Critique du film Winter Break

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Par Super Seven

le 21/10/2023

SuperSeven :


Invité d’Honneur de la quinzième édition du Festival Lumière, Alexander Payne débarque à Lyon avec un nouveau film, Winter Break, en marge de sa sortie courant décembre. La genèse du projet — six ans après le critiqué Downsizing — vient de la (re)découverte d’un film de Marcel Pagnol, Merlusse, où un professeur de lycée reste surveiller des élèves sans famille lors de la trêve hivernale. Chez Payne, même point de départ : les élèves n’aiment pas ce professeur antipathique — celui de Winter Break lorgne vers le misanthrope — et ces vacances deviennent un véritable terrain d’affrontement entre les étudiants et leur supérieur en ce lieu.

La réussite du film procède naturellement du processus créatif singulier mis en place par Payne et son scénariste, David Hemingson. Partant de la situation initiale tirée de Pagnol, une partie de ping-pong s’est peu à peu instaurée entre eux, à travers un jeu de saynètes qu’Hemingson envoyait à Payne afin de construire le déroulé de ses vacances, sans perdre l’évolution narrative globale. Winter Break est une invitation à chacun de profiter de sa malchance — ici d’être bloqué pendant les fêtes dans un lieu que l’on fréquente toute l’année — afin d’en tirer le meilleur pour soi. Malgré le caractère antipathique des personnages – desquels découlent péripéties, confrontations et autres vacheries –, qui effraie de prime abord, Payne parvient à ne pas sombrer dans le pathos ou le trop mielleux. Plutôt, il propose une relecture sincère de son propre film L’arriviste (Election). Celui-ci prenait le parti de conter un jeu du chat et de la souris entre un professeur et son élève, où le spectateur se demandait jusqu’où l’un ou l’autre serait prêt à aller pour déjouer (et surenchérir sur) le plan de l’autre. Dans Winter Break, il est davantage question d’une cohabitation évolutive par petits gestes, d’un respect qui grandit l’un envers l’autre.

Surtout, Payne verse dans la mélancolie, abordant un temps passé sans trop le fétichiser ; « Je ne voulais pas faire de Winter Break un film d’époque. Je voulais faire un film contemporain dans les années 70 » dit-il à cet effet. De fait, malgré quelques effets énervants — le son parasité, la pellicule parfois usée —, le geste est loin d’être vain. Les années 70 qu’il retient se rapprochent de celles de Paul Thomas Anderson, où l’espoir n’est pas monnaie courante (entre Guerre du Vietnam et drames personnels) mais survit au gré de rencontres et d’interactions sociales. Hunham, le prof misanthrope (Paul Giamatti), Mary, la mère endeuillée (Da’Vine Joy Randolph), et Angus, l’étudiant solitaire (Dominic Sessa), sont trois archétypes qui apprennent des autres pour s’ouvrir au monde, tout en restant dans un lieu où le temps semble s’être arrêté – un comble vu la répétition des journées traversées ainsi que le passage à l’an 1971 télévisé. Ainsi, la pure confrontation des débuts — où chacun en veut à la terre entière d’être bloqué au lycée pour les fêtes — se transforme par la conversation : le but n’est pas forcément de mieux connaître l’autre, en tout cas de réellement vouloir le connaître, mais plutôt de profiter de ce temps-là pour rendre la cohabitation moins douloureuse.

Par des petits gestes, comme une sortie officieuse à Boston et une soirée du réveillon, la franche amitié — que l’on ne suspecte pas tant celle-ci part de la confiance — grandit et la rancœur se tasse, car elle permet au trio de mettre à l’épreuve ce qu’ils ont appris dans ce huis-clos forcé. Que cette brèche soit métaphorique pour Angus, charmant et sociable, ou littérale pour Mary et Hunham, entourés de personnes mais sans réelle interaction, le lycée agit ici comme catalyseur de cette évolution, alors qu’il est censé être un des principaux lieux de la socialisation et de construction. Car confrontés à leur fonction sans réellement l’exercer — cela vaut surtout pour Angus et Hunham —, il est temps pour eux de faire un point sur leur vie, leur situation actuelle, pour chercher à tendre vers le positif.

Hunham ne peut et ne sait rien faire d’autre qu’enseigner, Mary vient de perdre son fils à la guerre, tandis qu’Angus (Sessa) est rejeté par sa famille et est au bord de l’exclusion. Chacun a ses raisons, et un jeu d’apparence s’opère dans la dynamique de ce trio. Le strabisme du premier (surnommé Noeunoeil par élèves et collègues) n’empêche pas Giamatti – dont il s’agit du meilleur rôle à ce jour, et la seconde collaboration avec Payne après Sideways – de jouer d’une certaine ambivalence, à la fois détestable, notamment pour son approche froide, qu’attendrissant par les failles qu’il laisse entrevoir. Angus, lui, rappelle Michael Kelso (That ‘70s Show), par son long corps et sa capacité à exprimer excessivement le mécontentement et la colère, le tout avec un certain charme. Dominic Sessa trouve dans ce premier rôle au cinéma une véritable opportunité de construire une carrière à venir. Enfin, Mary, malgré un léger surplace émotionnel — bien que la mort de son enfant ne soit la seule chose qui la caractérise — trouve grâce à l’incarnation de Da’Vine Joy Randolph — que l’on avait vu plus tôt dans The Idol, le jour et la nuit finalement — une présence remarquable.

Winter Break constitue un beau retour pour Alexander Payne, et une belle parenthèse pour le spectateur. Son style seventies vire même parfois à la comédie sentimentale des années 90/2000, pour un résultat qui, à défaut de convaincre ceux dont la mièvrerie freinera l’envie de suivre ce trio, accompagnera les autres vers deux belles heures au chaud, dans une salle de cinéma, lors de la trêve hivernale.


Pierre-Alexandre Barillier

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