Critique du film Rébellion

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Par Super Seven

le 02/05/2023

SuperSeven :

Rébellion, sorte de suite à son Hara-Kiri, voit Masaki Kobayashi réarpenter le terrain de la révolte à travers le jidai-geki pour mieux s’attaquer au système féodal et à un certain traditionalisme. Avec cela, on a tout et rien dit. En réalité, Rébellion s’inscrit surtout comme un baroud d’honneur à deux niveaux, celui d’un genre et celui d’un cinéaste. D’un genre puisque, à la fin des années 60, le film de samouraï tombe en désuétude après deux décennies fastes, inaugurées par Rashômon ; au même moment, la nouvelle vague japonaise est en train d’émerger. D’un cinéaste aussi donc, car Kobayashi, certes reconnu, trouve là ses premières difficultés pour financer un projet (il relève de l’académisme et conçoit des œuvres ambitieuses tant artistiquement qu’économiquement), lesquelles seront croissantes par la suite. C’est peut-être ce qui explique ce geste si singulier, aussi sombre que poétique, teinté d’une grande amertume mais nourri d’un puissant espoir, tout en sobriété.

Rébellion se joue en trois actes bien distincts. D’abord, Isaburo Sasahara, sabreur lassé, prend sa retraite et se voit contraint, par le seigneur des lieux, de marier son fils à la femme que le chef a répudié. Cette union initialement mal vue révèle une idylle passionnée, avec un enfant à la clé, et Isaburo voit sa vie de famille recomposée comme un terrain d’épanouissement inouï. Quelques années après, le seigneur, perdant tragiquement son seul héritier, demande le retour de sa première femme et de l’enfant à qui elle a donné naissance pour prendre sa suite. Une nouvelle qui ne plait pas à Isaburo qui préfère tout perdre que de laisser cet affront passer. Le baroud d’honneur évoqué plus tôt concerne donc aussi ce père de famille, usé d’une vie de conformité, qui trouve en la révolte une deuxième jeunesse, une forme de résurrection.

Kobayashi est certes considéré comme un académique, mais il l’est surtout assez pour casser ces codes, pour savoir renverser la table quand il le faut. Rébellion prend ainsi son temps, jouant d’une certaine contemplation, d’une langueur et de scènes dialoguées pour mettre en place un grand chemin de dominos voué à s’effondrer avec panache. La géométrie parfaite des décors – entre jardins zen, chemins de pierre et tuiles précisément apposées sur le toit –, l’organisation minutieuse de l’espace ne sont que la façade d’un système de rigueur pas tant morale que violente, dont Isaburo finit ultimement par décider de se détacher. Sa maison aux airs de prison dans un premier temps, par un sens de la contre-plongée qui donne l’impression de scruter une cage, devient un terrain de jeu expressionniste à mesure qu’il en détache les murs ou vire les tatamis. Il s’agit littéralement pour lui de décloisonner un espace oppressant, de sortir d’un cadre, pour être confronté à sa propre humanité.

D’où cette évolution territoriale du récit, et sa conclusion à l’air libre pour le duel tant attendu Toshirō MifuneTatsuya Nakadai, conférant à ce dernier une dimension presque mystique. Kobayashi déjoue les attentes et n’offre pas à voir un échange de coups multiples, mais privilégie l’intensité du moment, sachant que ce qui se joue ici dépasse le simple rapport au sabre. L’élan de liberté d’Isaburo doit se confronter à l’ordre, à l’autorité qu’incarne Tatewaki Asano, gardien de la porte vers le monde extérieur. Le minimalisme – et la clarté qui l’accompagne tout du long – tend alors à une forme d’abstraction, de suspension du temps. Ce même temps suspendu plus tôt, lors du flashback tout en arrêts sur image racontant le passif de Ichi et l’histoire de sa répudiation, conférant à celle-ci une violence terrible et l’impression d’une mort certaine. D’où la beauté paradoxale du duel final et de ses conséquences, voyant Isaburo être fusillé à coups de mousquets dans les hautes herbes, tout en déclarant ne s’être jamais senti si vivant.

Toutefois, malgré la place prépondérante occupée par Isaburo, le véritable nœud de l’intrigue est Dame Ichi, femme bafouée sur laquelle le doute plane mais qui se révèle irréprochable. Sa résurrection réside dans son insertion au sein de la famille Sasahara, qui redonne espoir à Isaburo et lui donne envie de tout sacrifier – son nom, son clan, et même sa vie – afin qu’elle reste auprès de son fils. A ce titre, la plus belle séquence du film est celle où elle décide de prendre à revers le geste de son bienfaiteur en se jetant elle-même sur une lance. Convaincue de l’impossibilité de liberté et d’existence en tant que femme dans une société féodale, elle reprend sans prévenir son droit de vivre et s’inscrit comme la véritable héroïne de cette tragédie. Kobayashi cinéaste de la rigueur certes, mais cinéaste de l’humain avant tout, qui n’hésite pas à tout envoyer paître au cœur de sa narration pour recentrer le récit sur ce qui importe à ses yeux, chassant là toute possibilité de confortation du spectateur, ou de complaisance démiurgique. Sa Rébellion en tant qu’artiste est des plus touchantes : celle de signer le glas d’un genre tout en le poussant dans ses retranchements. Peut-être que lui aussi ne s’est jamais senti aussi vivant qu’en signant cette œuvre aussi minimaliste que profonde.


Elie Bartin

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