Critique du film The Wasteland

logo superseven

Par Super Seven

le 01/09/2023

SuperSeven :

À ciel et tombeaux ouverts

Tout comme The Wastetown (sorti avant mais réalisé après), The Wasteland débute par un long plan séquence amenant le spectateur sur les lieux de l’action (ici une usine de brique, dans l’autre une décharge). De ces espaces, Ahmad Bahrami fait de véritables huis clos à ciel ouvert, aussi théâtraux dans leur mise en scène que dans leur tragédie. Le sublime noir et blanc qui accompagne les lents travellings posent l’ambiance rapidement : la caméra elle même semble lassée et épuisée de cet environnement. Tout est difficile et fastidieux, et l’absence de couleur accentue la fatigue et efface même les sourires des salariés.

The Wasteland fait écho comme hyperonyme de The Wastetown ; on n’y suit pas un récit subjectif mais bien cinq qui s’entremêlent dans l’usine en faillite. Ceux-ci évoluent à partir d’un point central qui est la deuxième séquence du film : le discours du patron qui annonce la fermeture prochaine des fours – séquence montrée cinq fois à l’écran, à chaque fois sous des angles différents. Les cinq histoires partagent une narration identique, passent par les mêmes cases, les mêmes lieux et avancent dans le même ordre, comme des scènes découpées dans différents actes d’une tragédie. Ce jeu de répétition, où ce qui change sont la manière de filmer et le moment filmé, altère la perception du temps (circulaire) et de l’espace (faussement ouvert) pour révéler une seule et unique conclusion : l’échec des revendications de chacun. La toile de fond que dresse Ahmad Bahrami introduit plusieurs thèmes propres à cette société iranienne (retraite, différence de cultes, salaires faibles, accès à l’éducation et chômage), et, même s’il ne fait que les effleurer, leur simple évocation n’est pas due au hasard.

Il y a là une part de destinée, de pré-écrit dans tous les événements, qui suivent la même logique et la même déambulation : le discours, l’atelier de travail, la plainte au bureau du patron, le repas de famille et enfin la chute, le drap blanc. Ce dernier motif, déjà utilisé dans The Wastetown, revient à plusieurs reprises ici. Chaque récit se termine sur un plan du personnage concerné qui se glisse entièrement sous un drap blanc immaculé, exactement comme on recouvre les morts. Il est un refuge à ceux qui souhaitent se couper de leur environnement, pour oublier l’extérieur (explicitement dans The Wastetown où la protagoniste Bermani se dissimule après les viols dont elle est victime), mais aussi de filtre pour cacher la honte, les faiblesses, et peut-être même les larmes.

Quoi qu’il en soit, cette stratégie de l’autruche ne ressemble à rien d’autre qu’à une simulation de décès, à un rite funéraire autonome présentant la mort comme seule échappatoire d’une misérable condition. Toutefois, la lumineuse blancheur de ce drap, qui contraste fortement avec la crasse environnante, laisse entrevoir un espoir de paradis dans l’au-delà, un autre monde capable d’accueillir la pureté et l’innocence des hommes, de ceux qui luttent au quotidien sans voir une once de lumière qui les guiderait vers la sortie. D’autres, comme Lotfollah et Bermani, n’attendent plus, et sortent par eux-mêmes.


Maxime Grégoire

wasteland image.jpg