Critique du film Visions

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Par Super Seven

le 09/09/2023

SuperSeven :


Comme un sentiment de déjà vu

Deux ans après Boite noire, le cinquième long métrage de Yann Gozlan est comme le faux jumeau de son prédécesseur qui, s’il tente de s'en éloigner thématiquement, n’échappe pas à une forme de redondance. Le secteur de l’aviation, encore lui, est cette fois-ci incarné par un personnage féminin, Estelle (Diane Kruger), quarantenaire et commandant de bord, une femme sûre d’elle à l’allure digne de Daniel Craig au bord de la plage dans Skyfall dans les premiers instants. Là encore une enquête, non plus publique comme celle du crash de Boite noire mais privée voire intime. Tout repose sur la tension au cœur de la relation triangulaire d’Estelle avec son mari Guillaume (Mathieu Kassovitz) et Ana (Marta Nieto), une artiste mystérieuse qui ressurgit de son passé. Il y a là quelque chose qui rappelle Tàr, dans lequel la profession de l’antagoniste n’est plus l’élément central du film et laisse sa place à l’introspection d’une femme puissante, en montrant ses doutes, ses peurs, sa paranoïa presque pathologique.

La tentative de tension de Visions relève surtout de la forme : elle est construite par des procédés de mise en scène et un montage répétitifs, sorte de mauvaise copie du genre, jusque dans la façon de filmer les couloirs et pièces exigus que Lynch maitrisait à la perfection dans Mullollhand Drive. Le faux suspens qui plane tout au long du ventre mou des deux heures ne concerne plus la résolution de l’enquête mais se base uniquement sur une hésitation permanente entre la présence ou la non-présence d’un personnage derrière le mur. Il y a sans cesse la volonté de construire une atmosphère oppressante en filmant de près ce qui pourrait faire peur (les trous dans les murs, les recoins sombres des pièces) et en floutant les zones d’où pourrait venir le danger (notamment l’arrière-plan, soit par focalisation sur le premier plan, soit à l’aide d’un voile semi transparent comme des rideaux clairs ou des vitres teintés). Cela s’accompagne systématiquement d’une bande son oppressante en crescendo pour accentuer la tension jusqu'à la chute : le réveil d’Estelle et le retour à la réalité.

Ainsi, réussies les premières fois, les visions, hallucinations et rêves prémonitoires d’Estelle deviennent, par leur redondance, facilement identifiables et ne parviennent plus à surprendre. Elles gardent tout de même un sens concret ici, en tant que fil rouge de la découverte des éléments dans la résolution de l’enquête (la disparition d’Ana). Deux chronologies se tissent alors, celle, objective, des faits réels, et l’autre, subjective, des visions d’Estelle. Elles se croisent (une seule étant linéaire), s’embrouillent parfois pour maintenir le mystère jusqu’au dénouement, mais se mêlent de façon incohérente dans la conclusion. Je ne parle pas ici d’une incohérence scénaristique, impossible à blâmer puisque toute l’œuvre repose sur des visions et rêves prémonitoires, mais bien d’une incohérence d’intention. A la manière d’un Christopher Nolan dans Inception ou Interstellar, Gozlan donne toutes les clés de compréhension mais se permet, paradoxalement, d’ajouter une scène censée boucler le récit et laisser en ouverture un doute dont on ne sait que faire, qui n’ouvre sur rien et tombe comme un cheveu sur la soupe.

Outre ce grossier artifice, le spectateur non dupe décèle évidemment sans peine non seulement les autres facilités scénaristiques qui font avancer l’enquête, mais également la prétention qui peut parfois découler de certaines séquences. Difficile de ne pas tomber dans la comparaison avec l’excellent Anatomie d’une chute, tout frais et bien ficelé, dans lequel l’introversion d’une femme est construite, réfléchie et incarnée.


Maxime Grégoire

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