Critique du film Venez voir

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Par Super Seven

le 03/01/2023

SuperSeven :


Venez Voir, le dernier film de Jonás Trueba, avec son titre qui sonne comme une injonction au spectacle, nous enchante plutôt de simplicité et de douceur, prouvant par là que ce qui compte au cinéma est d’abord de faire ressentir des émotions discrètes.

Venez Voir n’a de cesse de désamorcer ce qu’il entreprend. Dès les premières minutes, nous venons voir et nous ne voyons rien, nous écoutons seulement un très beau morceau de piano sur fond bleu, puis nous regardons ceux qui écoutent, produisant un effet miroir entre les acteurs et nous. Ce jeu entre identification et réflexion permet d’amorcer une question à la source du film : Quel effet peut produire l’art ? Trueba offre ici un cinéma de l’évanescent. Les promesses sont à peine tenues, l’exceptionnel est toujours évité, au profit de petits gestes du quotidien délicats mais insignifiants ; deux mains qui se serrent suffisent à exprimer l’amour profond qui unit deux êtres. Une volonté de dépeindre l’insoutenable légèreté de l’être se fait sentir. La mélancolie plane sans jamais s’abattre. Tout s’envole. Le mouvement du film reproduit cette dynamique de la vie car, à mesure que l’histoire avance, le montage, la source des images deviennent de moins en moins sérieux, de moins en moins grave. Venez Voir commence par des larmes et finit par un rire. Il commence par une projection puissante dans les images, par une adhésion, puis termine par une prise de recul sur ce que nous venons de voir, par un quasi-rejet de la fiction.

Situé quelque part entre Rohmer et Rouch, Trueba opère ce merveilleux mélange. Nous suivons les déambulations de deux couples de trentenaires amis, divisées en deux moments : un conte d’hiver aux couleurs dures de la ville et un conte de printemps aux couleurs douces de la nature. Les deux sont faits de conversations philosophiques à table, qui opposent le point de vue de la ville à celui de la campagne, entre Madrid et sa banlieue. Mais il y a aussi la reprise de mêmes acteurs auxquels sont attribués des rôles sans presque plus le cacher. L’oeuvre de Trueba est ainsi teintée par la variation du même, chaque film nous amenant au prochain, nous ramenant au précédent. Puis il y a cette exigence croissante de sincérité, déjà fortement présente dans son précédent docu-fiction (ou juste documentaire?) Qui à part nous ?, à laquelle Rouch n’avait de cesse de se rattacher : « Tout le problème est de maintenir une certaine sincérité vis-à-vis du spectateur, de ne jamais masquer qu’il s’agit d’un film. […] Une fois cette sincérité acquise, personne ne trompant personne, ce qui m’intéresse c’est l’introduction de l’imaginaire, de l’irréel. ». Or, Venez Voir est bien un film qui sonne vrai parce qu’il s’assume en tant que tel, tout en étant de l’ordre du songe dans lequel nous plonge l’écran bleu nuit de la scène d’ouverture.

Le résultat est un cinéma très littéraire, durant lequel des textes philosophiques sont commentés à table et de très beaux passages des poèmes, pensées d’Olvido Garcia Valdes sont lus par elle-même. Ceux-ci rendent compte d’une recherche du réel, de la situation de notre être par rapport à celui-ci. Sommes-nous quelque part ? Le soucis de Venez voir n’est donc pas tant de chercher à coller à la réalité, de jouer d’une fidélité entre le monde vécu et le cinéma ; en témoigne son aspect onirique. La quête du réel déborde le cadre cinématographique en mettant en scène un véritable doute existentiel, celui de ne pas savoir où nous nous situons dans le monde. Trueba a d’ailleurs souligné que l’une des questions qui l’a tourmenté et accompagné pendant l’écriture de ce scénario, était la suivante : « Il ne s’agit pas de savoir « qui je suis » mais « est-ce que je suis là ou pas » ? ». Le récit oscille ainsi entre réel et irréel pour se trouver soi-même.


Léa Robinet

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