès contre leur conglomérat pharmaceutique. Face à l’impossibilité de changer leurs sorts, Flanagan décide de s’en amuser. Bien que reprenant la structure anthologique de Hill House — chaque épisode suit principalement l’un des enfants tout en étoffant l’histoire principale —, La Chute de la Maison Usher prend peu à peu la forme d’un rise and fall, où la fameuse chute se rapproche d’une torture sophistiquée digne d’un opus de Destination Finale, où l’impossibilité d’échapper à la mort règne, comme dans l’œuvre de Poe – voilà un croisement que l’on n’aurait jamais pensé voir.

Le découpage épisodique permet également à Flanagan d’attribuer à chaque enfant une nouvelle de l’auteur, comme Le Chat Noir ou Le Masque de la Mort Rouge, d’autant que les membres de la fratrie (et pas que) sont nommés d’après des poèmes et personnages de son univers. Cette accumulation de références a tristement pour elle de guider autant que de perdre le spectateur. Les moins initiés y verront un hommage mignon, même si parfois excessif — la récitation de poèmes illustrés, ça ne marche pas à tous les coups — mais pour les aficionados, il y a là une balourdise agaçante. Heureusement Flanagan ne se repose pas uniquement dessus mais entend réinterpréter le tout, inscrivant notamment tout ce beau monde dans l’univers pharmaceutique, non sans rappeler la crise des opiacés, si ce n’est qu’il s’intéresse ici bien plus aux conséquences qu’à un réel message politique.

Aussi, Flanagan embrasse la superficialité de son concept et de ses personnages à travers son imagerie horrifique. Les jumpscares sont nombreux — il était déjà ironiquement entré dans le Guinness Book suite aux vingt-et-unes itérations de l’artifice en une seule scène de The Midnight Club —, or il s’agit de l’élément le plus superficiel de l’horreur, qui ne travaille pas l’ambiance mais jette simplement un son et une image à la gueule du spectateur. Là encore, Flanagan le détourne, réfléchit, pour en limiter la gratuité, mais aussi pour mieux l’incorporer dans son récit sur une famille qui n’a en commun que l’amour du pouvoir, de l’argent et le nom Usher (et encore, pas tous). De plus, au suspens et à l’angoisse convoqués s’ajoute, petite nouveauté, le body horror, non sans rappeler David Cronenberg par moments, voire LA scène du film de Brian Yuzna, Society — ceux qui l’ont vu comprendront tout de suite le rapprochement. Cette générosité, pour ne pas dire surenchère, rejoint le mode de vie de certains des enfants qui lorgnent vers l’hédonisme, par l’alcool, la drogue et le sexe, omniprésents, dont la représentation outrancière frise l’horripilant.

Finalement, La Chute de la Maison Usher s’apparente à une version sarcastique de The Haunting of Hill House. Flanagan retravaille sa structure — de l’enfance à la mort pour les Jumeaux Usher —, la saupoudre d’une certaine fatalité (l’inévitable) quant aux événements ayant eu lieu quelques semaines auparavant, et surtout d’un grand cynisme. Le tragique de la tourmente des Crain d’Hill House laisse place à une horreur souvent gratuite, tournant en ridicule les Usher tout en les mettant en face de leur propre cupidité. La plupart des enfants chutent à cause de leur entêtement. La recette a toutefois un défaut majeur, celui de ne pas entièrement retranscrire l’idée sans révéler qu’elle n’est pas développée. Si chaque personnage a un épisode qui lui est consacré, leur mort prend trop d’importance, de même pour ceux plus secondaires (à quelques rares exceptions). La Madeline incarnée par Willa Fitzgerald (celle du passé) ne se retrouve jamais dans l’incarnation de Mary McDonnell, non pas faute de talent de l’actrice mais bien d’écriture où la volonté de trop raconter se heurte au format d’une poignée d’heures. Cela dit, pour compenser, les visages sont familiers, Mike Flanagan oblige, avec une grande partie du casting constituée d’habitués du cinéaste. Bruce Greenwood — qui avait joué dans Jessie — excelle en patriarche antipathique rongé par la maladie. En face, Carla Gugino prend un grand plaisir à incarner l’adversaire de la famille, sorte d’anti-héroïne, Verna. Véritable caméléon sur les plans physique et psychologique, sa relecture du Corbeau est sûrement la meilleure idée de la minisérie, tant sa tourmente divertissante opère un fin glissement vers le jouissif.

L’ambition de Mike Flanagan est peut-être sa plus grande tare. Vouloir adapter, recontextualiser et mettre à sa sauce une belle partie de la carrière d’un auteur prolifique, est possible, certes, mais pas sans se heurter à des obstacles de taille. Heureusement pour lui, sa maîtrise de l’horreur et un ton inédit donnent envie de tout lui pardonner, même une conclusion terriblement ridicule, qui casse une très bonne dernière heure. La Chute de la Maison Usher et sa fatalité ne laissent finalement espérer qu’une seule chose, de retrouver cette maestria sur un écran de cinéma.


Pierre-Alexandre Barillier

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