Critique du film Two Lovers

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Par Super Seven

le 07/05/2021

SuperSeven :


Un an après We Own The Night (La nuit nous appartient), James Gray, amateur des polars familiaux et auteur mythique du néo-noir, revient en 2008 avec Two Lovers. Véritable épopée amoureuse sur fond de toile new yorkaise, le film ne se distingue pas par son scénario – un homme est tiraillé entre deux femmes que tout oppose, l’une raisonnable, l’autre volage –, mais décolle dans sa capacité à assombrir son récit, dans lequel aucune issue heureuse n’est réellement possible.

Abattu après sa séparation avec son ex-fiancée, Leonard Kraditor (Joaquin Phoenix) retourne vivre chez ses parents et travaille pour son père dans l’entreprise familiale de pressing. Déprimé, comme décalé avec le monde qui l’entoure, Leonard vit sous l’inquisition parentale. Toujours les poings fourrés dans son gros manteau beige, il trimbale sa carrure de grand adolescent dans les rues, sur les ponts, dans le métro, du linge à déposer sur le dos. Sa trajectoire est le socle de l’histoire que nous conte James Gray pendant près de deux heures. Dès lors, le protagoniste incarné par le bluffant Joaquin Phoenix prend toute sa saveur. Constamment coincé, non seulement dans cette sorte de prison familiale qui lui impose autant d’injonctions sentimentales que professionnelles, mais également face à ce choix cornélien impliquant ces deux femmes, Leonard Kraditor se débat avec sa vie et ses maux.

A travers l’amour qu’il porte pour Michelle (Gwyneth Paltrow), sa voisine de palier, il entrevoit une porte de sortie, si ce n’est, finalement, une bonne raison de fuir. Incroyablement rayonnante dans un New-York froid, elle est le soleil du film, incandescente sur le dancefloor dans une scène en boîte de nuit. La raison néanmoins n’est pas en reste puisque la magnétique Sandra (Vinessa Shaw), fille d'amis des parents de Léonard, intrigue également ce dernier. Entre autres, elle représente pour lui les espoirs d’une vie rangée, posée, intégrée. Malgré leurs différences, l’une et l’autre ne sont jamais jugées pour ce qu’elles représentent à ses yeux, grâce à une caméra pudique qui ne s’immisce jamais au milieu des tandems.

Tout au long du film, James Gray prend le temps de dépeindre un environnement à l’image de son personnage principal : étouffant et étouffé. New York est le théâtre d’une tragédie dans laquelle un homme ne peut se résoudre à aimer. Cette sensation de froideur envahit également l’appartement familial, et se poursuit jusque dans la chambre du héros. La seule lumière au bout du tunnel serait cette fenêtre, tournée à la fois vers le jour, mais aussi et surtout vers Michelle, celle qu’il aime. Fidèle à lui-même, Gray ponctue son film de scènes nocturnes, des nuits jonchées de déceptions et d’amours inassouvis. L’une de ces nuits le mène finalement au bord de la mer, sur une plage où il marque de son empreinte la solitude qui l’habite. Ce passage n’est d’ailleurs pas sans rappeler la scène finale des 400 coups de François Truffaut, réalisateur emblématique d’une Nouvelle Vague française adoubée par James Gray lui-même.

Sa mise en scène ne laisse que peu de place à l’éparpillement ou à quelque désordre que ce soit. Par la composition des plans, il est difficile en tant que spectateur de trouver la bouffée d’air frais permettant de nous échapper de la pesanteur qui règne. En outre, la réalisation du long-métrage aurait gagné en vigueur si les cadres n’étaient pas aussi contenus. On regrette presque la timidité de certaines scènes dans lesquelles les émotions sont sans cesse mises sous cloche. Témoin impuissant, le public ne peut alors véritablement s’abandonner à l’explosion de ses propres sentiments.

Finalement, derrière son apparence de drame doux-amer, Two Lovers est purement fataliste et ne laisse aucun répit, ni à son personnage principal, ni aux spectateurs. Dans une noirceur des plus totales, James Gray poursuit ici son œuvre sur l’entité familiale et sur le déterminisme qui régit celle-ci.


Marine Evain

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