Critique du film The Sweet East

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Par Super Seven

le 23/05/2023

SuperSeven :


Depuis son changement de nom, troquant le Réalisateurs pour Cinéastes, la Quinzaine a également adoubé un nouveau délégué pour sa sélection : Julien Rejl. Sa grande ambition : redonner une identité à ce festival parallèle. Fini les rejetons de la sélection officielle n’ayant pas convaincu Frémaux et son équipe, et bonjour l’audace formelle et la créativité. C’est précisément dans cette lignée que s’inscrit le premier long-métrage de Sean Price Williams, initialement directeur de la photographie — notamment des Frères Safdie.

Celui-ci, ne pensant jamais avoir la chance de (re)faire un film, a « tout foutu dedans » pour reprendre ses termes. De fait, si The Sweet East commence avec des airs de Cinéma Indépendant US — dont beaucoup sont friands —, il mue très vite en quelque chose d’autre. Imaginez les aventures de la Lindsay, interprétée par Linda Cardellini dans Freaks & Geeks, si sa virée en van avait pu avoir une suite… Ou Ferris Bueller qui se serait fait passer pour mort auprès de ses parents pour gratter quelques jours de day off supplémentaires.

Ainsi, un parallèle apparaît très vite entre la virée psychique de l’héroïne, en pleine recherche d’un quotidien plus aventureux, et tout un pan de l’histoire du cinéma ; il s’agit d’une suite de « sketches » — le film est segmenté à la manière d’une sitcom, un invité = une péripétie — entrecoupé d’intertitres de l’époque du muet, reprenant des dialogues à venir pour mieux couper l’évolution des escapades. Cet imaginaire ne s’arrête pas là, puisque s’y mêlent progressivement du gothique, du matte painting, alors que le parcours de Lillian — incroyable Talia Ryder — croise différents arts (elle a fait des études littéraires, devient actrice, chante, etc.).

L’inclusion de Simon Rex, à contre-courant de son « renouveau » dans Red Rocket, a alors quelque chose du caillou dans la chaussure qui rend la fugue inconfortable, mais d’autant plus passionnante. Price Williams crée une dynamique ambigüe, les deux personnages se servant autant l’un de l’autre ; Rex perpétue l’image du « White Knight », sauveur de droite prêt à tout pour engager une dominance et toxicité dans la relation ; Ryder, elle, le manipule à souhait pour se défaire d’une vie qu’elle tente de fuir, quitte à aller loin et risquer de perdre la liberté qu’elle lutte pour acquérir. Passant de l’autre côté du miroir, sa robe de princesse s’arrache à cause de branches — certes moins agressives que celles d’Evil Dead —, elle se retrouve enfermée dans une cabane, puis finit le séjour dans un grand château gothique sorti tout droit de l’univers de Tim Burton.

La critique de l’est doux (mais pas que!) prend forme, par l’utilisation, au cœur d’un récit fantasmé, de faits divers tout à fait réels : les sous-sols de lieux publics renfermant les pires atrocités, les institutions aux portes de l’extrême droite — le prof néonazi… Couplé à une grande veine paranoïaque — la diabolisation de l’industrie pharmaceutique par un personnage, la réaction à l’islamisme. Price Williams s’amuse des préjugés et les inclue dans une pure comédie de mœurs ; ce faisant, il admet les fautes de son pays, de communautés qui ne se comprennent pas et qui ne veulent pas se comprendre.

Sa radicalité, son ton et tout cet univers construit font de The Sweet East un film aussi peu accessible que déconcertant, avec le road trip est-ouest bien connu tourné à l’inverse pour dresser l’itinéraire improbable d’une jeune fille en pleine recherche de soi. C’est dans ce cassage des codes, dans l’imprévisibilité de sa trajectoire malgré son inscription dans un certain cinéma très « typé » que Price Williams parvient à toucher juste et à trouver une veine singulière dans le regard porté sur le jeune âge. S’il pense ne jamais pouvoir refaire de film un jour, nous ne pouvons qu’espérer l’inverse.


Pierre-Alexandre Barillier

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