Critique du film Wonka

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Par Super Seven

le 03/01/2024

SuperSeven :


Douceur à la meringue des îles célestes, chocolat fondant au lait de girafe et au cacao d’Oompaland, tarte aux rayons de soleil d’or liquides ou grande crème pralinée, au beurre de licorne, peut être une pointe d’épices des arbres de l'Himalaya. Tant d’hyperboles, grossières comme ridicules dont on voudrait étiqueter l’emballage de ce Wonka. Si la notice sur le papier peut faire rêver un enfant en mal de sensations fortes, une question nous taraude tout de même l’esprit : qui a réellement envie de boire du lait de girafe ? Alors on se retrouve devant cette oeuvre tout en surplus, un Hugh Grant en Oompa-loompa orange, un enchainement maladif de farces avec pour point central un Timothee Chalamet en constant surjeu. On pourrait probablement comparer cette oeuvre aux gaufres pour touristes, avec toutes sortes de garnitures fantaisistes, qui sont des encas hauts comme une montagne ne laissant plus un rond en poche. Du cinéma-tourisme oui, sûrement pour arriérés n’y allant qu’une fois tous les trois mois avec le mioche, crachant 20€ dans une salle Dolby et dans le chocolat industriel Wonka que vend Warner Bros.

C’est une définition possible. Pourtant je pense plutôt à autre chose. Une ballade au bord d’un fleuve — le Danube, la Tamise, la Seine se fondant ensemble sans distinction —, l’odeur d’un marché de Noël tout proche, une glace au chocolat en main dégoulinant sur les vêtements, et le regard complice d’une amie dans lequel se reflète tout ce spectacle. C’est là en réalité que réside la vérité sensible de Wonka, lorsque le jeune chocolatier ouvre le petit mot de sa mère, censé lui révéler le secret de sa recette : « Ce qui compte n’est pas le chocolat, mais la personne avec qui on le partage ». Ultime couche de guimauve en guise de conclusion, avec cet item sortant des comédies les plus mielleuses formatées pour les fêtes de fin d’année ? Non, une réalité sensible plus enfouie : la présence humaine dans tout cet amas de couleur. Voir Wonka comme un produit manufacturé Warner Bros serait une erreur. Ce qui fait que cet amas de saveurs fonctionne est bien simple : la présence d’un humain derrière ce bazar, transformant ces arômes du surplus en une douceur simple. Nommons-le enfin : Paul King.

Une vision humaine du cinéma est au centre de son oeuvre, portée sur les humains et toujours personnifié par un homme. Wonka, c’est une troisième pièce du puzzle de son travail après les deux premiers Paddington. On y retrouve sa famille de cinéma (Sally Hawkins en mère protectrice, Hugh Grant toujours chic et grincheux — un rôle qu'il aime jouer au delà des caméras —, son scénariste Simon Farnaby, etc.) dans une oeuvre qui semble animée par l’idée de famille. Le même schéma se répète continuellement. Un jeune protagoniste naïf et élégant se retrouve catapulté de ses origines lointaines à un milieu urbain sans repères. Une famille de substitution se crée alors autour de sa sympathie naturelle. C’est toute la figure du héros capra-ien que King reprend, avec un monde sans pitié qui tente d’abuser un jeune homme à priori seul qui finira toujours par contrebalancer la loi du plus fort par une intervention divine, ou plutôt par la force des rouages d’un groupe d’humains bien terrestres. L’idée d’un espoir perpétuel (chaque individu a un impact sur son environnement), qu’un homme juste est peut-être la première pierre d’un édifice juste. King est cependant plus intéressé par le lien que par l’idée. Wonka est entièrement dévoué à la réunion de personnes, à la recréations de relations : celle d’une fille avec sa mère, de deux amours de jeunesse perdus… En découle un grand thème du cinéma populaire lié à un collectif d’âmes exclus — hier les enfants scouts dans Mr. Smith au Sénat, aujourd'hui le personnel d’un hôtel piégé par ses créanciers dans Wonka —, thème d’ailleurs repris par chaque publicité McDonalds ou autre franchise, à savoir que le créateur premier de lien est la nourriture. Une idée d'ailleurs à l’affiche chez un concitoyen de Paul King : Ken Loach et son The Old Oak, qui a eu la bonne idée de sortir aux alentours de Thanksgiving.

La patte Paul King dépasse toutefois sa simple science du personnage pour s’attacher aux environnements et aux formes. Il y a un amour de la géographie, qui vient mêler milieux citadins aux grands imaginaires exotiques, et surtout un amour de l'urbanisme évidemment, avec cet amusement à récréer une ville qui n’est pas totalement Londres, Paris, ou Vienne mais où l’on peut faire fortune. Le décor s’ouvre ainsi comme une maison de poupée, les bouches d’égouts faisant lieu de portails de téléportation, tandis que les fenêtres derrière les barreaux communiquent toutes entre elles… Cette utilisation de l’espace renvoie au dessin animé, idée qui nous frappe à chaque scène où Timothée Chalamet, pas bien loin du Chapelier Fou, sort tout un tas d’ustensiles de son chapeau qui semble infini. Il y a donc cette concentration citadine d’âmes perdues, fauchées et le monde autour, prêt à offrir mille tours de magie à chaque bout de terre ; en témoignent les ingrédients de Wonka, dont on se dirait que cinq films seraient nécessaires pour résumer toutes les aventures qui l’ont conduit à posséder ces choses. On retrouve la mythologie enfantine puisée chez Dahl, laquelle nourrissait déjà les Paddington. Les mondes de Paul King ne correspondent pas réellement à la Terre mais à une étrange rêverie parallèle à notre univers. Cela vaut même quand le cinéaste situe ses films à Londres, ou quand il se moque d’institution bien réelles — par exemple, les pouvoirs cléricaux et policiers transformés en deux groupes guignolesques accros au chocolat.

Tout ce milieu, ces fanatiques de l’Église, ces policiers aussi obèses que corrompus, cet entre-soi capitaliste explose, s’envole littéralement dans un déluge de chocolat. On est alors devant ce spectacle du trop, ces cent références faisant se croiser Wes Anderson et Stanley Donen, et cet amas d’influences géographiques toutes réunies dans un microcosme particulier. Wonka revoit dans la foule euphorique le sourire de sa défunte mère. On imagine surêment Hugh Grant désemparé devant toute cette bonhomie infantilisante. On se reveille alors de cette rêverie, de la glace fondue plein le pantalon devant les yeux railleurs de notre amie. Mais cette tombée de crème glacée sur nos vetêments gâche-t-elle sa saveur, cet instant ? Non, la seule et unique chose à laquelle on pense, c’est à la prochaine fois où on ira au cinéma avec cette fille qu’on aime tant, à la prochaine fois qu’on mangera la glace du chocolatier Paul King.


Victor Abouaf

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