Par Super Seven
SuperSeven :
Il faudrait être fou pour ne pas voir en Davy Chou un potentiel auteur important ; regard singulier, questionnement permanent de la représentation – des individus ou des espaces, notamment urbains –, virtuosité de sa mise en scène, un brin d’audace et une direction d’acteurs et actrices épatante. C’est toutefois ce qui rend Retour à Séoul si frustrant. Loin d’être ratée, cette deuxième incursion dans la fiction longue ne manque pas de panache, à l’image de son personnage. Freddie, incarnée par une flamboyante Park Ji-min, débarque en Corée pour deux semaines de vacances, sans se soucier des us et coutumes locales, et décide soudainement de partir à la recherche de ses géniteurs biologiques, vivant non loin de Séoul. D’identité, Retour à Séoul n’en manque pas bien qu’elle ne cesse de se transformer. Guidé par l’instinct ravageur de Freddie, le récit s’éloigne de toute facilité dans sa première heure condensée – avant d’exploser littéralement dans un déluge elliptique dans la seconde –, prenant chaque situation attendue – par exemple, les retrouvailles chaleureuses – à rebours pour mieux en extraire la gêne profonde, l’incertitude terrible de celle qui a toujours bien vécu sans et n’entend pas perdre son indépendance chèrement acquise.
C’est précisément par ce refus de la résolution familiale que Chou crée progressivement une forme d’empathie avec Freddie. Ce qui la rend d’abord insupportable finit par la rendre aimable, particulièrement dans sa relation délicate avec son père biologique, alcoolique et insistant. Elle veut maintenir une certaine distance, prendre le rapport de force à son compte en déstabilisant inlassablement ceux qui l’entourent. Caméléon perdu dans une ville aux mille lumières, des bas-fonds et leurs rave parties souterraines aux grands bars luxueux où elle date un quinqua riche qui devient son employeur, en passant par la douceur de sa chambre d’hôtel qui la voit ramener deux hommes, elle incarne mille facettes d’une seule et même personne. Un être fragmenté, vecteur de considération sociales et politiques variées qui donnent un temps son charme et son émotion à Retour à Séoul.
Car oui, à trop tirer sur la corde du morcellement, de l’imprévisible au travers de son personnage, Chou perd lui-même possession de son propre film, enchaînant les choix purement dictés par l’envie de surprendre, au point de passer à côté de son sujet. Cette gourmandise scénaristique et esthétique manque de faire tomber Retour à Séoul dans ce qu’il évite au départ : la caricature. Plus Freddie évolue, au gré des années que nous ne voyons pas – avec même un passage covid qui ferait presque esquisser un sourire de ridicule –, moins elle existe concrètement, réellement ; Chou en fait (malgré lui ?) une figure trop opaque pour que l’on s’y attache, pour que ses nouvelles actions aient un semblant d’importance, n’en faisant plus qu’un objet malléable sans âme, inhumain là où, justement, le personnage est censé susciter une perdition on ne peut plus émouvante.
Dans sa séquence finale, qui rebondit sur un ressort établi précédemment (un morceau de piano évoqué plus tôt), on n’atteint jamais la grâce épuisante et grisante de la danse effrénée et seule de Freddie dans un bar calme à Séoul, la caméra ne la quittant jamais, embrassant plus que jamais son ambiguïté : un électron libre dans un monde cadré, une éternelle étincelle qui, à tout moment, peut tout embraser sur son chemin. Si, tout compte fait, Retour à Séoul est un film moyen, il a pour lui l’intensité des premiers élans qui atténue l’amertume du rendez-vous manqué.
Elie Bartin