Critique du film Xanadu

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Par Super Seven

le 09/04/2024

SuperSeven :


Requiem pour un massacre

Xanadu... Si ce nom évoque immédiatement la demeure de Citizen Kane (ou l’ancienne cité chinoise), les plus chanceux – les vrais cinéphiles, ceux qui n’ont peur de rien ! – ne peuvent s’empêcher de penser à Olivia Newton-John, Gene Kelly et... aux rollers. Sacrifié à sa sortie par un studio peu confiant, Xanadu est pourtant une des pierres angulaires de la pop-culture – il est, en partie, responsable de la création des Razzies Awards – mais surtout, le temps faisant son effet, il est l’heure de lui offrir une seconde vie et pour cause : Xanadu est un classique !
En réalité, l’idée d’en faire un article n’est pas des plus brillantes, puisque le film de Robert Greenwald est de ceux dont il est difficile, pour ne pas dire impossible, de rendre compte ou de faire justice par la seule description. Dès son logo Universal détourné par un avion puis par un OVNI, le ton (lunaire) est donné, mais comment alimenter une telle dynamique ? Continuer sur neuf femmes — des muses ! — prenant vie depuis une peinture avant de se lancer dans un grand ballet électronique et fluorescent tandis que la bande originale au synthé scande “I’M ALIVE” ? Ou bien finir sur Gene Kelly en rollers criant XANADU ? Tout cela, et bien plus encore.

Xanadu est par essence insaisissable, imprévisible, intrinsèquement déroutant. Est-ce car le film fut constamment réécrit sur le vif ou bien parce que les exécutifs étaient infusés à la cocaïne ? Très certainement les deux. C’est sûrement ce qui fait tout l’attrait du projet : une grande créativité doublée d’une infinie générosité. A partir d’un cahier des charges palpable – du roller (beaucoup), du disco et la star du tout frais Grease, un film largement moins bon d’ailleurs –, Greenwald livre une série de fabuleux numéros musicaux, tous plus gros les uns que les autres, allant du crash test des effets de néon de Tron à une séquence entièrement animée par Don Bluth sans sourciller. En réalité, le film est très platement mis en scène, mais c’est avec cette débauche d’idées – certaines (les 9 muses notamment) quasiment pas utilisées et d’autres (la romance entre Kira et Sonny incompréhensible et invisible...) insérées par politesse pour faire avancer l’histoire – que Xanadu obsède à minima, avec sa capacité à foncer droit dans le mur. Mais c’est surtout par l’alliance entre la magnifique voix d’Olivia Newton-John et les compositions d’Electric Light Orchestra que la magie opère, la bande originale ayant tout du hit intemporel, bien totalement imprégné de son époque ; malgré l’échec retentissant en salles, les chansons, elles, connaissent un franc succès au point d’être au top des ventes.
Car, l’intention est d’imprégner le film d’une culture des années 40 autant que des années 70. Pour la musique aussi justement, tant les compositeurs mélangent organiquement ces deux registres. La plupart des balades renvoient à la sensibilité orchestrale et classique des années 40, mais le synthétiseur et les vibes disco sont rarement bien loin. Une seule réelle exception, et dont l’hommage justifie la certaine sagesse face au style musical : la présence de Gene Kelly — son ultime rôle au cinéma — qui sert de catalyseur. Sa seule participation renvoie immédiatement à tout un pan de l’histoire du cinéma, le musical à l’ancienne, auquel le film fait bizarrement honneur ; Danny McGuire (Gene Kelly reprend là son rôle de La reine de Broadway de Charles Vidor) se remémore ses années 40 — la plus grande partie de la carrière de l’acteur — et avec cela, une romance avec l’une des anciennes incarnations de la Kira d’Olivia Newton-John. Le temps d’une séquence, inspirée de Frank Sinatra, le disco disparaît et amène l’acteur à danser avec un spectre, non pas le sien comme jadis mais celui de Kira. Convoquer un personnage, LA figure d’un genre historique, dans un projet aux antipodes de ce à quoi on rend hommage, est un geste aussi extrêmement culotté qu’il donne au pot-pourri qu’est Xanadu une étrange profondeur mélancolique.

La scène de l’inauguration du club éponyme — dont la réelle utilité n’est jamais vraiment définie — dessine la complexité du projet : tout est trop présent, et pourquoi ? Entièrement musicale, cette séquence s’ouvre sur une musique de tambours, à laquelle on ajoute (progressivement) le synthétiseur et autres instruments aux sons électroniques ainsi que des chœurs pour habiller le tout. Tout le monde est en roller, des jongleurs lancent des quilles, certains sont costumés en Casse-noisette, d’autres à mi-chemin entre le mac et la parodie de dieu grec. D’un coup, le registre change sèchement : on entre à nouveau dans le disco avec Olivia Newton-John et voici qu’arrivent funambules et... trapézistes ? Une surenchère d’idées visuelles, excitantes de prime abord, mais qui ne servent à rien puisque jamais cette surcharge n’amène une réflexion sur l’univers en question. Xanadu empile, emmagasine, dégueule et s’avère, malgré lui seulement, l’incarnation d’un certain esprit sur-consommateur, du divertissement ad nauseam très eighties, en faisant une œuvre presque annonciatrice de la décennie à venir. Dommage donc, mais surtout : pourquoi ? Risquons-nous à une hypothèse. Produit et distribué par Universal (pourtant sous la houlette de la future hit machine Joel Silver – on lui doit Predator, les Die Hard et l’on en passe), le film est un pur produit manufacturé par les hauts gradés voulant surfer sur un esprit nostalgique pour remplir les caisses, avec certes l’idée d’offrir un moment captivant voire jouissif mais à travers un récit écrit à la va-vite et confié à un cinéaste aussi peu talentueux qu’il dispose d’un budget confortable pour réaliser tout ce qui lui passe par la tête. Une formule qui confère à Xanadu son aura de curiosité, à la frontière entre le produit industriel défectueux de son temps et l’ovni éternel et charmant.
Face à un tel crash artistique, les mots manquent pour argumenter, que ce soit en sa faveur ou contre. Une étrange équation au sein de laquelle rien n’est censé s’additionner avec ce qui existe autour (les contours néons de personnages, jeux de lumières aléatoires, machines à fumer en roue libre ou encore les décors en carton-pâte) mais qui tient la route, voire fascine grâce aux musiques qui cimentent en cohérence – encore que, le disco peut muer en country sans aucune transition – cet édifice on ne peut plus branlant. La beauté de l’entreprise est telle que ce qui a commencé comme une commande, vouée à respecter les codes de l’époque, a fini en semi-projet de passion, du moins pour Gene Kelly qui ne devait pas danser mais qui est finalement allé jusqu’à aider aux différentes chorégraphies, ajoutant une dimension de transmission touchante et de sincérité indéniable à l’écran. Un enthousiasme qui a vraisemblablement envahi les autres secteurs (costumes, décors...), pour un mariage du bon et du mauvais goût sous le signe sacré du kitsch.
Ébaubis devant sa bizarrerie, pouvons-nous réellement expliquer Xanadu ? Rien n’est moins sûr. Contentons-nous de le comparer à son nightclub roller-disco éponyme : est-il réel ou pas ? Qui sait.


Pierre-Alexandre Barillier

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