Critique du film Spencer

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Par Super Seven

le 28/01/2022

SuperSeven :


Sorti en France sur Prime Video, l’anti-biopic de Pablo Larrain mélange les genres et met en scène une Lady Di en proie à la dépression, formidablement interprétée par une Kristen Stewart habitée.

"A TALE FROM A TRUE TRAGEDY".

Avant même le premier plan, Pablo Larrain donne le ton. Avec Spencer, le cinéaste chilien prend les fans de The Crown à contre-pied, et dresse un portrait sombre, sinistre, voire funeste de la princesse de Galles. Répondant ainsi aux plus dubitatifs, qui se demandaient ce que pouvait bien apporter un nouveau récit sur un personnage déjà essoré par de nombreuses fictions ou autres documentaires. Nous sommes la veille de Noël, en 1991. Seule au volant de sa Porsche, la princesse se rend au château de Sandringham. Dès les premiers instants, Diana est perdue, demande son chemin au commun des mortels, et arrive en retard sur les lieux : c’est une femme égarée psychologiquement qui nous est présentée, déjà bien loin des exigences quasi-militaires de la famille royale.

“IT DOESN'T FIT MY MOOD, IT SHOULD BE BLACK”

La routine et l’ambiance d’une implacable rigidité, jusque dans les cuisines, semblent étouffer Diana. Plus que jamais, elle ne semble pas à sa place dans un environnement où le passé et le présent ne font qu’un. Alors que son mariage avec Charles est sur le point d’imploser, elle est dans l’obligation de jouer à l’épouse modèle. Les visages des autres membres de la famille nous sont même longtemps cachés dans la première partie du film, avant qu’ils finissent par lui adresser des regards accusateurs. C’est uniquement avec les domestiques que Diana Spencer se sent elle-même. En témoigne sa discussion avec le cuisinier, qui lui assure que ces derniers “veulent qu’elle survive", ou sa relation avec Maggie, l’une des rares à se préoccuper de sa situation.

S’ils sont concernés par son sort, c’est parce que la mort rôde, indubitablement, autour d’elle. Des apparitions fantomatiques aux robes noires en passant par les tentatives de scarification, un sort tragique paraît promis à la princesse, dont le destin semble lié à la défunte Anne Boleyn, deuxième épouse du roi Henri VIII et condamnée à mort. Le tout appuyé par de nombreuses allégories, à l’image de ces rideaux qui barrent toute perspective d’espoir, de fuite, à une femme décrite comme captive par la mise en scène et les symboles.

HUIS CLOS ANXIOGÈNE

Son mal-être prend une dimension d’autant plus dramatique grâce à la performance tout en nuances de Kristen Stewart qui, grâce à ses mimiques, son regard terrassant de détresse et son accent british, convainc quiconque doutait de sa capacité à interpréter une telle figure historique. La photographie de Claire Mathon, dans la même veine que son travail pour le sublime Portrait de la jeune fille en feu, propose des couleurs désaturées qui amplifient l’aspect fantomatique de ce huis clos anxiogène, au même titre que le ballet musical sous tension de Jonny Greenwood. Pablo Larrain joue avec les codes du thriller pour mettre en scène une Diana errante, tel un “fantôme”, dans les couloirs du château où chaque couloir, chaque porte, semble dissimuler une menace. Son anxiété et ses hallucinations immergent le spectateur dans sa détresse psychologique jusqu’à son retour dans la maison familiale en pleine nuit, où elle retrouve, le temps d’un instant, un sentiment de liberté.

Car c’est bien d’une “famille normale” que Diana fantasme. Désacralisée tout au long du métrage, comme dévêtue de son apparat royal jusqu’au choix titre du film, Diana Spencer clame son amour pour les “choses simples” et les “fast-food”. Ce n’est donc pas un valeureux chevalier qui viendra sauver la princesse de cette fable torturée, mais plutôt ses deux enfants et un KFC, face au Tower Bridge.


Maxime Moerland

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