Critique du film Voyages en Italie

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Par Super Seven

le 31/03/2023

SuperSeven :


UNE JUSTE MISE AU POINT

Des comédies françaises récentes, celles de Sophie Letourneur ont le chic de toujours réussir à nous surprendre. Après le très réjouissant Énorme et son format paradoxalement étriqué, qui nous enferme dans les affres de la maternité, place aux grands espaces avec Voyages en Italie, road movie comme thérapie de couple grossièrement autobiographique. L’idée est ici de pousser l’étrange rapport qu’elle tisse entre fiction et documentaire à un paroxysme qui tiendrait même du point de bascule cinématographique. Filmant sa vie quotidienne, aux côtés de Philippe Katerine en guise de Jean-Phi, son mari, Letourneur brosse le portrait sans artifice d’une famille de la classe moyenne supérieure, usée par le boulot, laissant le gosse devant les dessins animés, avec des tensions conjugales inévitables. D’où la nécessité d’évasion, du voyage, pour quitter le quotidien métro-boulot-dodo et le petit village parisien – où l’on croise toujours, par hasard, à un coin de rue, quelqu’un que l’on connaît.

C’est dans cette approche aux antipodes des attendus de la rom com, que Voyages en Italie développe son charme. Loin d’opter pour la belle histoire d’amour, nourrie d’une reconquête romanesque au sein d’un couple dysfonctionnel, la cinéaste part sur une quasi-parodie du Before Midnight de Linklater avec un ton extrêmement désinvolte et léger, une exploration des détails de la vie de couple noyé dans la masse – des gens et autres couples à Paris, des touristes en Sicile. L’air enjoué de Sophie, opposé à celui plus lourdaud et blasé de Jean-Phi crée une dynamique étrange, qui dicte la difficile harmonisation de deux rythmes qui ont perdu en synchronisation, à l’image de deux manières de conduire une voiture ou une vespa, d’agir ; l’illustration la plus hilarante reste sûrement cette scène où Sophie laisse un voiturier étrange partir on ne sait où avec le véhicule, au grand désarroi d’un Jean-Phi paniqué. Il suffit de légers décalages de la caméra, de zooms ou dézooms qui perturbent notre regard, pour découvrir une nouvelle source d’ironie, présentée non sans malice, qui nous place dans une confidence qui s’avère parfois être aux dépens des deux protagonistes.

Tout est prétexte à la dérision, jusqu’à la représentation des corps, dont la nudité est banalisée pour révéler sans fard la plastique naturelle de quinquagénaires lambda mariés depuis un moment, qui n’ignorent rien de l’apparence de l’autre. Les blagues plus ou moins subtiles sur le sexe s’accumulent dans un mauvais goût assumé qui fonctionne et amuse – le pénis de bronze, les éruptions intempestives du Stromboli –, d’autant plus par le contraste saisissant avec le calme plat de la libido du duo qui est au cœur de leur incapacité d’être à l’unisson. Aussi, et c’est peut-être là sa plus grande valeur, Voyages en Italie intervient comme le témoin pur d’un instant T, l’immortalisation d’une manière de parler, d’un certain phrasé français, mais aussi d’un monde régi par une économie créatrice de mirages et destructrice de son décor, d’une Sicile comme on ne la verra potentiellement plus demain. Tout cela va de pair avec la multiplication des imprévus, de l’impossibilité de réalisation d’événements escomptés qui renforcent finalement la préciosité de chaque saynète en nourrissant un dispositif moins flottant qu’il n’y paraît.

Car l’ambition de Letourneur finit par apparaître dans son dernier tiers, qui révèle la construction d’un film post-coïtum, sur l’oreiller du retour au bercail marqué par la complicité fraichement retrouvée. Jean-Phi et Sophie se remémorent leur périple et l’enregistrent, écrivent ce qu’ils viennent de vivre dans un élan collectif mêlant les temporalités pour faire éclore l’émotion enfouie des souvenirs. Tout compte fait, Voyages en Italie est un film anecdotique – c’est juste une mise au point –, au sens où il fait la part belle aux petits trucs qui nous arrivent çà et là en leur donnant une importance finalement considérable dans la réinvention d’un récit partagé. Voyages en Italie ne serait-il en fait pas une grande histoire d’amour ?


Élie Bartin

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