Critique du film Yannick

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Par Super Seven

le 04/08/2023

SuperSeven :


Si vous vous êtes déplacés en salle récemment pour vérifier si Barbie était mieux qu'Oppenheimer, ou l’inverse, vous avez peut-être pu apercevoir avant votre séance les trois courts teasers du nouveau cru de Quentin Dupieux, Yannick. Il y poursuit sa tradition des petites phrases : après "Kubrick mes couilles" (Réalité) et "Un style de malade" (Le Daim), découvrez "Ça peut partir en sucette à n'importe quel moment là c't'histoire". Pourtant, si Dupieux poursuit certaines de ses manies, il rompt aussi avec d'autres.

D’une part, il continue à faire des films courts, tournés vite (huit jours en l'occurrence), qui partent d'une idée simple et l'exploitent jusqu'à l’épuisement sans s'embarrasser de longueurs. Ici, lors de la représentation d'un mauvais vaudeville intitulé "Le Cocu", un spectateur, Yannick, interpelle les acteurs pour leur faire part de son mécontentement. Ce qui suit est un petit huis clos concentré en 1h07, durée assez inhabituelle aujourd’hui. D’autre part, son art de l'absurde ordinairement plutôt abstrait – dès Rubber, il développe le concept "No Reason", c'est-à-dire l'absurde pour l'absurde –, s’avère cette fois-ci plus réel, matériel. Comme si Dupieux s’éloignait de son style habituel pour se rapprocher de ses maîtres, qu'il n'avait plus cités aussi directement depuis Au Poste!.

L'aspect théâtral renvoie directement au Charme discret de la bourgeoisie de Luis Buñuel et sa bande de riches piégée sur scène, tandis que l'affiche – hommage à celle de Trop Belle Pour Toi – convoque Bertrand Blier ; son ombre plane au delà des supports de communication, entre autres par une référence explicite à Depardieu et Dewaere (ses acteurs fétiches), cités comme modèles par le personnage joué par Pio Marmaï. Ce qui surprend toutefois le plus est la veine sociale qui prend forme, jusqu’alors inédite chez Dupieux. En effet, Yannick carbure à l’opposition de classes : c’est la colère d'un prolétaire – gardien de nuit dans un parking – contre la petite bourgeoisie intellectuelle (représentée par les acteurs de la pièce, en particulier par Pio Marmaï). Celle-ci a le pouvoir, mais ne se gêne pas pour mépriser, tourner en ridicule le cri de révolte du pauvre spectateur en allant même jusqu’à une certaine jouissance dans l’humiliation. La seule manière pour Yannick de riposter réside dans la violence, incarnée par une arme à feu qui lui est nécessaire pour obtenir le respect qui lui est dû.

Yannick pose une question qui dépasse sa seule sphère théâtrale pour rejoindre celle du cinéma : que doit le réalisateur/le producteur au spectateur ? On pourrait voir dans le film une charge contre le divertissement de masse, qui, souvent indigent, ne montre aucune forme de respect pour le spectateur. Mais Dupieux ne fait pas non plus l'apologie du film d'auteur à la française, qu'il trouve snobinard. Anti-intellectualiste fièrement revendiqué, il propose ici une voie(/x) alternative, celle d’un divertissement pascalien (le divertissement pour oublier sa finitude et les soucis de l'existence) par le peuple et pour le peuple. En réalité, il parle ainsi avant tout de son art à lui. Fils de garagiste autodidacte, il a réussi à faire son nid dans le cinéma français, et il invite le spectateur de toute classe sociale à faire comme lui/Yannick. Il s’agit de ne pas laisser le divertissement aux bourgeois, et d’oser écrire et réaliser des films – que l’on ait fait, ou non, une école de cinéma –, pour proposer un divertissement sincère, qui respecte son spectateur, avec la simple prétention de le faire rire et de lui faire oublier les difficultés de la vie.

Arrivé sans prévenir, comme une petite friandise en attendant Daaaaaali! qui sera présenté en hors compétition à la Mostra de Venise, Yannick est l’un des films les plus personnels du cinéaste, voire son œuvre la plus réussie depuis Le Daim. On doit cela notamment à Raphaël Quenard, déjà présent dans Fumer fait tousser et qui brille récemment dans ces rôles de jeune prolétaire. Sa diction particulière et son franc-parler, mêlés à des dialogues efficaces, en font un personnage qui fait rire autant qu'il émeut par sa situation sociale et sa solitude. La fin est un peu brusque – Dupieux oblige –, mais la promesse est tenue : un bon divertissement, honnête, sans fioriture et accessible. Une petite bulle de légèreté pour rire et oublier les soucis de la vie.


Marc Thibaudet

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