Critique du film War Pony

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Par Super Seven

le 16/05/2023

SuperSeven :


C’est un chassé croisé sur la route de l’existence. Dans la réserve indienne de Pine Ridge (Dakota), les destins de Bill et de Matho se croisent et se répondent. Le premier, jeune adulte et pourtant deux fois père, bricole sa vie et enchaine les plans foireux à la recherche du moindre billet, tandis que le second, âgé de 12 ans seulement, la découvre avec une soif gigantesque et une ambition démesurée.
Leurs sorts se croisent en effet, non pas au sens physique du terme, puisqu’ils ne se font face que très tard dans le film, mais plutôt dans une dimension plus sociologique, dans la quête de stabilité et d’apaisement. Bill tente de rallier le droit chemin, de s’élever en obtenant un emploi fixe, afin de pouvoir s’occuper de sa petite copine et de ses deux enfants. Matho lui, en jouant les grands trop vite, plonge vers le désespoir et perd tout ce qu’il avait autour de lui : sa maison, son père, puis l’école. Sur le schéma classique du Rise and Fall, ils occupent chacun une partie de la pente ; la montée au paradis pour Bill, et la descente aux enfers pour Matho. Pourtant, malgré la structure typique de l’American Dream, il n’y a, dans War Pony, ni grosses voitures ni villas avec piscine. Les deux protagonistes bricolent illégalement, et magouillent des business non pas pour faire fortune mais simplement pour répondre à des besoins et des envies plutôt modestes : de quoi survivre ou se faire plaisir avec de la junk-food à l’épicerie.

Si la trajectoire du plus jeune semble à sens unique, vers le bas – avec, toutefois peut-être, une remontée en ouverture –, celle de Bill le voit désespérément chuter après un élan de réussite. L’emploi trouvé (ainsi qu’un second plan d’élevage de chien !) ne suffit pas à faire disparaître la confrontation des classes et le racisme des grands propriétaires, qui anéantit tout espoir. Ce sont donc deux êtres au bord du gouffre qui finissent par se rencontrer, l’un sans emploi ni femme, l’autre sans famille, sans école et sans maison. Leur face à face relève de l’évidence, et les deux garçons sous leur capuche rouge ne sont plus que les deux faces d’une même pièce. Dans la communauté, seul Bill comprend la faim de Matho et lui prépare un sandwich, surement car il se voit lui-même à travers ce petit garçon désespéré. La ressemblance est frappante tout du long : ils partagent la même fougue, ambition et malice du sourire en coin de lèvres, avec un brin de naïveté et beaucoup d’attention pour leur petite amie respective, qu’ils arrivent tout de même à décevoir malgré eux. Seule une dizaine d’années d’écart les sépare, établissant entre eux une descendance spirituelle, mais surtout sociologique.
Car dans ces deux petits récits, Bill et Matho sont les témoins d’une communauté malade, où les parents précoces engendrent des enfants déjà adultes qui se familiarisent dès le plus jeune âge avec les pratiques illégales, avant d’eux-mêmes les pratiquer. Bagarres, alcool, drogues, armes et cambriolages font partie de leur quotidien, et cela ne semble en aucun cas les perturber. Au contraire, ils s’en amusent. Ces mœurs inacceptables dans le reste de l’Amérique sont implantées dans leur quotidien, et toute forme de violence est dédramatisée par les rires des enfants ou la participation active des personnes âgées.

On pourrait instinctivement croire que la tribu Oglala refuse l’intégration et reste en semi-autarcie loin du reste de la nation, mais elle adapte pourtant les codes de la société américaine : un consumérisme assumé, la présence de grandes marques de vêtements ou de consoles de jeux, ou bien la télévision comme objet central de l’appartement – d’ailleurs une des premières préoccupations de Matho lorsqu’il se réinstalle dans son ancienne maison. Sans son père, ce dernier s’endort même avec une figurine de soldat qui porte le drapeau des Etats-Unis : la tribu indienne accueille la culture américaine dans ses bras. La non-intégration de la communauté est donc dû à une barrière imposée non plus par les Oglala mais par l’autre ; celui qui refuse de donner le salaire ; celui qui exclut l’enfant de l’école ; celui qui stigmatise, qui profite et qui ferme la porte. Les petits Matho deviennent des Bill, lesquels engendrent des petits Matho. Le cycle recommence, la vie continue, et le bison, quant à lui, passe, repasse, et passe encore.


Maxime Grégoire

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