Critique du film Sick of Myself

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Par Super Seven

le 28/05/2023

SuperSeven :


LA MALADE IMAGINAIRE


Jusqu’où iriez-vous pour un peu d’attention ? demande Kristoffer Borgli avec Sick of myself, entreprise méthodique de décorticage des raisons de cette recherche pathologique de l’empathie d’autrui à travers Signe, sa protagoniste haute en couleurs.
Astucieusement, Borgli laisse un temps miroiter une étude de la dynamique d’un couple, puisque Signe ne fonctionne d’abord pas sans l’ombre de son petit ami Thomas. Mieux, il met en avant l’emprise de ce dernier, artiste à qui tout réussit et cleptomane à ses heures perdues, sur elle, entre manipulation, humiliation publique et rabaissement constant. La jeune femme n’est pour autant pas en reste, et rentre dans ce jeu compétitif malsain qui s’apparente finalement à une relation de frère et soeur jaloux — ce qui leur vaut d’ailleurs d’être pris pour tel à de nombreuses reprises.

A travers ce duo dysfonctionnel apparaît la sève du récit : une femme victime d’une grande solitude et qui se perd dans sa quête du paraître pour éviter de faire face au grand vide de sa vie. Voici la raison pour laquelle elle ne quitte pas Thomas, mais aussi ce qui motive ses nombreuses décisions très discutables. Le titre Sick of myself apparait alors avec un double sens ironique ; traduisible littéralement par « Marre de moi », il suppose aussi la question de la maladie qui anime le parcours de Signe. Si le mystérieux mal qui lui ronge la peau peine à être identifié, un bon nombre de diagnostic de l’ordre du trouble psychiatrique peuvent être évoqués : mythomanie, dépression, trouble anxieux, personnalité borderline, psychopathie… de quoi faire pâlir Henry Ey !

Le mécanisme qu’elle utilise pour attirer l’attention et la compassion de son entourage — à s’avoir ingérer volontairement une substance toxique pour se rendre malade — porte d’ailleurs un nom en médecine ; le syndrome de Münchhausen, dont les spécialistes s'échinent à comprendre le motif et l’origine vu le peu de bénéfices tirés d’un tel comportement. Sick of Myself fait alors fonction d’une bonne étude de cas en se plaçant dans une position relativement neutre vis à vis de Signe. Son parcours est risible au possible et l’on ne peut que se moquer des proportions surréalistes que ses actes prennent, mais l’on comprend aussi d’où naît sa détresse. Au delà de son couple, elle est surtout le résultat de pressions collectives qui rejettent ceux qui, comme elle, n’ont pas vraiment d’ambition et ne brillent pas naturellement dans les soirées mondaines. Elle choisit d’ailleurs dans sa pathomimie de porter atteinte à sa peau, organe très symbolique dont la fonction sociale a été analysée par bon nombre de philosophe et reflet très fréquent d’auto-mutilation. Une ambivalence qui ne manque pas de justesse grâce à la merveilleuse interprétation de Kristine Kujath Thorp, dont les transformations physiques n’entachent en rien son charisme naturel.

Toutefois, derrière ce récit très sombre et lourd sur les maux d’une génération, se cache un humour féroce. Borgli joue d’un ton extrêmement cynique pour créer un décalage constant entre l’auto-destruction et les éclats de rire qu’elle génère. La gestion du tempo comique passe bien sûr par les dialogues, mais également par le montage qui permet de sauter d’une situation à l’autre pour désamorcer les ficelles trop dramatiques, et de voguer entre les temporalités — mais aussi entre le réel et les rêves-mensonges de Signe. Dommage que Borgli se repose parfois un peu trop sur ces effets, mais il parvient à trouver la juste distance en organisant son récit autour de séquences clés qui prennent davantage leur temps pour ancrer sa protagoniste dans des situations bien identifiables (un dîner entre amis, un entretien d’embauche…).

Ce rythme saccadé et cette insolence inscrit Sick of Myself dans la parfaite lignée des oeuvres nordiques ayant rencontré du succès en France ces dernières années. Si Signe a quelque chose d’une Julie (en 12 chapitres) sous Prozac — on remercie au passage Kristoffer Borgli pour le caméo tout à fait gratuit d’Anders Danielsen Lie dont la vision est toujours un plaisir —, le parallèle le plus évident à dresser est celui avec Sans Filtre. Les deux films — présentés à la même édition du Festival de Cannes — ont une approche similaire de la question de l’image de soi au travers d'un couple déséquilibré. Ni Borgli, ni Östlund n’hésitent pas non plus à user d’une pointe de vulgarité (un euphémisme pour le second), en s’amusant à filmer des jets de fluides corporels en tous genres. Cependant, contrairement au suédois se prenant plus au sérieux qu’il ne le pense au point de frôler l'hypocrisie, la dérision de Sick of myself est totale. Sans chercher à attaquer ou culpabiliser un quelconque groupe de personne, Borgli délivre une oeuvre générationnelle, sorte d'exutoire de nos pulsions les plus sordides, comme si voir Signe jouer avec la mort nous permettait de mieux apprécier le banal.


Pauline Jannon

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