Critique du film The Amusement Park

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Par Super Seven

le 25/10/2020

SuperSeven :

Il est de ces films qui ont un destin particulier. Entre perte de copie, accident de tournage, manque de moyens… nombreuses sont les choses qui peuvent entraver la sortie d’une œuvre. The Amusement Park est l’un d’eux.
En 1973, la société luthérienne charge George A. Romero, célèbre réalisateur d’horreur, de tourner un film pour sensibiliser l’audience à la maltraitance des personnes âgées. Le cinéaste s’exécute mais la diffusion n’est finalement pas autorisée, le résultat étant jugé trop dur. C’est finalement en 2018, un an après la mort de Romero, que sa femme révèle l’existence de ce moyen-métrage, qui a depuis été restauré et diffusé dans de petits cercles.

Dès les premières secondes, l’acteur principal Lincoln Maazel nous prend à parti. Il annonce la couleur : le spectateur ne sera pas épargné. Le film n’est pas là pour faire passer un bon moment, mais bien pour faire réagir, voire donner envie d’agir. Plus que de la prévention finalement, cette introduction semble déjà être une réprimande, un avertissement.

Puis commence la fiction, dans une pièce d’une blancheur rappelant au choix un couloir d’hôpital ou l’antichambre du paradis. Un vieil homme est face à une version pitoyable, sale et meurtrie de lui-même, le mettant en garde contre ce qui l’attend dehors.
Mais ce vieil homme décide tout de même de sortir, et l’on se retrouve plongé dans ce parc, à priori un lieu de joie de vivre et bonne humeur. Malheureusement les scènes dans diverses attractions se succèdent et chacune d’entre elles assène un nouveau coup au protagoniste, nous étourdissant également au passage. On le voit lui, et d’autres personnes de sa génération, être victimes de l’inattention voire des moqueries de chaque individu qu’ils croisent ; cette ignorance collective se présentant en tant que reflet d’un mal plus profond et ancré dans nos sociétés, comme l’illustre bien la scène de la voyante.
Après s’être fait violenter à plusieurs reprises, physiquement comme psychologiquement, notre vieillard se rend dans une infirmerie, où on le panse simplement en lui disant que cela devrait améliorer les choses. Mais les maux que Romero exprime ici ne sont pas de ceux que l’on peut simplement soigner d'un coup de pommade avant de passer à autre chose.
Pendant 50 minutes donc, le réalisateur va maltraiter son spectateur par le montage, mais aussi par le son de la foule et des manèges qui nous empêche d’entendre les appels à l’aide et devient réellement insupportable. Un moment de silence nous est offert, et même celui-ci n’est pas synonyme de répit, mais plutôt d’une nouvelle angoisse, celle de la solitude.

Problèmes d’accès à la santé, peur de vieillir, culte de la jeunesse, infantilisation des aînés… tout cela est passé en revue au cours de ces minutes éreintantes qui éveillent les consciences sur une réalité souvent balayée sur le côté. Plus tétanisant qu’« amusant », ce film réalisé il y a près de 50 ans résonne toujours avec notre actualité, dans cette période où l’on hiérarchise les prioritaires pour des lits de réanimation en fonction de leur âge.
On retrouve par ailleurs dans cette œuvre tout le cinéma de Romero, et l’angoisse qu’il sait générer. Seulement ici aucun élément fantastique n’est là pour que notre côté rationnel nous rassure, et c’est peut être ce qui le rend d’autant plus horrifique.

La toute fin nous ramène de façon cyclique à nouveau dans cette pièce blanche, cette fois du point de vue de l’homme meurtri, face à son double encore en bonne forme. Tout comme au début, celui-ci déclare qu’il a envie de voir ce qu’il se passe dehors, et on aurait presque envie de crier avec l’homme blessé qu’il n’y a rien, et qu’il vaut mieux rester ici.
Après quoi Lincoln Maazel fait une nouvelle intervention face caméra, pour nous expliquer ce que nous venons de voir, nous dire que nous serons peut-être un jour à la place de cet homme et nous enfoncer un peu plus. On peut regretter cette nouvelle mise à mal du spectateur, qui bien que s’inscrivant dans le cadre d’une vidéo de prévention vient enlever de l’impact au ressenti personnel de ce bouillon d’informations. Il vient renforcer cette impression de culpabilité et nous fait donc ressortir de la salle plus honteux que révolté, ce qui est certainement voulu mais un peu dommage lorsqu’on essaye de pousser les gens à agir.

The Amusement Park reste néanmoins une œuvre importante, à la fois témoin des travers d’une société, d’une époque, mais aussi des capacités de son réalisateur à faire d’une commande une véritable création personnelle concentrant toute son essence d’auteur.


Pauline Jannon

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