Critique du film The Guilty (2021)

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Par Super Seven

le 25/10/2021

SuperSeven :


La prosternation qu’a provoqué l’annonce de The Guilty, énième remake américain d’un film étranger – en l’occurrence danois avec le long-métrage éponyme de Gustav Möller – a de quoi déconcerter. À peine trois ans après la sortie de l’œuvre originelle, Antoine Fuqua reprend les reines du projet, en saupoudrant l’excellent travail de Möller d’une pointe d’American Touch. S’il faut reconnaître à cette nouvelle version de nombreux points positifs, il est tout aussi légitime de se questionner sur sa raison d’exister. 
Faut-il considérer le remake comme une pâle copie, une réédition pertinente ou une entité ?
 
The Guilty cherche à tout prix à « américaniser » sa version, en contextualisant l’œuvre dans un fait divers particulièrement traumatisant pour les habitants de la côte Ouest, celui des incendies de Californie. Bien que l’idée fasse mouche visuellement, apportant au cadre glacial d’un bureau d’appel une fenêtre ardente vers l’extérieur, sa volonté première est celle d’illustrer – sans grande subtilité – une société en flamme. Si le concept fonctionne à l’écran, avec les plans – relativement insistants – sur l’open space où chaque téléphoniste rétorque son traditionnel « 911 what’s your emergency » sans une once d’humanité, le constat est sans appel ; le monde va mal. La terre brûle, le peuple souffre des inégalités et le centre d’appel offre un concentré de toute cette douleur humaine. Passé cette « subtile » analyse sociétale, le film s’arme d’un justicier épris d’une quête qui implique une femme en détresse, un kidnappeur et une enfant terrifiée (en dehors de son contexte, le pitch de la version de Möller est jusqu’ici respecté). Et qui de mieux qu’une tête d’affiche cotée aux Etats-Unis, Jake Gyllenhaal (d’origine scandinave, comble du hasard), pour rameuter les foules après le succès de The Guilty (2018) ? Un coup de maître assurément, qui permet à l’acteur de servir à Hollywood l’un des meilleurs rôles de sa carrière. Sa profonde détresse, dont la source se dévoile au fil de l’histoire, émane continuellement de son personnage. Chaque ligne de dialogue révèle un pan de sa fragilité actuelle ; de ses réactions impulsives naissent un regret immédiat, et sa lassitude crée un perfectionnisme maladif.
 
The Guilty aime se faire écho. Son titre, dont la typographie « journalistique » questionne à son apparition, prend son sens lors de la découverte du pot-au-rose, où les regards inquiets des collègues sur Joe, mystérieusement relégué à un poste inférieur au sien, prennent sens. Là où l’on pensait trouver un récit qui gagne en valeur dans sa continuité, c’est sur le climax que repose la tension. Un choix délicat, qui a tendance à gâcher le « plaisir » ressenti d’avoir été diverti durant une heure et demie alors que tout ne reposait en réalité que sur une double révélation. Lors du dénouement (que certains pourront prédire facilement), le suspens chute drastiquement, et les minutes qui séparent cet instant du générique de fin s’avèrent convenues et rejoignent un esprit proche d’un happy-end à l’américaine. Tout se règle en un claquement de doigt, nos espoirs sont balayés, ainsi que les quelques réflexions qui auraient pu être laissées en suspens ; en somme, le film ne sait pas se taire.
Les décisions des personnages semblent s’accorder au climax, comme s’ils avaient compris que le scénario venait de livrer la dernière pièce du puzzle. Étrange…
 
La mise en scène de son côté prend en exemple la version danoise du projet, jusqu’à plagier – ou honorer – ses visuels ; gros plans sur les mimiques de Joe, de la lampe rouge d’appel de son bureau qui fait lien avec celles des sirènes ou encore des teintes sombres d’un bureau éclairé par un filament de lumière au travers d’un store. Si les idées fonctionnent, on ne peut que saluer le talent d’observateur du chef opérateur Maz Makhani sur le travail de Jasper Spanning (à la photographie du projet de 2018), étant donné les similitudes flagrantes entre les deux travaux. Seules différences notables, celles des flammes qui offrent une fenêtre vers la « liberté » qu’attend tout citoyen en sortant du travail, mais surtout l’unique prise de risque du projet : ses violations du huis-clos. À de rares instants, Antoine Fuqua décide de sortir du genre afin d’imager les pensées de Joe, offrant une vision trouble de la réalité sur des plans extérieurs. Une approche différente qui, si elle prémâche le travail d’imagination du spectateur, ne manque pas de charme, tant les séquences s’intègrent bien dans le montage, sans jamais nous sortir de l’open space. The Guilty (2018) était, lui, plus rigoureux quant à son concept, en faisant vivre l’action à ses spectateurs uniquement par les commentaires des personnages au téléphone. Le principe s’avère brillant dans les deux œuvres, permettant à quiconque de s’imager les faits avec précision (grâce à l’écriture de Nic Pizzolatto dans le remake, d'après le scénario original d'Emil Nygaard Syversen et Gustav Möller).
 
En considérant le long-métrage comme une entité, The Guilty reste aussi divertissant qu’intéressant, mais en tant que remake, il perd à peu près tout son attrait – son unique intérêt résidant dans le jeu exceptionnel de Jake Gyllenhaal. Le peu d’ajouts scénaristiques – les changements majeurs du script ne concernent que la fin et le background du personnage de Joe – ainsi que les trop rares innovations visuelles remettent en question l’intérêt de l’existence même de ce projet. Il faut malheureusement accepter que son unique rôle est de partager le film à un public de feignants, qui n’ose se pencher sur le cinéma étranger.


Léo Augusto Jim Luterbacher

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