Critique du film Sparta

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Par Super Seven

le 30/05/2023

SuperSeven :


Disease Sparta ou le mal intérieur de l’homme

C’est dans une Roumanie froide et grise qu’Ulrich Seidl introduit le triste et morne Ewald. Les pieds dans la soupe, il vagabonde entre sa femme qui ne l’attire plus et son père vieillissant dont il ne sait s’occuper. Ewald quitte alors toute ses habitudes et entame une quête de renouveau dans l’arrière-pays afin de donner du sens à sa vie, de donner une utilité à son existence. En réponse à sa « crise de la quarantaine », fuir est pour lui un nouveau départ, mais c’est aussi le moment de faire face à une partie de lui-même, surement restée enfouie durant des années et qui s’exprime seulement aujourd’hui. En effet, il se rend compte progressivement que le dégout qu’il éprouvait envers sa femme et ses attributs sexuels sont moins dû à la routine de la vie de couple qu’à une nouvelle attirance dérangeante et ignoble – à la fois pour lui et pour le spectateur : Ewald aime les gosses.

Le doute est très vite levé et son engouement pour les mineurs – particulièrement les garçons – est assumé lorsqu’il se présente en tant que professeur de judo qui donne des cours gratuitement aux jeunes du village. C’est dans ce centre, son camp qu’il nomme « Sparta », qu’Ewald devient peu à peu un gourou manipulateur aux intentions plus que malsaines. L’embrigadement des jeunes se fait progressivement, et tout comme l’ensemble du récit, les actions se suivent par glissement lent et continu. C’est un des points forts de Sparta : la gradation est maitrisée et se reflète sur de nombreux aspects. Il y a l’évolution graduelle de la relation d’Ewald à sa pédophilie, qu’il assume de plus en plus, et de sa relation de plus en plus intime avec les enfants. C’est aussi le cas de la météo ; s’il fait froid et gris au début, le soleil tape de plus en plus fort sur les corps à moitié nus des enfants et sur le sourire d’Ewald qui lui aussi s’agrandit. Il est important d’insister sur la maitrise de l’évolution de ces aspects. D’ordinaire cela se fait par paliers marquants, par scènes ou par séquences identifiées, mais chez Seidl, les marches sont si petites, si nombreuses et si entremêlées que l’escalier de la gradation apparait comme une pente lisse sur laquelle se laisser emporter est une évidence. Seidl ne perd pas pour autant le contrôle, au contraire ; il sait quand freiner son œuvre pour éviter le virage de trop et l’accident cinématographique.

A ce mouvement de gradation répond un autre, qui se déploie en parallèle, celui de l’ouverture/enfermement. Seidl développe une double dynamique : d’une part Ewald s’ouvre aux enfants et à sa pédophilie, de l’autre, il s’enferme et s’éloigne du monde adulte. L’intimité qu’il tisse avec les jeunes contraste avec l’impossibilité de dialoguer avec des personnes plus âgées ; il peine à s’exprimer et à expliquer sa présence et ses activités. L’enfermement/ouverture est aussi forte au sein même du camp « Sparta » qui voit ses hôtes se barricader derrière des murailles et un portail verrouillé, sorte de forteresse de l’interdit dans laquelle Ewald réalise presque complètement ses fantasmes, assumant son attirance et éloignant les jeunes de leurs parents pour mieux les amener à lui.

Ainsi, Sparta marque un retrait de la civilisation pour s’ouvrir à des penchants pervers et immoraux. La référence à Sparte prend alors tout son sens quand on se fait le lien avec l’éducation des garçons de la ville grecque, envoyés dès sept ans dans des camps autonomes où ils apprenaient l’art de la guerre, du combat et de la survie, et dans lesquels les viols pédophiles des jeunes adultes sur les enfants étaient monnaie courante. C’est cette éducation centrée sur le culte du corps, le culte du chef, l’art de la guerre et la sélection des corps forts, des corps bien formés et saints que réactualise Seidl. Ce faisant il pointe du regard – et non directement du doigt – un fascisme actuel montant, grandissant, fruit de fantasmes profonds et interdits qui sonnent comme une réponse à un mal être intérieur des hommes, mais qui comme la pédophilie d’Ewald doit et devra s’arrêter avant le drame. L’irregardable n’est jamais montré frontalement – il n’est pas nécessaire tant l’ensemble est déjà perturbant –, seules les affiches pour les cours de judo restent exposées sur les murs des villages, comme un rappel de ce qui sommeille et peut frapper à tout moment.


Maxime Grégoire

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