Critique du film The Soiled Doves of Tijuana

logo superseven

Par Super Seven

le 11/12/2023

SuperSeven :


Les Colombes sur le sol

Jean-Charles Hue, que l’on connaît pour ses documentaires mais surtout son film Mange tes morts (2014), revient à Tijuana, désormais lieu de prédilection de son cinéma depuis quelques films (du court Tijuana Tales au long de fiction Tijuana Bible). The Soiled Doves of Tijuana confirme sa posture de photographe de ce territoire et ses habitants, ici plusieurs travailleuses du sexe – les colombes souillées du titre original – au coin des rues de la ville.
L’immersion est telle que l’on prend rapidement conscience de leurs conditions de vie, que l’on imagine terribles au premier abord, à travers leurs témoignages. Si le montage se montre quelque peu tumultueux, n’imposant pas de ligne narrative, l’image surexposée transforme ces colombes en anges terrestres, perdues au milieu de la misère, se traduisant par leur rapport à la drogue, à leur foi ainsi qu’aux dangers auxquelles elles sont exposées. Sans aucune prétention, ni moralisme mal placé, la caméra épouse la présence de ces femmes, dans le but de constituer le testament qu’elles n’auraient jamais osé livrer outre mesure. La mise au point variant du flou au net intensifie leur manque de repères dans un métier qui les pousse continuellement à avancer tels des funambules ne sachant pas si le fil qui les supporte est toujours solide. L’empathie se figure être l’arme passive du réalisateur. Il observe avec délicatesse les regards, les bouches, enregistre les voix de ces femmes, sans pour autant s’imposer comme leur vulgaire sauveur – ce qu’elles ne souhaitent d’ailleurs pas. Ces femmes tiennent debout, quoiqu’il en coûte.

L’une d’elles, Mimosa, centralise l’attention en ce qu’elle est autant en proie aux dangers extérieurs qu’à ses démons intérieurs. Jean-Charles Hue n’hésite pas à nous faire embrasser son point de vue, notamment dans une scène sensorielle de trip marquée par un décrochage total, un lâcher-prise où la caméra s’élance de manière opératique et insaisissable. Cette impression de départ pour un au-delà, appuyé par la présence dans la même chambre de symboles bibliques tels qu’un crucifix, révèle la souffrance de la jeune femme, sans jamais la juger, toujours en l’accompagnant. Mais le rapport à la drogue ne s’arrête pas là. Une autre Colombe, Clementina, danseuse dans un cabaret, perd pied avec la réalité après une consommation excessive de stupéfiants. Sa lucidité s’estompe lorsqu’elle se met à danser et à tourner, seule, comme pour réussir à se persuader qu’elle tient toujours debout. La souillure des colombes réside ainsi dans cette consommation quotidienne de produits illicites, placebos indispensables à leurs yeux à la continuité de leur activité malgré les dommages palpables de cette dérive. Lorsque la troisième femme, Yolanda, aujourd’hui tragiquement décédée, recueille un oiseau presque mort, Hue nous donne la clé métaphorique du film. Leur désir d’envol est fort mais elles demeurent des anges terrestres, dont l’issue la plus probable est en fait sous terre.



Talia Gryson

tijuana image.webp