Critique du film Sur l'Adamant

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Par Super Seven

le 20/04/2023

SuperSeven :


ET SOIGNE LE NAVIRE

C’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure confiture, dit l’adage, et Nicolas Philibert, en revenant sur le terrain de la psychiatrie, livre une œuvre modeste mais bienvenue, que le Festival de Berlin n’a pas manqué de remarquer en lui donnant l’Ours d’Or. Sur l’Adamant est en effet un film d’une extrême bienveillance, doublée d’un fond de révolte qui s’illustre dès les premiers instants. Un nouveau patient arrive dans la clinique de jour, ni une ni deux son prénom est demandé par une autre : ici on est tous sur le même bateau, alors autant vite se serrer les coudes. C’est d’ailleurs ce « tous » qui prime sur le « bateau », en ce que Philibert ne tend pas tant à décortiquer le fonctionnement de cette institution singulière qu’à nous révéler les êtres uniques qui l’habitent.

S’installe alors un dialogue, voire des dialogues, à travers des relations diverses : soignants-soignés, soignés-soignés, et même, lors d’un bref échange, filmeurs-filmés. L’enjeu, plus politique que Philibert ne le prétend lui-même, est de donner la parole à ceux que l’on n’entend pas. Une parole qui ne s’exprime pas qu’oralement – malgré de nombreuses logorrhées et quelques chants –, mais prend diverses formes artistiques : peinture, dessin, danse, cuisine ; mais aussi collaboratives, avec ce bar solidaire où tout le monde peut intervenir. L’adamant est finalement moins une clinique de jour qu’un atelier d’artistes, une zone de libération de la créativité, d’encouragement à vivre à la marge (« qui fait tenir les pages ensemble » disait Godard) pour exister.

Personne n’est laissé sur le côté ni hiérarchisé – les soignants sont à peine distingués comme tels –, de sorte que le lieu donne l’impression d’être un simple espace d’échange où les mots guérissent les maux, à condition qu’on les entende et les comprenne. Ainsi, les débats autour des différentes créations, les élans de folie – au sens le plus beau du terme – dans la manière de voir le monde (comme celui qui se prend pour le descendant de Van Gogh et compose des chansons étrangement mélancoliques) n’ont rien à envier aux discussions de personnes plus « intégrées », voire elles les supplantent. L’innocence dans le regard, qui ressort par le contraste de ces personnes que l’on sent meurtries par ailleurs de l’intérieur, nous renvoie à notre propre esprit incapable de raisonner aussi simplement et merveilleusement qu’eux.

C’est là que les rares plans d’extérieurs, révélant le contexte spatial et géographique de ce beau projet, donnent une tout autre ampleur à Sur l’Adamant. Le bateau est sur la Seine, dans Paris. Quelques mètres plus loin et plus haut, un pont où règne le mouvement mécanique et frénétique de la capitale ; des immeubles comme toile de fond menaçante. Qu’on s’y sent bien, sur l’Adamant, et qu’on aimerait y rester, aux côtés de ces beaux personnages, chaleureux et survoltés. Difficile de ne pas être cueilli, lors de la séquence finale, où celle qui veut donner des cours de danse prend la parole pour revendiquer son droit au partage de ce qu’elle aime. L’Atlantic Bar, que Fanny Molins a si joliment filmé – décidément le documentaire est là pour nous ouvrir les yeux ces derniers mois –, a peut-être fermé, mais il faut croire que quelque part, sur une eau calme, un lieu de résistance demeure. L’adamant n’est pas une clinique comme les autres, certes, mais il est, à bien des égards, l’un des meilleurs remèdes pour tenir dans un monde qui va mal.


Elie Bartin

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