Critique du film The Innocents

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Par Super Seven

le 09/02/2022

SuperSeven :


Avec son deuxième film en tant que réalisateur, Eskil Vogt – à qui l’on doit notamment la co-écriture de tous les films de Joachim Trier – prend la voie du fantastique et de l’horrifique. Présenté à la section Un certain regard de Cannes en 2021, The Innocents a pu faire office d’événement du cinéma de genre auteurisant au sein de la sélection.

Le récit suit quatre enfants, voisins d’une même résidence, qui se lient d’amitié au cours de l’été, et se découvrent simultanément des pouvoirs de télékinésie. Sans tout à fait clarifier la démarche, ce premier acte provoque les enjeux formels du film par la seule comparaison avec les références qu’il convoque en filigrane.

Le programme annoncé est en effet celui d’une relecture du mythe super-héroïque, entre X-Men et Carrie à hauteur d’enfants et à la mise en scène âprement réaliste. Or, dans ce dispositif qui capte d’abord les jeux d’enfants dans leur banalité, le surnaturel va de soi. La crédulité malléable des protagonistes dispense alors le scénario de toute quête de sens ou de rationalité. La télékinésie, qui naît bien souvent de la prolongation d’une pulsion retenue par le personnage, est ici a priori contingente. Ce don, certains l’ont, d’autres non ; il n’y a pas d’élu mais une distribution arbitraire d’aptitudes. La démarche de transposition d’Eskil Vogt occasionne donc son premier commentaire : l’univers super-héroïque s’apparente au fantasme presque eugéniste d’une inégalité génétique. Cette thématique est d’ailleurs traversée par Anna, un des quatre personnages principaux qui, sévèrement autiste, ne recouvre la parole que lorsqu’elle est manipulée par ses pairs, créant l’illusion.

C’est ce principe de dialectique autour de la fiction populaire qui semble alimenter The Innocents de bout en bout. Son pas de côté devient malheureusement plus hasardeux lorsqu’il réfléchit l’antagonisme manichéen constitutif du genre. La frontière morale conventionnelle se voit supposément questionnée lorsque le « mal » naît en réponse à la souffrance psycho-sociale d’un jeune garçon délaissé par sa mère. Le sujet se veut central, accompagnant ce méchant en construction dans le détail de sa situation familiale et de son environnement social. C’est un peu vite oublier qu’Hollywood use tout aussi abondamment du joker de l’enfance difficile pour écrire ses antagonistes ; cet effort n’apporte alors qu’ennui et surplus tant l’idée est boursouflée pour nourrir le commentaire (sans intérêt de fait).

Cette béance n’est d’ailleurs pas contrebalancée par la tenue d’un pari esthétique minimaliste, puisque, passé les errances quotidiennes du premier acte, Vogt ne peut s’empêcher de faire progresser son récit en le ponctuant de scènes choc, notamment par le recours peu concluant à un gore poli. En effet, la cruauté que causent et subissent les enfants finit plus par officier comme motif de déstabilisation. De la sensation faute de mieux, notamment lors de scènes d’actions qui renoncent à transcender quoi que ce soit. L’aspect réflexif du projet s’en retrouve noyé dans la reprise des codes du cinéma qu’il commente, quitte à se lisser au rang de celui-ci. Voilà qui n’est pas un mal en soi mais le dépourvoit de ce qui faisait son intérêt originel.

Il faut en fait attendre les dix dernières minutes pour observer une mise en pratique effective des intentions de l’auteur. La clé de résolution universelle du blockbuster étant le meurtre de l’antagoniste dans un climax épique et dramatique, il s’agit de questionner le bien-fondé de ce paradigme, de manière d’autant plus évidente qu’on assiste alors au meurtre d’un enfant. Le refus du spectaculaire et le vœu pieux du dépouillement, jusqu’alors tenus en échec, reviennent soudainement à la charge quand Vogt théorise enfin son enjeu final avec sérieux. Sans interaction entre les personnages, la séquence (anti) climacique géométrise l’espace, sculpte une temporalité étirée pour faire monter la tension au cœur d’un lieu public où toute l’action doit être dissimulée – rappelant la longue et magistrale ouverture de Conversation Secrète. Cette rupture anti-spectaculaire, claire, audacieuse avec le modus operandi dominant esquisse bien trop tard ce qu’aurait pu être le film s’il eût tenu ses promesses dans son entièreté.

The Innocents s’inscrit finalement dans un créneau de cinéma fantastique aux intuitions intéressantes mais qui, par instinct sans doute, se maintient dans un classicisme handicapant, tant il peine à être conclusif.


Victor Lepesant

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