Critique du film The Wonder

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Par Super Seven

le 21/11/2022

SuperSeven :


Sébastian Lelio était l'un des invités du dernier Festival Lumière. Coup de bol, cela coïncidait avec la sortie de son dernier film, The Wonder, produit par Netflix — l'un des studios récurrents du Festival depuis la projection de Roma & The Irishman. Malheureusement, au milieu de Pinocchio et Bardo – autres productions de la plateforme présentées lors de l’événement –, The Wonder a, très injustement, peu fait parler de lui.

"Ce n'est qu'un début" introduit une voix, familière par la suite. Par un jeu de mouvement, le plateau de tournage laisse place à un lieu d'époque. D'un coup d’un seul, nous savons que nous rentrons dans l'histoire de The Wonder : Florence Pugh apparaît. Ce très court prologue est audacieux mais permet de comprendre instantanément les intentions du film. Il s’agit, d’une part, de transposer le spectateur dans les croyances de cette époque, mais, surtout, de confronter le réel à la fiction. Car il est ici question de miracle — de si l'on veut, ou non, y croire —, et donc in extenso de l’essence du cinéma : raconter des histoires dans lesquelles des spectateurs extérieurs se projettent.

Pourtant, ce mystère placé entre les mains du spectateur n'est pas ce qui intéresse le réalisateur. Adapté du roman d'Emma Donoghue, le récit se permet — au-delà d'opposer une mysticité à une science bien établie — plutôt d'explorer l'environnement dans lequel sont créées ces histoires. Elizabeth (Florence Pugh), est investie d'une double-mission : soigner une petite fille qui ne mange plus (et pourtant, se porte très bien) mais également déceler — par des gardes de huit heures journalières — si ce qui peut s'établir comme une maladie, n’est pas en fait une grâce qui dépasse l'humain. Là où les proches voient un miracle, la science crie au mensonge, laissant Elizabeth face à d’épineuses questions : qui ment ? La petite se nourrit-elle "d'un mana venu des cieux" ?

C’est là qu’intervient la mise en scène de Lelio pour confronter le réel à la fiction. Les lieux qu'investit Elizabeth sont très ternes — pour cause, nous sommes en pleine famine et dans une maison frappée par la pauvreté — mais ses habits la font instantanément ressortir du décor. Sa présence paraît irréelle lors de cadrages moins resserrés : sa robe bleue contraste avec le gris et le foncé de la bâtisse, sauf lors des scènes d'extérieur — comme une échappatoire du lieu de cette folie, de cet inconnu, entourée d'une pleine nature qui, pour le coup, est connue.

De plus, Lelio laisse respirer ses plans, les laissant vivre plus que d’ordinaire pour créer un sentiment d’inconfort croissant. Pugh, elle, reste toujours l'un des visages les plus intéressants à suivre de ces dernières années. Si son jeu semble fermé — et il l'est, par volonté —, elle laisse transparaître une certaine émotion qui contamine le spectateur. Le passé d'Elizabeth ne se révèle que petit à petit, à l’instar de la performance de l'actrice, comme de petites clés parsemées ça et là, par-delà la centaine de minutes qui composent The Wonder. Il serait toutefois impoli de ne pas mentionner Kíla Lord Cassidy, incarnant la jeune "miraculée", qui trouve ici son premier rôle et qui, avec ses subtilités, arrive à émouvoir.

Ainsi, si The Wonder repose, à première vue, sur le mystère et sa résolution, force est de constater que c'est au spectateur d'en tirer la morale ; le film parle-t-il d'abus mental et/ou physique ? Ou bien, titille-t-il l'histoire de l'Irlande et de la famine ? "Nous ne sommes rien sans histoires", et c'est particulièrement dommage de voir celle de The Wonder arriver directement sur Netflix, tant sa lenteur (voulue) et son style bavard peuvent faire décrocher un spectateur qui, d’un seul clic, peut arrêter le film, alors que, dans une belle salle obscure, l'attente de voir le tout aboutir est fortement récompensée...


Pierre-Alexandre Barillier

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