Critique du film She Said

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Par Super Seven

le 21/11/2022

SuperSeven :


Il est maintenant usuel de voir débarquer dans nos belles salles obscures des œuvres inspirées d'histoires réelles, qu’elles soient communes ou un peu plus extraordinaires. Certaines impliquent Hollywood et semblent nécessaires à adapter, afin de donner le pouls de l’industrie américaine depuis son intérieur ; cela va de la remarquable comédie The Disaster Artist à The Fabelmans — attendu début 2023 dans l'Hexagone —, et il est difficile de passer à côté de ces films "historiques" pour la plupart romancés.

Néanmoins, s’il est un événement clé de ces dernières années, faisant l’objet de plus en plus de sorties, c’est l’avènement du phénomène #MeToo. Quand, en 2017, l'industrie hollywoodienne se retrouve secouée d'un énorme scandale avec des dizaines d'accusations contre Harvey Weinstein — figure proéminente avec sa société Miramax, souvent reconnu comme le "Roi" des Oscars —, la parole se libère enfin, révélant certaines histoires vieilles de presque trente ans et dont la mise en avant par les personnes concernées s’avère admirable et salutaire. Pour autant, et c’est ce que She Said invite à se demander, ce déferlement a-t-il vraiment tout bouleversé dans la cité des anges ?

Il serait malhonnête de faire le procès du film tant il n'est pas mal intentionné et tente — tant bien que mal — de conter l'histoire des deux journalistes ayant donné la parole aux victimes pour faire tomber Harvey Weinstein, comme avait déjà pu le faire Spotlight quelques années avant sur une toute autre histoire.
Néanmoins, il est difficile de ne pas flairer un brin d’opportunisme derrière le projet, du moins chez certains de ses instigateurs : en tête d'affiche, Brad Pitt, producteur du film via sa compagnie Plan B – de plus en plus présente dans le paysage cinématographique actuel. Nous parlons d’opportunisme puisqu'il suffit de quelques minutes de recherche pour se rendre compte que Pitt était étroitement lié avec le producteur-agresseur ; Angelina Jolie, l'une des victimes les plus médiatisées de l'affaire, avait mis son ex-mari au courant des agissements de Weinstein à son encontre et, par conséquent, sur les actrices que ce dernier effrayait, en vain...
Certes, il est malhonnête de blâmer She Said, mais ça l’est tout autant de laisser des personnes liées – de près ou de loin – à certaines de ces agressions, et qui, s'ils n'avaient pu empêcher de tels agissements, auraient très bien pu réduire la malheureuse longue liste des victimes de Weinstein, tirer profit d’une telle entreprise.

Ce n'est pourtant pas la faute de Maria Schrader, qui déploie une mise en scène classique mais qui marche dans le propos du film : il faut laisser la parole aux victimes. Ainsi, son dispositif laisse place au script, toutefois un peu trop bavard. She Said se déroule avec une certaine fluidité dans son récit, qui n'est absolument pas désagréable, et permet au spectateur de ne pas se désintéresser d'une histoire (malheureusement) déjà connue de tous. Une des grandes idées et preuve d’intelligence de Schrader est de ne pas montrer Weinstein : sa voix est certes entendue mais peu présente, et son visage jamais montré. Il n’est qu’une toile de fond, celui à l’origine du récit que les victimes se réapproprient pour avancer.

Les deux interprètes principales, Zoe Kazan et Carey Mulligan, incarnent avec force deux jeunes mères de famille. Elles donnent un visage à un papier, une enquête, des dialogues. Évidemment, Mulligan est celle qui détonne le plus, son charisme certain et son jeu retenu participent grandement à la réussite partielle du film. Mais, surtout, She Said tire sa force de la représentation des victimes. Ashley Judd, qui joue son propre rôle, a droit à quelques minutes qui, espérons pour elle, signent peut-être son retour au cinéma. De son côté, Jennifer Ehle est assez épatante et touchante, amenant une touche de sincérité non loin du tire-larmes mais qui fonctionne tout à fait, faisant d’elle le personnage le plus marquant.

Ne serait-ce que pour elles, et le combat de celles qu’elles mettent en avant, She Said ne peut être accablé pour sa seule démarche, bien qu’elle nécessite remise en question. Maria Schrader, elle, s’empare de son sujet avec humilité et sincérité – qui sont peut-être aussi les limites de son cinéma, lequel manque d’une certaine force, d’une audace – et questionne inlassablement les conséquences des prises de parole des victimes d’agressions sexuelles au sein de l’industrie hollywoodienne. A grand sujet petit film donc, mais une invitation à réfléchir sur la manière de raconter ces histoires et de continuer à bousculer un système encore trop impuni.


Pierre-Alexandre Barillier

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