Critique du film Second tour

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Par Super Seven

le 30/10/2023

SuperSeven :

Le cas Albert Dupontel est assez déroutant. Cinéaste à caractère schizophrène tiraillé depuis ses débuts par sa place en tant qu’acteur-réalisateur – double casquette qu’il n’a, jusque-là, jamais délaissée malgré quelques partitions plus secondaires – et la manière de raconter des « histoires qui peuvent changer les choses », il ne cesse d’aller et revenir entre ses amours passées et un besoin d’avancer. Surtout que la donne a changé. La décennie passée l’a érigé en grand auteur français capable d’attirer les foules et les récompenses, lui qui vient d’une veine plus anar et punk. Un risque guette, celui du formatage, bien qu’il ne cesse de garder un affichage marginal qui se manifeste notamment dans son esthétique, sa mise en scène, ses effets qu’il continue d’utiliser comme à ses débuts.

Second tour pose ainsi une question : comment rester dissident – et le montrer – quand tout semble indiqué que l’on ne l’est plus ? Le carton introductif donne un premier semblant de réponse en expliquant que la meilleure façon de renverser un système est d’y appartenir. Cela ne rassure pas, par la posture manichéenne instaurée d’emblée, tout en laissant présager un retour du cinéma de Dupontel à quelque chose de plus intimiste. C’est encore plus profond que cela puisque le cinéaste opère littéralement un tête-à-tête avec lui-même. Incarnant à la fois Pierre-Henry Mercier (candidat à la présidentielle faussement nanti car en réalité enfant roumain adopté par une vieille bourgeoise) et son jumeau oublié, l’imbécile heureux apiculteur Santu, il marque frontalement sa complexité et son incapacité à se comprendre lui-même et son propre cinéma. L’enfant punk a manifestement disparu pour ne laisser place qu’à deux camarades : l’idiot marginal qui a tout compris et l’intello en proie au conformisme sur le point de se tromper, tous deux pantins d’un système et pièces maîtresses de sa destruction en même temps.

Le raisonnement binaire de Dupontel, celui dont il a toujours joué – de Bernie et son côté punks vs bourgeoisie à Adieu les cons et ses employés-citoyens contre l’État-police, en passant par la romance entre un criminel et une juge de 9 mois ferme – trouve un certain paroxysme qui vire à une forme de macronisme des plus pernicieux dans cette opposition/réconciliation. Le bon fond des deux frères met en exergue la pourriture d’un système incarné par les patrons-riches-policiers-racistes, grands ennemis des utopies duponteliennes, ici étrangement réunis et réduits à des entités abstraites au temps d’écran ridicule (deux saynètes avec le chef de la chaîne télé, et le débat avec le candidat adverse, sorte de cliché de pantin du RN qui parle dix secondes). Point de réel antagonisme si ce n’est l’idée du Mal social et extrême que se fait Dupontel, et que toute personne censée selon lui se ferait ; idéal pour y opposer un Bien, tout aussi fourre-tout et simpliste au point de ne plus signifier grand-chose. Car si la politique bascule rapidement au second plan de ce Second tour – qui tend au conte familial sur fond d’humour lourd plutôt qu’à la satire grinçante –, elle est pourtant la toile de fond de toutes les péripéties. De la réalité des problèmes actuels et des éventuels – et nécessaires – changements à apporter, Dupontel ne dit rien à part qu’il faut préserver la nature et accepter l’immigration dans un monologue sur les abeilles à faire chauffer les oreilles de tout être un tant soit peu engagé sur ces luttes.

Ce qui intéresse Dupontel, c’est sa propre image, celle qu’il renvoie à tous niveaux, en tant qu’acteur – rôle double pour doubler la palette de jeu –, que cinéaste – montrer qu’il est toujours aussi en forme, à grands renforts d’effets et mouvements de caméra hideux à donner la nausée – et en tant qu’homme engagé – montrer qu’en grattant un peu, derrière la superstar, l’anar demeure. D’où le cœur du film, cette longue séquence en champ/contrechamp où l’acteur cinéaste se confronte à son reflet, après que l’un des Dupontel ait sauvé l’autre. On pourrait presque s’émouvoir de cet instant de poésie fraternelle, avec ce chaînon manquant qui retrouve sa place logique dans un récit jusque-là tronqué pour un terrible duel de chamallow. Mais c’est chose impossible. Impossible car les enjeux derrière ces deux êtres et ce qu’ils représentent – des mannequins affublés des oripeaux d’un cinéaste embourgeoisé malgré lui qui tente de garder la face – sont factices et dessinent la parfaite impasse dans laquelle se trouve le cinéma de Dupontel. Là où le monde était auparavant un champ des possibles (revoir Enfermés dehors), des contradictions politiques et sociales (revoir Bernie), à investir physiquement par ceux qui le peuplent pour survivre (revoir Au revoir là-haut), et qui subissait matériellement les agissements humains, il doit désormais se réduire à une réflexion pseudo-métaphysique – Le Créateur avait déjà cette dimension, mais s’éloignait par principe de toute réalité sociale, d’où sa certaine réussite –, sous forme de ping-pong absurde dans un salon mal éclairé. Ce n’est pas en montrant, non sans gêne, le vol d’un aigle en numérique, témoin à ses yeux de la grandeur de la nature, qu’il peut compenser cette perte tragique qui faisait le sel de son regard. Il est triste de constater que, derrière la dénonciation par Dupontel d’une certaine caste se cache en réalité une déconnexion partagée vis-à-vis de ceux à qui il entend s’adresser.


Elie Bartin

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