Critique du film Un roman national

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Par Super Seven

le 15/11/2025

L’extrême droite n’est pas seulement un poison politique contre l’Etat de droit et le bien commun ; l’extrême droite tue. Nous l'avons vu récemment avec, en cette seule année 2025, un assassinat islamophobe dans une mosquée et un meurtre en pleine rue lors d'une soirée cinéma antifasciste.

C'est cela qu'entend dénoncer Bixente Volet dans Un roman national ; pour ce faire, il mobilise un anti-héros au sens le plus strict, partant de son personnage principal pour montrer les ravages que peut causer l'extrême droite. Contrairement à beaucoup d'œuvres sur le sujet, nous ne prenons pas le point de vue de la victime mais de l’agresseur par le prisme du récit d’apprentissage : Damien Cordolier est un jeune Manceau étudiant la philosophie à Paris, que les médias français appellent communément « jeune homme sans histoire », c’est-à-dire de province, blanc, cis, hétérosexuel, de droite.

Par le visionnage de contenus d’extrême droite sur internet, particulièrement des vidéos de Papa Pierre, Damien s’engage dans un groupuscule nommé « barrière nationale ». Nourri par ces discours de haine raciste, il prend rapidement la résolution de « passer à l’action » : il veut commettre un attentat. Se rendant d’abord à une manifestation équipé d’un fusil d’assaut, il se dirige finalement sur une mosquée dans laquelle il ouvre le feu. Le procès qui suit introduit Un roman national. Un choix signifiant de mise en scène, puisqu'en énumérant les victimes sous forme de liste, il retire une partie de la charge émotionnelle de l'acte en nous faisant pénétrer dans la psyché de Damien pour qui "tous les musulmans ne sont qu'un". Dès lors, Un roman national n’est pas un drame mais une tragédie, rembobinant un parcours à l'issue glaçante, implacable.

Le recours à la fiction permet au réalisateur de ne pas individualiser le danger que représente l'extrême droite, bien au contraire. En effet, on peut identifier l'influence de plusieurs partis et groupuscules d'extrême droite au cœur de « barrière nationale » (le Rassemblement National et le GUD, entre autres), tout comme plusieurs vidéastes convergent dans la figure de Papa Pierre. Son nom rappelle Papacito (condamné en 2024 pour des propos homophobes et incitation à la violence), et le comportement évoque Code Reinho (youtubeur pro-arme inscrit au Traitements d’Antécédents Judiciaires), pour ne citer qu’eux. Sans attaque ad hominem, Volet reproduit minutieusement l'esthétique de ces vidéos – dont la piètre qualité tranche avec le reste du long-métrage – pleine de jump cuts et de soucis techniques.

La reproduction est surtout frappante de fidélité dans les propos qui combinent, entre autres incohérences : misogynie, homophobie, racisme, xénophobie et anti-sémitisme. Ces discours simplifient au maximum les situations et les réflexions afin de maintenir un niveau de débat faible permettant de dire tout et son contraire avec une assurance égale. La nuance est alors absente et chacun peut assimiler facilement ces discours et venir alimenter les discussions avec sa propre haine. Tous ceux qui ne sont pas des hommes blancs et hétéros sont rejetés et pointés du doigt. En visant les autres et en usant de nombreux mensonges – par exemple, faire croire que les immigrés vivent sur le dos de ceux qui travaillent –, ces influenceurs sont l’antichambre de groupuscules d’extrême droite plus engagés et violents et rassemblent des personnes fragiles, souvent des jeunes en quête d’identité et de communauté.

Damien cherche des repères, des valeurs auxquelles se rattacher, voire un idéal à atteindre. Ayant quitté sa province et ses parents et ne réussissant visiblement pas à s’intégrer à l’université, il semble livré à lui-même, à cet âge charnière où l'on est manipulable, impressionnable, signant l'entrée dans le monde des adultes mais aussi dans celui de la politique. Son esprit critique ne fait pas le poids face aux manœuvres mises en place par l'extrême droite, finissant par le faire basculer . Bixente Volet ne lui cherche pas d’excuses mais retrace plutôt son cheminement vers le néo-fascisme et la radicalisation avant de commettre l’irréparable. Il ne faut toutefois pas voir Un roman national comme un clip de prévention, à l’image de ceux commandés par l'Etat pour lutter contre l'alcool au volant, malgré sa dimension politique frontale par l’exposition à des signes auxquels nous sommes pourtant confrontés chaque jour sans les questionner. Bixente Volet s’inscrit plutôt dans une lignée d'artistes militants contre un possible retour du fascisme, à l’instar d’Umberto Eco avec Reconnaître le fascisme (1995).

Parfois Bixente Volet paraît lorgner du côté du cinéma de Michael Haneke, en faisant s’immiscer la violence dans des plans qui semblent anodins, les gestes du quotidien, les discussions. Elle est introduite par des cadrages serrés, des tons froids, des lumières dures sur les regards et un réalisme glaçant. Pour autant, c'est ici la limite de Volet qui ne cède pas au déchaînement de violence que l’on retrouve chez le maître autrichien. Le moment tant attendu se passe ici depuis l’intérieur d’un sac à dos dans lequel Volet place la caméra pour laisser au son le soin de figurer l'horreur. De même, cela passe par le ton des discours : la haine exacerbée de l’autre passe par des injures, des propos haineux au point d’en devenir oppressant pour le spectateur. Le propos est clair, là où réside l’extrême droite réside la violence.

La seconde partie du film est plus dialectique, il y est question des conséquences d’un tel acte. D’abord au sein du groupuscule dont faisait partie Damien, au bord de l'implosion lorsqu'il risque d'être dissous pour complicité : même s'ils n’ont pas aidé Damien dans l’organisation de l’attentat, ce sont leurs discours qui l’ont poussé à agir. À l’opposé, un groupe anti-fasciste non-situé, non-identifié, réfléchit à l’attitude à adopter dans ces circonstances. Bixente Volet nous plonge dans une de leurs réunions sans les introduire au préalable. Sans être véritablement des personnages, ils sont l’illustration des réponses possibles et des choix qui se présentent pour les militants anti-fascistes : les actions pacifiques proposées par certains sont vite balayées par ceux qui souhaitent répondre à la violence par la violence.

De la même manière, la journaliste qui a suivi l’affaire et qui, dans la dernière scène, lit son article à ce sujet est confrontée à la censure. Son rédacteur en chef lui explique qu'au vu du rachat espéré du journal, son article ne peut être publié en l’état ; il faudrait "un traitement plus modéré, plus lisse". Volet expose ici les limites de l’engagement des médias et de leurs portes-paroles, en proie aux représailles économiques. Une réflexion qui arrive tardivement et renvoie à la fragilité de la production de pensée indépendante à laquelle le film se rattache et qu’il défend par son modèle économique.

Un roman national demeure un projet ambitieux, qui réussit à condenser autant de réflexions et d'avertissements en une heure ; la preuve s’il en fallait que le cinéma militant survit mais se déploie à sa manière pour espérer prêcher davantage que les convertis.


Mathis Slonski

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