Critique du film Women Talking

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Par Super Seven

le 03/03/2023

SuperSeven :

Particulièrement attendu aux États-Unis sans pour autant faire de bruit dans l’Hexagone, Women Talking peut paraître prometteur : un sacré casting, le portage d’un roman particulièrement acclamé, mais surtout une chance pour l’actrice devenue réalisatrice Sarah Polley d’enfin émerger comme une cinéaste importante de son époque.

Le titre nous met d’emblée la puce à l’oreille : les femmes parlent. S’appuyant principalement sur les dialogues écrits par Polley — également scénariste donc –, Women Talking se restreint dans sa temporalité (à peine plus de vingt quatre heures) et son décor (l’étage d’une grange), ce qui renforce le sentiment d’urgence auquel ces femmes sont confrontées : il faut agir, et vite. Un dispositif intéressant, mais qui révèle très vite ses limites.

Bloquées sur le résultat de leur vote — une égalité entre rester pour se battre et fuir pour se reconstruire —, l’heure est au débat. Or, pour compenser une discussion floue et peu contextualisée, Polley joue de plusieurs artifices afin d’éclaircir son récit, à commencer par une voix-off par l’une des jeunes filles de la communauté. Cette narration forcée s‘avère assez inutile tant elle ne semble que brasser de l’air. Certes, il est intéressant d’envisager cette histoire comme une vouée à se transmettre de génération en génération dans ce nouvel ensemble que les protagonistes veulent se créer, loin des hommes qui ont causé tort. Comme un “souvenir” permettant à la descendance de ne jamais reproduire ces erreurs, de savoir prendre les armes et agir en temps voulu. Difficile toutefois de ne pas subir cette lourdeur sur-explicative d’un film pourtant déjà très (trop) explicite, et qui ne cesse de l’être.

En effet, Polley use aussi de flashbacks, qui permettent de montrer des événements – traumatiques – mentionnés ou évoqués au cours des échanges. La maladresse dont elle fait preuve illustre ici l’impasse de ses capacités de cinéastes. Ne sachant comment développer une véritable psychologie à ses personnages, elle se contente lâchement d’inserts quasi subliminaux de moments de souffrance de ces femmes, souvent lorsque leur colère ou mal-être s’exprime. Ainsi, l’artifice jouit de son sens le moins favorable puisque, non pas ingénieux, il s’avère être une vilaine ruse de montage (ratée) pour masquer la vérité de l’absence de point de vue de cinéaste de Polley ; là où le non-dit visuel, en écho avec l’absence presque totale d’hommes, aurait pu créer un climat étrange. D’autant que bien qu’étant une communauté vivant anachroniquement, les faits se déroulent à notre époque contemporaine (2010), de sorte qu’il est aisé pour le spectateur de faire le lien entre ce qui se joue pour ces femmes et l’affaire #MeToo, sans avoir à le matraquer si violemment.

Couplés à la narration en voix-off, compliqué alors de ne pas avoir le sentiment que le scénario matraque ses intentions au point de révéler un manque total de confiance de Polley en son sujet. En réalité, le problème lié à la psychologie des personnages est directement lié à celui de leur caractérisation, laquelle est sacrifiée sur l’autel de l’histoire simple à suivre. Les femmes n’ont souvent qu’un trait de caractère lors du débat engagé — la réticente, la suiveuse, la bagarreuse, etc. — sans aucune perspective d’évolution, si ce n’est lorsqu’un acte précis implique un changement et une avancée dans le scénario. On peut s’interroger sur l’existence ici d’une éventuelle réflexion sur la condition du “Syndrome de Stockholm”, où la victime préfère un confort lié au fait de rester dans le même mode de vie peu importe ces conséquences, ou si Sarah Polley n’a, une fois encore, pas les ressources pour laisser dérouler son histoire et sa caractérisation complètement par le dialogue.

Et c’est sans blâmer les interprètes du film. C’est là que réside la grande force de Women Talking, à savoir l’incarnation. Travaillant avec ce qu’elles ont — ce qui est parfois peu —, les comédiennes donnent corps au texte et à leurs personnages. Au cœur d’une si belle distribution (Frances McDormand, Rooney Mara et la délicieuse Sheila McCarthy), c’est pourtant Claire Foy qui tire le plus son épingle du jeu. Encensée sur le petit écran avec sa formidable prestation dans The Crown, qui compense sa discrétion au cinéma – elle fut injustement peu applaudie pour First Man –, elle trouve ici un excellent rôle — certes extravagant mais jamais surjoué — en résistante sensible prête à défigurer ces bêtas de mâles alpha. Ce n’est pas sans mérite pour Jessie Buckley qui impressionne également en mère courage peinant à délaisser son mari violent, continuant son ascension de ces dernières années. Seul Ben Whishaw – unique homme à apparaître, et à être toléré par l’assemblée de femmes –, semble “bizarre” dans son rôle d’universitaire simplet excessivement sensible (alors qu’on apprend qu’il est le fils d’une des femmes qui fut parmi les plus fortes de la communauté), au point de desservir le propos en flirtant avec la caricature.

Women Talking relève donc du film de troupe, doublé d’une mise en scène très théâtrale (unité de temps et de lieu) ; alors qu’il s’agit de l’adaptation du roman Ce qu’elles disent de Miriam Toews. Un parti-pris pour le coup pertinent, figeant ces femmes – les décisionnaires, celles qui ont souffert – dans ce lieu tandis que les rares plans extérieurs, consacrés aux enfants principalement, voient la caméra accompagner ces derniers et la liberté – mesurée – dont ils peuvent jouir par leur innocence. Ce n’est malheureusement pas assez pour convaincre, bien que cela donne plus de place aux performances et au script, aussi imparfait soit-il. Les femmes parlent, certes, mais sans une subtilité qui aurait été agréable si présente.


Pierre-Alexandre Barillier

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