Critique du film The Sparks Brothers

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Par Super Seven

le 26/07/2021

SuperSeven :

NUMBER ONE BAND IN HEAVEN

Le succès est un phénomène mystérieux. On peut révolutionner une industrie, un art, être précurseur mais être détesté ou finir dans l’oubli. Ou bien l’on peut toujours être la cinquième roue du carrosse, comme le furent les Sparks – éclipsés par leurs contemporains comme Queen ou les Rolling Stones –, tout en continuant à expérimenter et affirmer sa voix. Là réside l’intention d’Edgar Wright pour parler du célèbre groupe américain, qui dynamite le monde de la musique depuis cinquante ans. Le cinéaste britannique, connu pour son approche très musicale dans ses films, s’essaie avec The Sparks Brothers au documentaire, voire rockumentaire même s’il est dénigrant de réduire le groupe à ce genre. Un film qui tombe à point nommé, alors que Russell et Ron Mael sont plus que jamais sous la lumière des projecteurs en cet été 2021.

Ni une ni deux, la fanfare démarre et le ton est donné : les Sparks sont impliqués dans ce projet et nous allons découvrir leur œuvre de l’intérieur. L’ambition de Wright, pour son premier projet non fictif, est intéressante. Il entend nous faire ressentir une carrière uniquement par la musique, en traitant avec la même rigueur toutes les évolutions du groupe, leurs succès comme leurs échecs. En résulte une expérience auditive unique, agrémentée d’un rythme soutenu et d’éléments visuels détonants ; images d’archives, segments en animation et entretiens se mêlent. Giorgio Moroder vient faire coucou pour No.1 In Heaven, Steve Jones apporte du contexte et évoque la « rivalité » avec les Sex Pistols, et même Edgar Wright ainsi que les deux intéressés interviennent pour développer sur certains aspects. Le tout est servi par un montage dynamique que l’on pourrait qualifier de scorsesien tant la justesse dans les coupes et la gestion des sons évoque la première heure de Casino.

Le tour de force est de créer une dramaturgie sans narration réelle – Wright met de côté une dimension rise and fall – en faisant écouter simplement des extraits des albums qui se succèdent et qui racontent intrinsèquement les hauts et les bas du duo. Eux qui confient en interview avoir pensé que leur histoire n’a rien de cinématographique se trompent tant elle l’est purement. Chaque séquence révèle un peu plus la profondeur de leur Art. Plus encore, leur détermination à continuer coûte que coûte, malgré les échecs et la perte de notoriété, font d’eux des figures inspirantes. Du proto-Hitler pianiste et du gringalet à la mèche volante, il tire deux icônes majeures et attachantes. Le genre de personnalités qui donnent leur vie à l’art et donnent du sens à ce dernier.

Ainsi, de leurs tentatives avortées avec Jacques Tati – on en rêve de celle-ci – et Tim Burton à celle aboutie avec le brillant Annette de Leos Carax, on comprend qu’une vie s’est écoulée, faite d’expérimentations constantes, d’un renouvellement permanent. On se met alors à fantasmer un champ des possibles infini en voyant une carrière qui va du rock à l’opéra en passant par le disco et l’électro avec toujours une idée en arrière : repousser les limites tant de son propre style que de la musique. C’est peut-être ça la leçon à tirer de The Sparks Brothers, qu’il faut s’écouter, et aller au bout de notre vision sans avoir peur des échecs pour inspirer ses contemporains comme les générations suivantes. Quitte à ne pas être sur le devant de la scène, autant faire que celle-ci soit des plus brillantes.


Elie Bartin

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Photo par Anna Webber