Critique du film Soul

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Par Super Seven

le 24/12/2020

SuperSeven :


Nombreuses furent les tournures employées ces derniers mois, ces dernières années même pour décrire Disney : inhumain, fossoyeur du cinéma, aliénant... Toutes ces paroles cherchent à mettre des mots sur l'attitude irresponsable et destructrice de la firme depuis un certain temps. Outre la gestion pure de l'entreprise, la création semble s'aplatir, voulant instaurer une politique de l'œuvre uniforme sur le long terme, jouant encore et toujours les variations des succès passés. Les films n'ont jamais été si nombreux et pourtant il semble n'y en avoir qu'un. Le cinéma de studio prime certes, mais un studio est composé d'hommes et de femmes, or impossible de trouver une once de création humaine depuis bien des années, et pourtant…
Et pourtant, surgit au sein de l'obscurité d'une entreprise déshumanisée l'œuvre d'un pur auteur. Cet auteur se nomme Pete Docter. Son film, ode au miracle de la vie, nous rappelle un autre miracle : celui de l'art. Car comme ce samare qui tombe doucement de son arbre, un pur "petit rien" de magie au cœur d'une vie urbaine semblant bruyante et sans intérêt, « Soul » arrive également comme un moment de magie cinématographique au sein d'une industrie qui a perdu vie. Comme un symbole déchirant que, peu importe les époques ou les lieux, des artistes se feront toujours entendre.
C'est un message d'un optimisme extraordinaire que véhicule « Soul », tant par ce qu’il implique que ce qu’il raconte. Car Soul est l'histoire de ce phénomène qui touche au sublime qu’est l'expérience de la vie. Pete Docter semble avoir trouvé ici l'œuvre somme de son cinéma, basé sur la magnification de l’existence ; un thème qui était déjà au centre de « Là-Haut » et « Vice-Versa ». Il ambitionne de représenter cette fameuse vie - et par conséquent la mort - à travers ses outils métaphoriques déjà mis en place dans son dernier film. Chaque mécanisme et objet de l'univers a alors une portée symbolique dans chacune de ses actions.

Ici, le monde crée par Docter, très proche de celui de « Vice-Versa », est sûrement le plus beau qu'il ait créé. Le décor est épuré à l'extrême, graphiquement parlant assez loin de l'explosion continuelle de couleur que pouvait contenir l'esprit de Riley dans cet autre film. Le ton est plus grave et mélancolique, souvent un simple noir et blanc vient animer l'univers ou du moins une simplicité calme en terme de coloration. Le bas est tout bleu, symbole de la douceur de la pré-naissance et de la virginité des âmes. Le film joue constamment avec ce rien qui entoure la vie, car si l'avant et l'après sont vides, le pendant doit être rayonnant. Cet espace bleu doux contraste évidemment avec le noir rempli de petits éclats de lumière comme des étoiles qui forment la montée vers la mort. Il y a là une étrange sagesse mêlée à un effroi acrophobe du à sa noirceur. Rarement un décor fut aussi beau et évocateur que ces simples escaliers funestes menant à cette obscurité définitive. Et ces deux lieux s’opposent au troisième dans lequel le récit évolue : la vie. Là, la gestion de la lumière et des couleurs est purement sensorielle, nous berçant d'une douce lueur chaude ou bien nous éblouissant de toute sa clarté. C'est une véritable poésie qui en émane venant nous conter la beauté de l’existence, du gris de la ville à cette petite lumière chaleureuse du jazz club qui éclaire le sublime des notes de piano. L'aspect visuel du film n'est donc pas qu'esthétique, il embrasse pleinement le propos du film.
Pete Docter opte pour une vision où la connaissance de ce qui fait la vie ne peut être perçue que par les sens. Ainsi numéro 22, la petite âme pré-née qui pense tout savoir du monde ne peut en réalité vraiment le comprendre qu'une fois qu'elle l'a exploré. L'œuvre se rapproche donc d'une certaine pureté humaine, où son éclat se trouve autant dans le goût d'une sucette chez un coiffeur que dans les accords de guitare d'un musicien de rue. C'est un tourbillon émouvant qui emporte le spectateur, la volonté de toucher par l'animation une beauté uniquement perceptible par l'œil humain. C'est l'embrassement d'une vision épicurienne de l'existence où celle-ci doit être une jouissance constante pour le vivant. Docter rejette ainsi une idée fonctionnelle de la vie et prône le rattachement au corps pour ces âmes perdues qui s'en sont séparés en devenant des esclaves de leur désir dans leur fondement le plus aliénant.
Ces créatures assez folkloriques représentées comme d'immenses monstres noires errant dans l'obscurité participent encore à cette imaginaire pleinement inventif qu'a ici créé l'auteur. Elles sont d'ailleurs une possible continuité à l'âme s'élevant vers le suprême, que ce soit à travers le dépassement de soi ou la transcendance par le sublime, dépassement de soi qui qui peut se transformer en diable intérieur si celui-ci vient détourner le corps de son propre plaisir.
Selon Pete Docter, l'homme n'a pas de finalité car vivre est déjà une finalité. Il nous montre alors de nouveau son sens de la nuance et dévoile encore un de ses plaisirs scénaristiques : celui de faire comprendre à son spectateur que la quête dans laquelle il s'est investi, du côté du héros, n'est peut être pas la bonne.
Éloigné d'une vision enjolivée de la vie, il l'accepte selon toutes ses caractéristiques, comme un tout. Dans « Vice-Versa », il s’agissait d’accepter la tristesse et l’oubli, ici d’accepter la mort. Savourer la vie n'est pas la renier et Docter nous affuble d'une histoire finalement assez en phase avec une réalité assez stoïcienne du monde, où l'homme est en paix avec ce dernier comme dans cette marche funèbre de fin, d'une beauté glaçante, où il accepte sa condition d’être vivant mais aussi d’être mortel.
Pourtant, « Soul » n'est pas triste malgré les larmes qu'il peut provoquer. Il est un film important, à l'encontre d'une vision naïve de la vie, qui n'épouse pas un cynisme désabusé mais une vision réaliste, douce, chaleureuse et vivifiante. C'est avec une grande amertume que nous le lancerons sur Disney+ mais avec une grande joie que nous sortirons du visionnage, pris d'une envie débordante de vivre.


Victor Abouaf

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