Critique du film Septembre sans attendre

logo superseven

Par Super Seven

le 03/08/2024

SuperSeven :

« Le mariage est et restera le voyage de découverte le plus important que l’homme puisse entreprendre. » écrivait Kierkegaard dans Stade sur le chemin de la vie et c’est aussi sûrement ce qu’auraient pu dire les pionniers de la comédie de remariage que sont Leo McCarey et Howard Hawks. Si aujourd’hui la notion de mariage est de moins bon ton, celle du couple qui peut se faire et se défaire ou de l’engagement sous d’autres formes l’est toujours. C’est précisément dans ce sillage que s’inscrit Septembre sans attendre de Jonás Trueba qui nous raconte l’histoire d’un couple voulant organiser une fête pour leur séparation. Le cinéaste n’en est évidemment pas à sa première tentative de prouver que la cellule du couple suffit à faire un bon film, mais c’est peut-être la première fois qu’il en fait une telle aventure quitte à artificialiser davantage son propos. Cela par l’usage du split screen en introduction pour séparer Ale et Alex, d’une dimension méta (le montage du dernier film d’Ale interfère avec la narration) et la mise en place d’un processus répétitif : reproduire le même discours, d’après une idée du père d’Ale, vantant la fête de la séparation devant des amis différents comme s’il s’agissait de mettre tous les moyens, tels le montage ou le scénario, au service d’une seule et même idée. Pourtant, Trueba nous a habitués à un cinéma de l’infime, de la banalité du quotidien, de deux mains qui se touchent et se suffisent plutôt qu’à l’élaboration de grands discours. Il a toujours traité l’amour comme on le vit et non comme on le considère, ce qui amène parfois à la désacralisation de ce sentiment si puissant. Il est ainsi très intéressant de le voir traiter la disparition des sentiments tout aussi simplement que leur avènement : si nous ne nous aimons plus, banalement, sans éclat, alors célébrons la fin. Les personnages se retrouvent pris au piège d’une sorte d’indifférence feinte qui correspond parfaitement au geste de cinématographique de Trueba. Le film rappelle alors doublement à quel point une relation peut nous faire grandir tout autant qu’une séparation, laquelle exige de réapprendre à exister hors de ce prolongement de soi qu’est devenu l’autre, d’acquérir de nouveau son individualité pour peut-être mieux se reconnaître.

Les retrouvailles étaient déjà au cœur de La Reconquista mais sous une autre forme. Huit ans après, ce motif gagne en épaisseur tant nous avons compris que celles-ci font partie du mode de fonctionnement du cinéaste, que ce soit pour élaborer un scénario ou pour le mettre en scène. À chaque film nous retrouvons les mêmes acteurs, les mêmes techniciens, les mêmes thématiques : faire du cinéma c’est faire équipe. Chaque film peut se concevoir comme des vœux renoués. Celui-ci en revient même à la source originelle de sa cinéphilie, avec la présence de son père, Fernando Trueba (qui incarne le père d’Ale), également réalisateur, mais passant pour la première fois de l’autre côté de la caméra. Ce passage est le plus bouleversant du film et donne tout son sens à ce processus redondant qui commençait presque à devenir lourd. Ce qui est au centre du film n’est en fait pas la séparation mais bien la répétition sous toutes ses formes, celle du cinéma et de l’amour. Septembre sans attendre fonctionne par épuisement ou érosion du spectateur jusqu’à un certain point, celui de voir au travers de petits gestes toujours recommencés, de l’omniprésence de l’infraordinaire, éclore une grande émotion. Les meilleurs cinéastes étant de ceux qui portent en eux une haute estime du cinéma, une vision dépassant largement l’art pour l’art et qui ne peuvent s’empêcher de mêler la vie et l’œuvre comme une seule et même chose, Jonás Trueba en fait définitivement parti. D’une part parce qu’il franchit un cap par la convocation de son père et d’autre part parce qu’il n’a de cesse de faire du cinéma pour créer du lien tel que Qui à part nous le montrait.

Ce qui est très frappant dans sa façon de pratiquer du cinéma, c’est sa volonté d’en faire un espace de partage. Malgré les apparences, les diverses citations ou mentions d’auteurs et de cinéastes n’ont pas chez Trueba la même fonction que dans la Nouvelle Vague ou encore chez Woody Allen. Ceux-là se contentaient d’un fragment, d’une idée vouée à être associée, à devenir autre chose qu’elle-même. Trueba, lui, fait lire longuement des pages, approfondit les idées qu’il évoque et leur donne une incarnation à travers le vécu de ses personnages. Il part ainsi du principe que tous les spectateurs sont sur un pied d’égalité et que le cinéma fait vivre l’expérience d’une idée abstraite. La mise en abîme présente dans Septembre sans attendre accentue cet aspect, de l’élaboration d’un film pour ouvrir une discussion sur ce qu’est le cinéma.

On serait tenté d’y voir un tournant dans l’œuvre du cinéaste, voire l’annonce de la fin d’un cycle tant il semble y faire le tour de son cinéma et englober le tout en un. En même temps, il nous signifie qu’il ne faut pas avoir peur de recommencer, de tout reprendre parce que dans la répétition quelque chose s’amplifie, s’approfondit. Peut-être avons-nous seulement assisté au début d’une longue reprise ?


Léa Robinet

septembre image.jpeg