Critique du film Showing Up

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Par Super Seven

le 29/04/2023

SuperSeven :


Par son seul titre, Showing up, le nouveau film de Kelly Reichardt, annonce tout son programme. Il s’agit tant, pour le personnage, d’exposer son œuvre que de se montrer, d’apparaître soi aux yeux des autres. Lizzie – parfaitement incarnée par Michelle Williams – est une artiste dont le vernissage de la nouvelle exposition approche. Mais rien ne va : sa famille ne la considère pas ou peu, sa voisine et proprio est plus reconnue qu’elle et rechigne à réparer l’eau chaude, et, pour couronner le tout, voilà qu’un pigeon estropié finit chez elle, la forçant à le soigner. Plutôt, elle se force à en prendre soin pour faire bonne figure, pour narguer sa voisine qui a tout de la Mère Teresa idéale.

Là apparaît le dernier sens du titre. Showing up est aussi un récit d’humiliation, subie et infligée par la même personne. Lizzie souffre, a du mal à croire en ses propres créations, et méprise les autres, à tendance à se refermer sur elle-même. La sculpture étant par ailleurs un art solitaire, difficile de voir ce qui pourrait la sortir de cet état. D’où le fameux pigeon, qui succède à la vache de First Cow comme élément perturbateur au sens tant dramaturgique que relationnel. Celui-ci déclenche une série de geste, mot clé du cinéma de Reichardt, et une nouvelle perception du temps. La course contre la montre pour l’exposition à venir est constamment ralentie par les péripéties provoquées par l’animal. Plutôt, c’est en réalité moins un ralentissement qu’un dédoublement qui s’opère ; en soignant le pigeon avec une minutie extrême, elle ne se guérit pas seulement elle-même contrairement à ce que la métaphore facile – et appuyée – pourrait le laisser supposer, mais elle cultive sa créativité, sculptant à même le corps de la bête pour la faire s’émanciper.

Le quotidien de Lizzie apparaît en effet initialement comme un cercle vicieux dont l’extraction semble compromise. Ce n’est qu’à force de petites scènes d’interactions, de frustrations, que semble se dessiner ce qui sommeille dans Showing up. A travers la simplicité et la malléabilité de la céramique, nuancée par le risque que tout rate à la suite du passage au four et donc l’obligation pour l’artiste de s’en relettre.à un tiers, Reichardt questionne le modelage de l’humain par son rapport à ce qui l’entoure. Nous ne sommes pas si différents des santons que Lizzie façonne, nourris par la moindre de nos discussions, sorte de sculptures expérimentales à l’air libre que le temps altère sans crier gare. Ce temps, celui qui anime le cinéma de Reichardt est un facteur décisif dans le parcours de Lizzie. Nulle passion romantique dans sa création, mais de la persévérance, un stress contenu, un effort de rigueur et une envie de tenir un délai. Ainsi, à l’heure de l’excès, la cinéaste s’inscrit encore davantage dans une logique de soustraction, presque de régression. A la fois régression mentale, avec toute la douce puérilité qui parcourt étrangement le film (jusqu’à la honte éprouvée par Lizzie face à la présence de sa famille au vernissage), et régression cinématographique et dramatique. Tout le récit tient à peu de choses, et ce qui compte réellement est le seul fait de révéler dans toute son ampleur le rythme monotone d’une femme banale (en crocs et jogging), qui tend à mieux que sa petite existence routinière.

Le hasard fait d’ailleurs peut-être bien les choses, avec cette sortie coïncidant à deux semaines près à la ressortie de Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman, film somme sur la condition féminine et le rapport au temps. Loin d’aller jusqu’à comparer l’entreprise de Reichardt – qui assume totalement sa modestie – à celle d’Akerman, il y a dans ces regards féminins séparés de près de cinquante ans une certaine – et triste – constance, contrebalancée ici par un dernier tiers libérateur et plein d’espoir. Kelly Reichardt, jamais moralisatrice va ici au bout de son idée : l’art est éprouvant certes, mais il n’est de compétition que pour ceux qui se la créent. La beauté réside ailleurs, dans les feuillages d’un arbre où des oiseaux piaillent tandis qu’au loin deux voisines, s’étant crues rivales, se rendent compte de leur proximité et de leur affection mutuelle. Peut-être que l’un de ces êtres ailés raconte comment, en apparaissant seulement, il a changé la vie d’une d’elle, et lui a permis à son tour de s’envoler.


Elie Bartin

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