Critique du film The Whale

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Par Super Seven

le 08/03/2023

SuperSeven :


MÉLO HYPERPHAGIQUE


Si le cinéma de Darren Aronofsky a parfois tout pour déplaire, assumant sans équivoque un (mauvais) goût un peu trop prononcé du bruit, de la fureur, et du martèlement symbolique, il se rattrape souvent par une capacité admirable et indéniable à créer des images, des icônes. Saisir le mouvement vital qui le mène à une œuvre. En cela l’aberration qu’était la prémisse de Mother ! – un home invasion qui révèle une parabole pêchant ses tableaux dans toute la Bible pour raconter une grande histoire de l’Humanité, rien que ça –, engendre miraculeusement son meilleur film, grâce à un pari rigoureux d’horreur d’expérience sur l’implication du corps du spectateur.

Presque six ans plus tard, le voilà de retour avec un huis-clos à nouveau (mais cette fois dans une petite cabane perdue au fond de l’Idaho, et sans l’ambition babylonienne du précédent), mais aussi, supposément, film de corps. En effet, The Whale, écrit par Samuel D. Hunter depuis sa propre pièce de théâtre, suit la trajectoire de rédemption de Charlie/Brendan Fraser, grimé en obèse morbide suite au deuil de son compagnon, entre autres vis-à-vis de sa fille de 18 ans, dont il a laissé à la mère l’éducation. Le concept semble laisser Aronofsky en terrain connu : le corps auto-martyrisé en réponse à la perte et à la solitude rappelle autant Mickey Rourke dans The Wrestler qu’Ellen Burstyn dans Requiem for a dream. On croit d’ailleurs être revenus chez cette dernière avec ce personnage cloîtré, vissé devant sa télévision (Fraser étant pratiquement incapable de se mouvoir), se laissant emporter dans un cercle de dévoration de son propre être. Et en effet, les premières séquences qui introduisent son quotidien dans sa praticité, dans ses entraves matérielles, ne reculent pas devant l’aspect surnaturel du corps excroissant, monstrueux dans son agonie. C’est là l’unique horizon de pertinence face au reste inexcusable et indigent, qui s’échoue péniblement sur les rives du ridicule au cours de ses deux très longues heures.

La faute d’abord à un texte, aussi niais que pauvre stylistiquement, qui recrache, sous ses airs de dramaturgie du monde moderne, une moralisation bien chrétienne et infantilisante pour ses personnages comme pour ses spectateurs. Où la rédemption n’est qu’une affaire de litanies béates et mielleuses (chaque itération de la phrase « People are great » entache un peu plus la dignité de l’espèce humaine), pour réparer ô combien chaque personnage sans exception est infiniment méprisable.
La faute surtout à Aronofsky qui, une fois passée l’envie d’observer pendant 5 minutes le corps de Brendan Fraser, délaisse celui-ci pour le dialogue (grave erreur pour un cinéaste aussi peu prosaïque) et plonge tête baissée dans tous les pièges qui lui sont tendus. La panoplie d’outils du réalisateur « à effets » est réduite à peau de chagrin et son seul réflexe n’est jamais que d’empiffrer le drame, engraisser le tire-larme et gaver tout le monde.

Ainsi, au fur et à mesure qu’il se rend grandiloquent à l’approche de son climax, The Whale prend des airs d’opérette du surlignage émotionnel agressif. Chaque performance étant poussée à l’extrême, les personnages semblent toujours plus se donner en spectacle, d’autant plus qu’ils ne sont tous que des caractères bien unilatéraux, et ce malgré les signaux piteux que le film envoie pour se targuer de prendre soin de l’homme dans sa complexité : un maillage grotesque entre détestable et l’affichage d’un bon fond, qui n’a trait, encore une fois, qu’au prêche d’un évangélisme naïf et manipulateur. La fille de Charlie (Sadie Sink) en est le parfait exemple : elle qui se définit toujours (et avec une régularité grotesque) par le pire dans ses actes est en fait une brebis égarée qui attend d’être sauvée par le destin moral de l’œuvre, démiurge. Ce même schéma est réitéré bêtement sur Charlie lui-même, son ex-femme ou encore le jeune prédicateur en fuite qui traîne dans les pattes de tout ce petit monde. Le public-cible de The Whale a passé l’âge d’être traité ainsi par la même occasion.

En épilogue, repensons à la dernière image du film : celle d’une ascension christique de Fraser, lorsqu’il obtient le pardon, pinacle du pieux ridicule de The Whale, où l’on sent Aronofsky en mal de grasse métaphore pour nous rappeler qu’il fait une parabole. On en fera de beaux memes.


Victor Lepesant

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