Critique du film Vie Privée

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Par Super Seven

le 07/07/2023

SuperSeven :


De l’origine de BB

Quoi de plus logique dans la carrière de Louis Malle, le fameux « gentleman provocateur », que de détourner la commande d’une adaptation d’une pièce de théâtre de boulevard en un docu-fiction sur, avec et pour l’actrice la plus sulfureuse et mythique du cinéma français ?
Surprenant par son dispositif, Vie privée — co-écrit avec son compère Jean-Paul Rappeneau, et ressortant dans une sublime copie restaurée grâce à Malavida qui poursuit son travail rétrospectif sur le réalisateur et Gaumont — est en réalité la suite logique de Zazie dans le métro. Malle poursuit son naturalisme tout en mouvement, fragmentant son récit par des coupes brutales ; les cadrages étouffants et la gestion du hors champ sont un parfait reflet de la violence inouïe dont est victime Jill (alter-ego fictionnel de Brigitte Bardot, et son rôle préféré de sa carrière, avec celui de Dominique dans La Vérité de Clouzot), violence perpétrée par tout le monde et personne à la fois, un mal insaisissable.

L’ascension de Jill au sommet de la célébrité, puis sa descente aux enfers du fait du harcèlement médiatique dont elle est victime, sont tirées de la vie privée de Bardot, qu’elle a confié à Malle et Rappeneau et qui l’ont conduit à son dégout profond pour le milieu du cinéma et le star system de manière générale. Vie privée est ainsi, en quelque sorte, une étude quasi sociologique du phénomène populaire ayant conduit à la déification de B.B. Toutefois, Malle est malin et lucide, il ne tombe pas dans la facilité de la défense simple de l’image de Brigitte ; l’essentiel n’est pas tant de lui rendre justice, mais de la laisser dévoiler la partie de son visage qu’elle choisit, et non celle exposée de force.

Ainsi, quand bien même Jill est entourée par d’autres personnes — notamment Fabio (interprété par le toujours merveilleux Marcello Mastroianni), qui guide les choix les plus importants de sa vie —, leur identité propre importe peu. La caméra suit Bardot sans s’arrêter, « s’acharne » même, pour reprendre les mots de Louis Malle, de sorte que ne restent autour d’elle que des visages flous et des flash de paparazzi. La solitude tragique de son personnage ne semble avoir aucune issue ; les moments de bonheur sont si rares et éphémères qu’ils en sont d’autant plus douloureux. La bascule finale vers la fiction — ou le fantasme — avec cette inévitable chute symbolique depuis les toits devient presque un geste poétique, entre le suicide avorté et l’envol libérateur.

C’est comme si Malle, ultimement, se dépossédait de son propre film pour laisser sa star diriger sa vie alternative quitte à en finir. L’hybridation qui découle de cette prise de contrôle par Bardot de sa propre réalité fictionnelle lui permet de dépasser son propre mythe, tout en questionnant profondément notre rapport à l’intimité des personnalités publiques ; à trop vouloir les connaître, ne les poussons-nous pas vers la mort de leur identité ?


Pauline Jannon

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