Critique du film Un métier sérieux

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Par Super Seven

le 14/09/2023

SuperSeven :

En cette rentrée comme depuis quelques années déjà, se pose le même problème : la pénurie de professeurs, et ce à tous les niveaux. Collaborant pour la troisième fois avec Vincent Lacoste, Thomas Lilti s’attaque à cette question à travers un collège de banlieue, point de départ idéal pour aborder les autres sujets liés à l’enseignement dans le secondaire (collège/lycée).

Un métier sérieux, c’est l’histoire d’un jeune contractuel, Benjamin (Vincent Lacoste donc) qui se retrouve remplaçant d’un professeur de mathématiques, et qui, atterrissant au sein d’une équipe soudée, noue des liens forts avec elle. Tous sont des « types » de professeurs, des caricatures, qui rappellent toutefois à n’importe qui ayant franchi la grille étant jeune un enseignant qu’il a croisé. C’est d’ailleurs illustré par les nombreux chuchotements dans la salle – « oh regarde on dirait Monsieur… », « Madame… faisait pareil », le spectateur n’est pas dépaysé. Une galerie d’archétypes donc, mais qui peine à vraiment prendre vie sous le regard de Lilti. Ce n’est pas faute d’avoir choisi des comédiens avec soin, par leurs rôles habituels dans les comédies françaises ou dans leur écriture. L’exemple le plus éloquent est François Cluzet qui incarne le professeur de français présent dans le même collège depuis plus de vingt ans, avec des méthodes d’un autre temps mais que tous, enseignants comme élèves, respectent et apprécient. Du Cluzet fidèle à lui-même en monsieur bourru qui n’aime rien (on pense évidemment à sa partition dans le diptyque Les petits mouchoirs et Nous finirons ensemble), pour une recette qui s’avère d’une affligeante banalité.

L’année scolaire donne ainsi à voir la vie de professeur de collège en général, tout en alternant les points de vue pour s’attarder sur chacun d’entre eux en particulier. Dans une volonté d’humaniser le corps enseignant, Thomas Lilti tente un patchwork des parcours de vie menant à l’enseignement, à travers les personnages de François Cluzet et Adèle Exarchopoulos, ou ceux contraints par cette place. Malheureusement, les relations tissées entre les différents personnages ont du mal à être exploitées dans les scènes de groupes, les comédiens sont tant concentrés sur leurs dialogues respectifs qu’il n’y a en réalité aucune interaction, alchimie, tout semble factice. Un métier sérieux se disperse trop dans ses différents récits, et les situations avec les élèves ne sont elles aussi que survolées. Même ceux qui semblent se détacher – et donc exister –, par leur relation avec certains des professeurs, sont finalement rapidement mis de côté.

Le proviseur, lui, fait figure d’antagoniste, représentant presque à lui seul l’institution Éducation nationale, ce qui n’a que peu de sens en réalité tant il s’agit d’un échelon trop faible de la hiérarchie. Surtout, la vision du proviseur tyrannique et distant avec les professeurs relève d’un imaginaire dépassé et erroné que Lilti convoque par facilité. L’espace occupé par cette question fait que, faute de temps, certaines problématiques – tangibles, elles – du métier ne sont traitées qu’en surface, comme celle des logements de fonction qui font que les professeurs ne sortent jamais vraiment de l’enceinte du collège. Au contraire, cela dit, certains points qui méritent de l’attention sont décortiqués dans le détail. C’est le cas des décisions à prendre par rapport aux élèves difficiles. Ainsi, la séquence avec le jeune Enzo illustre parfaitement cette charge mentale qui pèse sur les enseignants, ses répercussions sur leur travail, leur santé mentale même, mais surtout sur l’avenir d’un jeune, déjà en difficulté qui risque de se retrouver en dehors du système. Dans ces situations, l’équipe enseignante, quoiqu’elle tente, se retrouve impuissante lorsque l’administration décide quelque chose. Là réside le cœur de ce métier sérieux, dans cette impuissance justement des professeurs, à qui l’on demande pourtant énormément au quotidien. Impuissance qui s’étend au manque de formation qui concerne de plus en plus d’entre eux. C’est le cas ici de Benjamin et sa collègue Sophie (Lucie Zhang), mais cela reste un questionnement superficiel dans leurs parcours, alors qu’il aurait pu devenir le fil rouge pour développer un vrai commentaire sur le milieu.

Cette superficialité suinte de partout, et Lilti n’est pas doué de subtilité. Par exemple, pour montrer la proximité entre Meriem (Adèle Exarchopoulos) et Benjamin, ceux-ci sont toujours cadrés très serrés, là où le reste des plans sont assez larges pour permettre de faire rentrer de nombreux personnages. Certains sont cependant oubliés, alors que souvent aux cotés des élèves – eux, faussement présents – et importants dans la vie du collège : les surveillants. Plus globalement, Lilti se concentre presque exclusivement sur les professeurs. Une idée bien plus poussée dans la première version de scénario qui ne comprenait aucun élève, d’après les dires du réalisateur lui-même, qui aurait peut-être rendu le tout plus remarquable si elle eût été développée. A la place, l’incorporation des élèves rend le tout finalement conventionnel mais aussi bancal, maladroit.

Malgré tout, il est toujours fascinant de voir que ce métier sérieux est si important. Derrière ces parcours de professeurs – pas désagréables à suivre – se cache un bon panorama de ce qu’est l’enseignement depuis quelques années, ainsi que, plus – et trop – timidement, un appel au changement.


Mathis Slonski

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